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Liberté éditoriale des enseignants-chercheurs : le refus d’intégrer une contribution n’est pas abusif

Si le refus d’insérer une contribution dans un ouvrage publié à la suite d’un colloque est susceptible de heurter les traditions universitaires et les principes d’objectivité et de tolérance visés à l’article L. 952-2 du code de l’éducation qui garantit la pleine indépendance et l’entière liberté d’expression des enseignants-chercheurs dans leurs fonctions d’enseignement et leurs activités de recherche, il ne peut, à défaut d’un texte spécial, être considéré comme abusif. 

Il y a assurément des affaires qui ne devraient pas se régler en justice, et la présente espèce en est certainement une illustration. En mars 2019, deux enseignants-chercheurs de l’Université de Toulon ont organisé un colloque consacré à la personnalité juridique de l’animal, pour lequel ils ont fait appel à l’un de leur collègue, professeur agrégé de droit privé, pour les propos conclusifs, en vue de la publication d’un ouvrage édité en partenariat avec la Fondation Brigitte Bardot. La convention d’édition précisait justement que les deux organisateurs du colloque assuraient la direction scientifique de l’ouvrage et qu’ils étaient notamment chargés à ce titre de coordonner les travaux issus de la manifestation et de désigner un comité de lecture. On ignore la teneur précise du rapport de synthèse en question, quoi qu’il en fût les codirecteurs de l’ouvrage informèrent son auteur que son intervention ne serait pas publiée car elle ne correspondait pas à la synthèse demandée et que les propos qui avaient été tenus étaient inexacts et formulés avec une intention de nuire à leurs travaux. Le contributeur éconduit assigna alors ses collègues en justice pour qu’ils soient condamnés sous astreinte à transmettre sa synthèse à l’éditeur en vue de sa publication et, subsidiairement, à réparer son préjudice consécutif à leur refus.

Les juges du fond (Aix-en-Provence, 6 juill. 2023) le déboutèrent néanmoins de ses demandes en dommages-intérêts. Et par son arrêt, la Cour de cassation confirme – et c’est heureux – l’étendue maximale de la liberté éditoriale des enseignants-chercheurs. Elle rejette ainsi le pourvoi qui invoquait successivement l’usage déloyal de prérogatives contractuelles à l’origine d’un préjudice, l’exercice fautif de la liberté éditoriale et la violation du droit à la liberté d’expression (laquelle aurait dû, d’après le demandeur, entraîner la mise en œuvre d’un contrôle de proportionnalité).

L’absence de manquement contractuel 

Le professeur de droit entendait d’abord se prévaloir d’une faute commise par ses collègues dans l’exécution du contrat les liant à leur éditeur à l’origine son préjudice. Il estimait qu’en refusant son texte, ces derniers avaient manqué à leur obligation d’exécuter de bonne foi le contrat, et fait un usage déloyal de leur prérogative contractuelle, attentatoire à sa liberté d’opinion car motivé par leur volonté de sanctionner ses propos tenus lors du colloque. Il invoquait ainsi une violation des articles 1240 et 1200 du code civil, ensemble 1103 et 1104, du même code, outre l’article L. 952-2 du code de l’éducation et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Pour la Cour de cassation, le moyen n’est pas fondé. La Haute Cour rappelle ainsi que si un tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel qui lui a causé...

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