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« Bernard Tapie n’a commis aucune infraction pénale ! »

Au terme de près de quatre semaines d’audiences, les avocats de Bernard Tapie ont plaidé la relaxe de leur client, des chefs d’escroquerie et de détournement de fonds publics. Le tribunal rendra son jugement le 9 juillet.

par Julien Mucchiellile 5 avril 2019

Après avoir évoqué le souvenir ému de la coupe d’Europe de football remportée par Marseille sous le haut patronage de son client, date et nom des buteurs à l’appui, l’avocate de Bernard Tapie, Julia Minkowski, a opéré un subtil glissement, de sa personnalité – celle d’un homme entier, intègre et impatient, dit-elle – à l’objet du contentieux : l’arbitrage. Car « c’est dans le caractère même de Bernard Tapie d’avoir choisi l’arbitrage, son impatience lui a fait choisir la voie qui lui permettait de mettre fin, une bonne fois pour toutes », à ce dossier usant – plutôt que d’attendre la suite devant la cour d’appel, après l’arrêt de la Cour de cassation rendu fin 2006. Face aux juges de la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, qui juge Bernard Tapie pour escroquerie et détournement de fonds publics, Me Minkowski revient sur la genèse de cet arbitrage. « Évidemment, il part favori. Pas parce qu’il a magouillé, mais parce que, devant les juridictions judiciaires, on lui a toujours donné raison. » Puis, elle remarque : « Dans cette affaire, on cherche le moindre petit détail pour dire que tout est stratagème, tout est magouille. » Ensuite, elle rappelle que Bernard Tapie a fait des concessions pour aller à l’arbitrage, en se désistant de toutes les procédures, en acceptant l’instauration d’un plafond, sans plancher.

Me Minkowski revient ensuite sur l’arrêt qui, en 2015, annule l’arbitrage, et sur lequel la partie civile a voulu se fonder pour démontrer son préjudice. Elle rappelle que, si l’appréciation de ces juges est différente des précédents, s’agissant du tribunal correctionnel, il garde toute sa latitude pour rendre sa décision. « Pourquoi une fraude ? On est parti du postulat qu’il y avait une fraude, puis on remonte un dossier pour essayer de démontrer qu’il y a une infraction », dit-elle. S’agissant du détournement de fonds publics, elle estime que cette infraction a été glissée là comme par obligation. Christine Lagarde venait en effet d’être renvoyée devant la Cour de justice de la république pour « négligence ayant entraîné un détournement de fonds publics », il fallait donc bien qu’existe cette infraction. Or le code pénal dispose que les fonds doivent être publics, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, puisque le consortium de réalisation (CDR) est une société privée. En outre, poursuit l’avocate, ce détournement doit être le fait d’une personne publique.

« Le Crédit Lyonnais est une banque publique voyou »

Avec beaucoup de voix et un certain bagou, son associé Me Hervé Temime a pris sa suite, pilonnant deux heures durant les positions de l’accusation, débutant son propos par un véhément : « Bernard Tapie n’a commis aucune infraction pénale ! », alors que « le Crédit Lyonnais est une banque publique voyou, qui a coûté 20 milliards d’euros aux contribuables ». Puis : « Bernard Tapie n’est pas un escroc, comme se plaît à le répéter dans les médias, notre confrère Benoît Chabert. Aucune infraction pénale n’a été commise dans cette affaire, et je vais vous le démontrer. Vos plaidoiries, vos réquisitoires sont vides, vides de preuves, vides de la moindre démonstration juridique qu’une infraction avait été commise. Vous avez confondu la fraude civile avec une infraction. » Plus tard, il ajoute : « Y’a rien de pénal là-dedans, Messieurs les Procureurs, vous avez démontré l’inexistence des infractions. Pas de droit, pas un mot sur la qualification des infractions. La lourdeur des peines, dans leur extravagance, ne supplée pas le manque de preuve. […] Pour qu’il y ait escroquerie, il faut qu’il y ait manœuvres frauduleuses et déterminantes dans la remise des fonds. »

Pour expliquer l’animosité éprouvée contre son client par de nombreux témoins à charge, il explique que « Bernard Tapie fait l’objet d’un délit de sale gueule mais aussi d’un délit de classe. Cette caste des inspecteurs des finances, elle ne peut même pas côtoyer Bernard Tapie ».

Cette relation de connivence, que l’accusation reproche aux prévenus, il la renvoie aux autres parties, ironisant sur la proximité, qu’il juge excessive, entre le parquet et la partie civile, qui ont travaillé en harmonie le temps de la procédure pénale. Puis, sous les vivats de la foule de supporters de Bernard Tapie (qui ont ri tout du long et applaudi à la fin, ce qui n’est pas d’usage), il a dressé une galerie de portraits.

Il rappelle que Pierre Mazeaud n’est pas ce « publiciste » que le parquet supposait un peu faiblard en droit privé. Pierre Mazeaud n’a pas fait que présider le Conseil constitutionnel, il a aussi présidé la commission des lois, a été magistrat, s’est d’abord formé au droit civil et possède quelques bases lui permettant de comprendre les enjeux de cet arbitrage.

Me Temime évoque ensuite Jean-Denis Bredin : « C’est un homme d’une intégrité hors norme, c’est l’intégrité à l’état pur. C’est le plus jeune agrégé de France en droit privé (major), c’est le plus jeune secrétaire de la conférence du stage, civiliste et commercialiste hors pair. C’est probablement sur le terrain du droit le meilleur avocat en contentieux civil et commercial que le barreau de Paris ait connu depuis des décennies. »

De Pierre Estoup, qui est ancien président de la cour d’appel de Versailles, il regrette l’absence, qui est selon lui un « obstacle majeur à la poursuite ». Sans participation aux débats, sans confrontation entre les différents arbitres, l’accusation ne tient pas, selon lui.

Il lui faut revenir sur cette accusation, portée par les procureurs, selon laquelle l’intervention de Pierre Estoup auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence aurait sauvé Bernard Tapie d’une nouvelle incarcération. Il est vrai que le procureur avait laissé entendre que la visite de Pierre Estoup à Aix, puis un appel téléphonique passé depuis Thionville, où réside monsieur Estoup, à ce magistrat, pouvait (conjugué à la dédicace que Bernard Tapie envoyait à Pierre Estoup quelques jours plus tard), démontrer que monsieur Estoup était intervenu auprès de son collègue pour que la prison ferme de première instance se mue en un sursis miraculeux. Outre le fait que, malgré de nombreuses investigations (dont des perquisitions), aucune preuve n’a été rapportée de ces manœuvres, il ajoute que la décision à l’encontre de Bernard Tapie a été rendue par trois magistrats, « c’est donc de manière scandaleuse qu’on laisse cette allusion prospérer », conclut-il.

Pour clore l’audience, Bernard Tapie a dit : « Le procureur a commencé son réquiz en disant que finalement toute cette audience n’a servi à rien. Comme je ne suis pas d’accord ! Elle a servi, parce que vous avez donné la parole à tout le monde. » Puis, la présidente Christine Mée a annoncé que la décision serait rendue le 9 juillet prochain.