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« Ce débat sur les violences faites aux femmes transcende les couches de la société »

Vendredi 8 février, la partie civile a demandé la condamnation de douze prévenus, pour diffamation à l’encontre de Denis Baupin. La procureure a requis une relaxe générale, et dix avocats ont plaidé en défense.

par Julien Mucchiellile 11 février 2019

Au terme du dernier jour d’audience du procès « Baupin », vendredi 8 février, tard dans la soirée, Elen Debost, prévenue, a dit : « Ce n’est pas la parole qui est libérée, on a toujours parlé. Ce qu’ont fait ces journalistes, c’est le développement de l’écoute. Il faut écouter les femmes. » Les journalistes sont Lenaïg Bredoux de Mediapart et Cyril Graziani de France Inter. Ils ont publié des articles, les 9 et 30 mai 2016, présentant les témoignages de femmes qui accusent Denis Baupin de harcèlement et d’agressions sexuels. L’ancien vice-président de l’Assemblée nationale les a toutes attaquées en diffamation, après que l’enquête judiciaire, ouverte le 10 mai 2016 par le parquet de Paris, a été classée sans suite, les faits étant prescrits. Vendredi, après cinq demi-journées d’audience, la procureure – qui est peu intervenue dans ce procès – a demandé la relaxe après moins de trente minutes de réquisitions, observant : « La seule qualité de ce procès aurait été de mettre en lumière la nécessité d’une impérieuse lutte contre le silence de personnes qui sont victimes de violences sexuelles. » La décision sera rendue le 19 avril.

Il faut dire que Denis Baupin aura eu beaucoup de mal à rétablir son honneur durant ces quatre jours – au contraire des prévenues –, même après les presque trois heures qu’aura duré la plaidoirie de son avocat, Me Emmanuel Pierrat. Cela a débuté par des bulles contenant des phrases : « J’aime ton cul », « tu me résistes », « j’aime bien ça », ce sont des SMS, non pas de monsieur Baupin, mais de l’auteur de la charte graphique de France Inter, qui les a imaginés pour illustrer l’enquête et qui s’est également adonné à la mise en scène des articles du code pénal façon avertissement sur les paquets de cigarettes. L’effet est embarrassant, mais ces bulles ne constituaient qu’une introduction inoffensive au propos de l’avocat car elles ne sont pas visées dans la prévention. L’avocat en a convenu : « Dans ce procès, je vais donner raison aux prévenus, nous sommes en partie en train d’examiner le fond de l’affaire, et c’est nécessaire. […] Ce que vous avez à juger c’est du droit de la presse, mais avec des mécanismes dans des articles qui consistent à faire du droit pénal. Mon principal grief, ce n’est pas l’existence d’articles sur le sexisme, sur la place des femmes, sur la parité, cela me semble plus que légitime. Le problème, c’est la qualification pénale par les journalistes, qui se croient juges à la place des juges, qui se croient procureurs. Ce dont vous êtes saisis, c’est de la qualification pénale donnée par les journalistes. Vous aurez à juger dans votre délibéré de quelle rigueur journalistique ont fait preuve M. Graziani et Mme Bredoux, pour arriver à cette conclusion hautement juridique. » Selon l’avocat, les journalistes n’ont pas fait montre de la prudence nécessaire dans leur enquête, en se permettant d’accoler aux témoignages décrivant des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel, les termes de harcèlement sexuel et d’agression sexuels, car la qualification juridique, selon lui, revenait aux seuls magistrats. « Pour se justifier de faire un procès de mœurs (car ils sont des intégristes), ils se réfugient derrière le code pénal. Et c’est ça leur grande faute : d’avoir qualifié pénalement ce qui n’est pas répréhensible. »

« Pour se justifier de faire un procès de mœurs, ils se réfugient derrière le code pénal. »

Ensuite, critiquant les méthodes et la mauvaise foi des journalistes, il explique que, si Denis Baupin n’a pas répondu aux questions qu’ils lui ont envoyées, c’est qu’elles étaient orientées et qu’en outre, « c’est très difficile de rapporter la preuve de ce qui n’est pas arrivé ». Puis, il reproche aux journalistes de ne pas s’être procuré les SMS prouvant le harcèlement, SMS effacés ou contenus dans des téléphones perdus, volés, changés. Ces SMS n’étaient pas accessibles pour les journalistes, qui ont donc recueilli des témoignages de personnes ayant constaté ces SMS, c’est-à-dire qu’ils ont fait appel à plusieurs sources pour corroborer les témoignages initiaux. La police, par des réquisitions judiciaires envoyées aux opérateurs, a ensuite pu se les procurer, ce qui a permis à Me Pierrat de les lire et les brandir à l’audience. Il a encore lu, durant sa plaidoirie, certains des SMS envoyés par les prévenues. « Chaleur humide », « position », « j’aime le sexe sans limites », « suis pas une sainte-nitouche », disent notamment les SMS. Son auteure avait expliqué qu’il s’agit d’une stratégie pour maintenir Denis Baupin à distance, donner du répondant à celui qui lui tenait la dragée haute.

Pour Me Pierrat, ces messages (parmi des centaines d’autres, pas tous du même acabit, et extraits de longs échanges) démontrent pleinement le consentement de la prévenue au « libertinage » de Denis Baupin.

Au cours du propos de l’avocat, il est beaucoup question des mauvaises pratiques journalistiques et de l’excellence de l’enquête de la police judiciaire, qui fut délicate, attentionnée, patiente et professionnelle, a-t-il dit, en énumérant toutes les personnes contactées par les enquêteurs qui ne l’ont pas été par les journalistes. Ces « quarante personnes qu’il fallait entendre pour comprendre toute l’histoire », dit-il (les journalistes ont interrogé soixante et une personnes pour les besoins de leur enquête).

Selon lui, l’emprise et la peur, mises en avant par les prévenues, ne tiennent pas. « Nous sommes avec des femmes non pas intelligentes, mais très intelligentes, qui savent analyser, qui savent de quoi elles parlent, qui ont les codes. » Idem au sujet des témoignages des membres d’Europe Écologie Les Verts (EELV) venus rapporter qu’ils ont eu connaissance de rumeurs, de situations, de faits, et qui, contrits et désolés, ont regretté de ne pas avoir agi. Pour lui, cela relève du cinéma. « Madame Duflot est venue au titre de l’offre de preuve, venue pour la vérité. On est assez loin du contenu des articles, elle est venue nous dire qu’elle a été victime d’autres faits. » La prévention vise en effet des passages dans les quatre articles de Mediapart et France Inter, qui ne font pas mention de l’agression dont Cécile Duflot a fait état jeudi 7 février devant la 17e chambre.

« La prescription ne referme pas un tombeau sur des faits. »

La procureure, elle, a commencé par « saluer le courage de celles et ceux qui sont là, ils ont ainsi, en se déplaçant, contribué à l’œuvre de la justice », une situation qu’elle met en regard avec l’absence de Denis Baupin : « Aujourd’hui, où les questions sont encore plus clairement formulées (que lors de l’enquête, ndlr), il a fait le choix de ne pas venir. » « Pourquoi ce procès, pourquoi cette affaire ? Je ne pense pas que les débats puissent répondre à cette question. Comme on ne fait pas le procès de monsieur Baupin, de la même manière qu’on ne peut pas dire qu’il est coupable, on ne peut pas prendre des morceaux de l’enquête pour dire qu’il est innocent. »

Pour répondre à Me Pierrat sur l’auteure des SMS équivoques, elle dit : « Le ressenti d’oppression de madame Debost était sincère, mais on comprend la position de monsieur Baupin, car la position de madame Debost à son égard n’était pas extrêmement claire. »

Elle rappelle que le communiqué du procureur (vertement critiqué par la partie civile) estimait que l’innocence de Denis Baupin n’avait pas été établie et que seule la prescription expliquait le classement de l’affaire. « La prescription ne referme pas un tombeau sur des faits, qui peuvent être évoqués dans le cadre d’articles de journaux. » Puis : « Le travail journalistique n’est pas un travail de police, ne pas avoir eu accès aux SMS ne les empêche pas d’en parler. » Elle a demandé une relaxe pour tous les prévenus.

« C’est un harceleur sexuel qui fait citer ses victimes à comparaître. »

L’avocat de France Inter et Cyril Graziani a commencé : « Grâce à l’écho qui a été réservé, et de ce point de vue on va remercier monsieur Baupin, vous aurez un magnifique jugement qui va relaxer de ces personnes, en leur disant qu’elles ont bien fait de témoigner. » Celui de Laurence Mermet a dit : « Ce débat sur les violences faites aux femmes transcende les couches de la société. » Celle d’Elen Debost : « Moi je dis honte à vous, Denis Baupin, honte à vous. Cette procédure est évidemment abusive, c’est une procédure bâillon pour fermer la porte qu’elles ont essayé d’ouvrir. » Celui de Sandrine Rousseau : « C’est un harceleur sexuel qui fait citer ses victimes à comparaître, pour leur faire peur, une fois de plus, pour garder la mainmise sur tout ça. » Celle d’Isabelle Attard : « C’est un procès historique. Il y a les six prévenues derrière moi, mais aussi toutes les autres. J’ai compté, dans cette salle il y a quarante-huit femmes. Selon les statistiques, vingt-cinq ont connu des violences sexuelles. » Celui de Geneviève Z… : « Il y a des oreilles qui saignent quand on vient vous dire que mettre la main sur les seins, c’est de la drague pataude. » Celui de Mediapart et Lenaïg Bredoux, enfin, a terminé : « Qui Denis Baupin envoie-t-il à la barre ? Sa femme, son ex-femme et sa première femme ! On nous dit qu’on aurait dû les interroger mais c’est un papier sur la sexualité de monsieur Baupin ? Non, sur ses agressions. » Et encore : « À Mediapart, on ne fait quasiment jamais de reconventionnelle. Mais vous condamnerez monsieur Baupin pour procédure abusive ! » Il était près de minuit, quand l’audience a été levée.