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Chronique de droit des entreprises en difficulté : les sûretés à l’honneur

Cet article dresse un panorama des jurisprudences les plus significatives intervenues en droit des entreprises en difficulté au cours de ces tout derniers mois. Plusieurs d’entre elles ont été rendues en matière de sûretés.

par Georges Teboul, avocat AMCOle 18 octobre 2023

Le rôle de la doctrine et les praticiens

Dans un article fort intéressant, le rôle de la doctrine en droit des affaires a été évoquée (X. Delpech, La doctrine en droit des affaires, JCP E, n° 28, 13 juill. 2023, p. 39). Il est indiqué que le praticien doit faire ses preuves pour appartenir à la doctrine, ce qui vise aussi bien les avocats que les magistrats. Pour cela, il faut « séduire les gardiens du temple » que sont les éditeurs. Devant la prolifération des commentaires de toute sorte, la qualité et la notoriété deviennent des atouts importants. Dans la matière du droit des entreprises en difficulté, la pratique joue un rôle essentiel, dès lors qu’elle construit des solutions qui ont vocation à être souvent reprises par les textes. La réflexion sur le prepack cession en est une illustration, ainsi que la création prétorienne de la prévention inspirée par un modèle belge dans les années 1970 sans fondement légal. On connaît le développement qui a été le sien par la suite.

Les consultations menées par la Chancellerie depuis de nombreuses années montrent que l’avis des praticiens est recueilli, parfois entendu et qu’ils peuvent contribuer d’une manière féconde à l’évolution de notre droit en attirant l’attention du législateur et du gouvernement sur les difficultés causées par la pratique et sur les moyens d’y remédier. C’est particulièrement vrai dans la matière du droit des entreprises en difficultés.

Le rôle de la cessation des paiements

La Cour d’appel de Grenoble a rendu un arrêt intéressant le 8 juin 2023 (n° 23/00783, LEDEN 9/2023. 1, obs. F.-X. Lucas) contredisant la solution retenue par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles rendu le 15 novembre 2022 (n° 22/04167, RTD com. 2023. 725, obs. F. Macorig-Venier ; RPC 2022, n° 95, obs. C. Delattre ; LEDEN 1/2023. 1, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 18 avr. 2023, p. 59, obs. P. Rossi).

L’arrêt de la Cour de Grenoble indique d’une manière qui nous paraît satisfaisante qu’il faut tenir compte de l’absence de cessation des paiements au moment du dépôt de la requête demandant la conciliation et non de la date à laquelle le président du tribunal statue, comme cela avait été jugé par la Cour de Versailles. Il serait, en effet, anormal que le débiteur subisse les conséquences des délais de greffe, et de convocation par le juge.

Par ailleurs, il faut faciliter le recours à la prévention et ce n’est pas en multipliant les verrous et les difficultés que l’on y parviendra. De surcroît, la motivation de la Cour de Grenoble apparaît assez convaincante, dès lors qu’elle se réfère aux articles L. 628-1 (sur la sauvegarde accélérée) et L. 631-4 (sur le redressement judiciaire) du code de commerce qui font tous deux référence à un état de cessation des paiements en visant un délai de quarante-cinq jours apprécié au moment de l’ouverture de la procédure.

Espérons que la Cour de cassation tranchera en faveur de l’interprétation de la Cour de Grenoble, et que le ministère public aura une approche compréhensive. L’intérêt de tous, y compris des créanciers et notamment de l’État, est, en effet, que l’on tente le sauvetage d’une entreprise, que ce soit pour l’emploi ou pour le règlement du passif.

En outre, chacun sait que le critère de la cessation des paiements n’est pas adapté à la prévention car cet état peut disparaître rapidement à l’issue d’une première réunion avec les créanciers, qui se sentent protégés par la conciliation et acceptent, le plus souvent, d’y participer (G. Teboul, La cessation des paiements : une notion dépassée ?, Gaz. Pal. 18 avr. 2023, p. 38). Ils acceptent donc de donner un stand still, c’est-à-dire de renoncer à l’exigibilité de leur créance pendant le temps de la conciliation.

Cette pratique est devenue si habituelle que la première réunion avec les créanciers est souvent remplacée par un courrier du conciliateur qui leur demande d’accepter cette suspension. L’approche compréhensive et pratique paraît donc totalement justifiée.

L’action en garantie de l’AGS

Un arrêt très important a été rendu récemment (Com. 7 juill. 2023, n° 22-17.902 FS-B+R, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. C. Gailhbaud ; Rev. sociétés 2023. 547, obs. L. C. Henry ). Le régime de la garantie des salaires (AGS) souhaitait pouvoir exiger dans toutes les procédures collectives une obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l’insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective avec possibilité de contestation immédiate. La cour d’appel puis la Cour de cassation ont donné tort à l’AGS en considérant qu’elle ne bénéficie d’aucun contrôle a priori en redressement et en liquidation judiciaire. La justification préalable et la contestation immédiate ne sont, en effet, possibles qu’en cas de sauvegarde (C. trav., art. L. 3253-19 et L. 3253-20).

Cet arrêt règle une question controversée et très sensible pour les mandataires judiciaires qui souhaitent bénéficier d’un climat de confiance, ce qui existait jusqu’à une date relativement récente. Nous savons que l’intervention de l’AGS en garantie des créances des salaires est subsidiaire (Toulouse, 9 sept. 2022, n° 22/01.754, Dalloz actualité, 22 sept. 2022, obs. C. Gailhbaud). C’est cet argument qu’invoquait l’AGS pour bénéficier d’un droit de contrôle préalable. Le mandataire judiciaire doit cependant établir très rapidement des relevés de créances salariales et procéder au règlement des salaires, ce qui paraît contradictoire avec la possibilité d’un contrôle a priori de l’insuffisance des fonds et l’admission d’un litige immédiat qui paralyserait le mandataire judiciaire. Il est vrai que la célérité est indispensable en cette matière. Dans une analyse favorable à la solution retenue par l’arrêt, Christine Gailhbaud considère que pour choisir une solution différente, le texte devrait être modifié (obs. préc.).

Les sûretés

La situation des coobligés. Nous savons que les garants, personnes physiques, bénéficient des plans de sauvegarde et de redressement judiciaire (C. com., art. L. 626-11). Par ailleurs, l’article L. 622-28 du code de commerce dispose que le jugement d’ouverture suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation, toute action contre des personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie, avec la possibilité cependant de leur accorder des délais dans la limite de deux ans.

En l’espèce, il s’agissait de dirigeants de la société débitrice qui en tant que tels ne pouvaient bénéficier de la suspension des poursuites, la créance ayant fait l’objet d’une condamnation pénale. Les dirigeants avaient été condamnés pour travail dissimulé et l’URSSAF avait, en effet, subi un préjudice dont elle entendait obtenir le recouvrement contre les dirigeants. Puis, la société a fait l’objet d’une procédure de sauvegarde et a obtenu un plan. Le créancier a procédé à des saisies et les dirigeants ont voulu se...

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