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Conception de la faute intentionnelle : l’âne incendiaire ou l’âme incendiaire ?

Selon l’article L. 113-1 du code des assurances, la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu et n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction.

La faute intentionnelle occupe, une nouvelle fois, le devant de la scène judiciaire. Les enjeux sont importants : trop ouvrir la conception d’une telle faute conduit les assureurs à la soulever avec beaucoup d’opportunisme ; trop la restreindre risque, au contraire, d’inhiber les vertus préventives de ce mécanisme disciplinaire de l’assurance. Dans l’affaire soumise à la deuxième chambre civile le 16 septembre 2021, le recours d’un assureur de dommages à l’encontre de l’assureur de responsabilité de l’auteur d’un incendie s’étant propagé au-delà de ses espérances met en lumière ces deux conceptions possibles de la faute intentionnelle, l’une restrictive, garante de l’indemnisation des victimes, l’autre assouplie, garante de la fonction normative face à de tels comportements antisociaux. La Cour de cassation devait ainsi, à nouveau, faire un choix entre ces deux approches de la faute intentionnelle, en somme entre deux sortes d’individus : l’« âne incendiaire » et l’« âme incendiaire ». L’âne incendiaire, lequel n’est pas conscient des dommages collatéraux dont il est à l’origine, doit-il continuer à bénéficier de la couverture d’assurance pour les dommages qu’il n’avait pas envisagés en démarrant le feu ? Doit-on le distinguer du pyromane ayant une âme incendiaire, lequel a délibérément recherché la réalisation de l’entier dommage, tel qu’il est survenu ? En présence d’une infraction pénale, la Cour de cassation continue de marquer sa préférence pour la conception restrictive de la faute intentionnelle, s’inscrivant généralement, et fort légitimement, dans une politique jurisprudentielle d’indemnisation des victimes.

La faute intentionnelle, cause d’exclusion de garantie de l’assureur

Rappelons que « L’assureur ne répond pas des pertes et dommages résultant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » (C. assur., art. L. 113-1, al. 2). En effet, « une telle faute supprime l’aléa qui doit être la source de la réalisation du risque. L’absence d’assurance vaut alors « à l’égard de tous » (Civ. 1re, 15 janv. 1985, n° 83-14.742) : toutes les personnes qui auraient pu bénéficier de la garantie de l’assureur s’en trouvent privées. Seule la faute de l’assuré est prise en compte (par ex. le meurtre de l’assuré par un tiers demeure un évènement aléatoire, et donc un risque assurable). La jurisprudence retient, traditionnellement, une conception unitaire de la faute inassurable, la faute dolosive étant absorbée par la faute intentionnelle. Cette dernière est définie très strictement, la Cour de cassation exigeant que l’auteur de la faute ait eu « la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé » (Civ. 2e, 23 sept. 2004, n° 03-14.389, D. 2005. 1324 ; ibid. 1317, obs. H. Groutel ; RDI 2004. 517, obs. L. Grynbaum ). Il ne suffit pas d’avoir voulu l’acte à l’origine du dommage : d’une part, le dommage doit lui-même avoir été recherché (Civ. 1re, 10 avr. 1996, n° 93-14.571 : ne commet pas de faute intentionnelle le conducteur qui provoque délibérément une collision s’il n’est pas établi qu’il avait la volonté de causer le dommage en ayant résulté) et, d’autre part, ce dernier ne doit pas excéder, lors de sa survenance, ce que son auteur avait l’intention de causer (Civ. 1re, 11 déc. 1990, n° 88-19.614 : lorsque l’assuré a voulu incendier un immeuble mais n’a pas recherché la réalisation de dommages aux propriétés voisines, sa faute intentionnelle n’est pas caractérisé concernant ces derniers) » (A. Cayol, Les garanties interdites, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 1re éd., 2020, p. 122).

Dit autrement, « deux visions s’affrontent concernant la notion même de faute intentionnelle en droit des assurances » (D. Krajeski, note sous art. L. 113-1, in B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva [dir.], Code des assurances, LexisNexis, 2021, p. 95, n° 17).

En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble a subi la destruction de son bien par suite d’un incendie volontaire. Par jugement du tribunal correctionnel, l’auteur des dommages a été déclaré coupable de l’infraction de dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes, et condamné à une peine d’emprisonnement. Par décision du 26 septembre 2014, le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, a condamné l’incendiaire à réparer le préjudice matériel subi par le propriétaire.

Ce dernier a perçu de son assureur « multirisque habitation », la société Gan assurances, une somme au titre de l’indemnité immédiate et une partie de l’indemnité différée. La société Gan assurances, exerçant son recours subrogatoire, a ensuite réclamé à la société Aviva assurances – assureur de l’auteur des dommages – le règlement de la somme payée, à titre amiable, à son assuré. La société Aviva assurances lui a opposé un refus, au regard de l’exclusion de garantie prévue au contrat « multirisque habitation ». Le propriétaire a alors assigné la société Aviva assurances afin que soit retenue la garantie de cette dernière, en qualité d’assureur « responsabilité civile » de l’auteur des dommages, et qu’elle soit condamnée à l’indemniser des dommages subis du fait de son assuré. La société Gan assurances est intervenue volontairement à l’instance aux fins de condamnation de la société Aviva assurances à lui payer les sommes versées à son assuré.

La cour d’appel a débouté la victime de ses demandes, aux motifs que « la faute intentionnelle était caractérisée dès lors que l’assuré avait volontairement commis un acte dont il ne pouvait ignorer qu’il allait inéluctablement entraîner le dommage et faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque et qu’il n’était dès lors pas nécessaire de rechercher si l’assuré avait voulu le dommage tel qu’il s’est réalisé » (pt 13). La conception souple - ou large - de la faute intentionnelle, était donc retenue. Les juges du fond relèvent ainsi que les pièces de l’enquête pénale établissent l’intention l’auteur du dommage de causer un préjudice à autrui dès lors qu’il a enflammé, en pleine nuit, volontairement, avec un briquet, de l’essence sous une porte vitrée de l’immeuble qui a explosé sous l’effet de la chaleur. Ils soulignent que l’auteur du dommage a recherché à commettre par incendie des dégâts dans des lieux habités, et qu’il importe peu que « son degré de réflexion ne lui ait pas fait envisager qu’il n’allait pas seulement nuire à son ex-compagne, qu’il a consciemment agi en utilisant des moyens à effet destructeur inéluctable avec la volonté manifeste de laisser se produire le dommage survenu » (pt 15).

Se voyant ainsi opposé une exclusion de garantie pour tous les préjudices causés par la faute intentionnelle de l’incendiaire, le propriétaire et son assureur de dommages ont formé un pourvoi en cassation. Selon eux, la cour d’appel aurait violé l’article L. 113-1 du code des assurances en retenant une faute intentionnelle sans caractériser la volonté de l’assuré de causer le dommage tel qu’il est survenu.

La Cour de cassation censure partiellement la décision des juges du fond, au visa de l’article 1134, devenu 1103, du code civil et de l’article L. 113-1 du code des assurances. Elle rappelle, tout d’abord, le principe selon lequel « la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu et n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (pt 11). Elle réaffirme aussi qu’il en résulte que, « pour exclure sa garantie en se fondant sur une clause d’exclusion visant les dommages causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré, l’assureur doit prouver que l’assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » (pt 12). 

La Cour de cassation en conclut que la cour d’appel a violé les textes susvisés en retenant la qualification de faute intentionnelle « alors qu’il résultait de ses propres constatations que l’assuré, qui avait agi dans le but de détruire le bien de sa compagne, n’avait pas eu la volonté de créer le dommage tel qu’il était survenu » (pt 16). En somme, l’âme incendiaire portant sur l’entier dommage est écartée.

Bien que le contrat litigieux intègre une clause d’exclusion de garantie pour faute de l’assuré distincte de l’exclusion légale posée par l’article L. 113-1 – la deuxième chambre civile admettant cette autonomie (Civ. 2e, 18 oct. 2012 et 30 avr. 2014) à l’inverse de la chambre commerciale (Com. 20 nov. 2012) –, l’analyse retenue par la Cour de cassation en l’espèce conduit en pratique à dénuer une telle clause de toute utilité. La définition de la faute intentionnelle, au sens de la clause contractuelle, est en effet la même que celle de la faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances.

Une conception stricte de la faute intentionnelle

La Cour de cassation retient, en l’espèce, une conception stricte – objective – de la faute intentionnelle, à l’instar de nombreuses décisions similaires rendues par le passé. Tel a notamment été le cas concernant des collégiens qui avaient mis le feu à la façade, recouverte de vigne vierge, de leur établissement scolaire, dans le seul but de gêner l’administration, l’incendie s’étant propagé au-delà de leurs espérances. Dans la mesure où ces adolescents n’avaient pas souhaité aboutir à un tel dommage, aucune faute intentionnelle n’a été retenue à leur encontre (Civ. 1re, 21 juin 1988, n° 86-15.819). Le même raisonnement a été retenu concernant des incendies qui se sont étendus à d’autres biens que ceux visés par les incendiaires : l’incendie se propageant à un immeuble voisin de celui incendié volontairement (Civ. 1re, 13 nov. 1990, RCA 1991, n° 28 ; RGAT 1991. 53, note Maurice ; Civ. 1re, 11 déc. 1990, RCA 1991, n° 68), l’incendie de la porte d’un appartement se répandant à la cage d’escalier (Civ. 1re, 29 oct. 1985, n° 84-14.039, D. 1987. Somm. 35, obs. H. Groutel) ou encore l’incendie d’un appartement résultant d’une explosion elle-même provoquée par le gaz au moyen duquel le locataire s’était suicidé (Civ. 1re, 24 janv. 1966, Bull. civ. I, n° 51 ; D. 1966. 375 ; RGAT 1966. 375, note Besson ; 28 avr. 1993, RCA 1993, n° 241, obs. S. Bertolaso).

Rappelons que la qualification pénale ne lie pas les juges du fond concernant l’aspect assurantiel du litige. Ces derniers sont tenus d’examiner à nouveau que le fait générateur du dommage a été voulu, tout comme l’entier dommage qui en est résulté (Civ. 1re, 9 juin 2011, n° 10-15.933). L’assuré bénéficiant d’une ordonnance de non-lieu peut parfaitement être soumis à l’examen d’une faute intentionnelle devant le juge civil (Civ. 2e, 18 janv. 2006, n° 04-15.790, RCA 2006. Comm. 151).

Autrement dit, la faute intentionnelle selon le juge pénal n’est pas assimilable à la faute intentionnelle au sens de l’assurance et retenue par un juge judiciaire (Civ. 1re, 6 avr. 2004, n° 01-03.494, D. 2004. 1425, et les obs. ; Rev. sociétés 2005. 190, note H. Matsopoulou ; RGDA 2004. 370, note J. Kullmann). Seul le dommage recherché par l’assuré – condamné pénalement – est exclu de la garantie due par l’assureur, en présence d’une faute intentionnelle impliquant la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-15.836, RGDA 2014. 496, note J. Kullmann ; RCA 2014. 321, note H. Groutel ; 9 juin 2011, n° 10-15.933, RGDA 2011. 954, note J. Bigot). En dehors du domaine de l’incendie, un assuré condamné pour coups et blessures volontaires, mais n’ayant pas manifesté le désir d’obtenir le dommage tel qu’il est survenu, a ainsi obtenu la garantie de son assureur (Civ. 1re, 22 juill. 1985, n° 84-10.087). Le principe retenu par la Cour de cassation est que « la faute intentionnelle au sens de l’article susvisé, qui implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, n’exclut de la garantie due par l’assureur à l’assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l’infraction » (Civ. 2e, 12 juin 2014, n° 13-15.836, RGDA 2014. 496, note J. Kullmann ; 16 janv. 2020, n° 18-18.909, RCA 2020. 95, obs. H. Groutel). La deuxième chambre civile s’est encore récemment prononcée en ce sens pour des faits similaires à ceux de l’affaire commentée (incendie volontaire d’un local) concernant les dommages collatéraux causés à l’immeuble (Civ. 2e, 8 mars 2018, n° 17-15.143, LEDA 2018, obs. F. Patris).

La doctrine s’accorde à dénoncer la complexité des situations factuelles et le manichéisme des conséquences pour les victimes (S. Abravannel-Jolly, La faute intentionnelle ou dolosive en droit des assurances, intervention au congrès international du droit des assurances, bjda.fr 2019, n° 66 ; J. Bigot, L. Mayaux et A. Pélissier, Faute intentionnelle, faute dolosive, faute volontaire : le passé, le présent et l’avenir, RGDA 2015. 75). Après de nombreux tâtonnements, il semble que la Cour de cassation sorte progressivement du « flou » (J. Bigot et alii, Traité de droit des assurances. Le contrat d’assurance, 2e éd., LGDJ, t. 3, 2014, n° 1651) dans laquelle elle pouvait parfois s’inscrire. La décision du 16 septembre 2021 confirme le maintien de la faute intentionnelle et de sa conception stricte dans le domaine de l’incendie volontaire en cas de condamnation pénale. Elle marque ainsi une césure nette avec la faute dolosive, retenue dans d’autres domaines, avec d’importants efforts pédagogiques, par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-11.538, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot : « La faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire, la prise de risque en ayant manifestement conscience de commettre un dommage suffisant à caractériser la faute dolosive »). Bien qu’elle ne fasse pas expressément référence à la notion de faute dolosive, la troisième chambre civile a récemment retenu les mêmes critères pour exclure la garantie de l’assureur dans un arrêt inédit (Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-10.774, R. Bigot et A. Cayol [dir.], « Chronique de droit des assurances », Lexbase, Hebdo édition privée, n° 874 du 22 juill. 2021). Elle semble ainsi enfin faire un pas vers la consécration d’une faute dolosive distincte de la faute intentionnelle, en abandonnant sa conception unitaire de ces deux notions (D. Noguéro, Vers une évolution de la troisième chambre civile pour une conception moins stricte de la faute intentionnelle ou dolosive ?, RDI 2017. 485 ; Faute intentionnelle ou dolosive ? Tradition confirmée de la troisième chambre civile de l’exigence du dommage tel qu’il est survenu, RDI 2015. 425 ). Un tel pluralisme des fautes (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3e éd., LGDJ, Lextenso, 2018, n° 512) permet de s’adapter aux spécificités de certains secteurs (par ex. de certaines professions réglementées, R. Bigot, Le radeau de la faute intentionnelle inassurable (à propos de Civ. 1re, 29 mars 2018, nos 17-11.886, 17-16.558), bjda.fr 2018, n° 57 ; La faute intentionnelle ou le phœnix de l’assurance de responsabilité civile professionnelle, RLDC 2009/59, n° 3406, p. 72-77) ou à leur complexité.

Afin que les victimes n’aient plus à supporter le risque de ne pas être indemnisées en cas d’insolvabilité du débiteur, il a pu être proposé de prévoir en la matière une simple déchéance de garantie – opposable à l’assuré mais pas aux victimes – (S. Pellet, La faute dolosive est inassurable : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persiste et signe, RDC 2019, n° 1, p. 42). Plutôt que sonder parfois l’insondable âme incendiaire, ne serait-ce pas une voie pour dissuader davantage l’âne incendiaire tout en préservant les victimes collatérales ?