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Condamnation de Salah Abdeslam et de Sofien Ayari par la justice belge

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné Salah Abdeslam ainsi que Sofien Ayari pour « tentative d’assassinat à caractère terroriste » à vingt ans d’emprisonnement. 

par Dorothée Goetzle 4 mai 2018

Le 23 avril 2018, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu un jugement attendu relatif à la fusillade survenue le 15 mars 2016 à Forest (Bruxelles) lors de la perquisition du logement où étaient retranchés Salah Abdeslam, Sofien Ayari et Mohamed Belkaïd (décédé lors de la fusillade).

Salah Abdeslam, – seul survivant du commando des attentats de Paris – et Sofien Ayari étaient arrêtés trois jours plus tard, le 18 mars 2016. La perquisition à l’origine de cette fusillade visant des policiers était indispensable. Premièrement, Salah Abdeslam était recherché par la police depuis plusieurs mois à la suite des attentats de Paris. Deuxièmement, l’appartement en question était susceptible d’être un lieu conspiratif où d’autres participants aux attentats auraient pu séjourner. Ainsi, avant de pénétrer dans le logement, les policiers participant à cette opération s’étaient identifiés, avaient frappé à la porte et avaient regardé sous la porte du logement pour déceler une éventuelle présence. En l’absence de signe provenant de l’intérieur de l’appartement, ils avaient enfoncé la porte avec un bélier. Ils furent immédiatement la cible de tirs de kalachnikov. Les occupants de l’appartement avaient tiré à de nombreuses reprises sur les forces de l’ordre, allant jusqu’à poursuivre ces tirs dans la cage d’escalier pendant que les policiers tentaient de fuir. En faisant feu sur les forces de l’ordre avec des armes de guerre, le tribunal relève qu’ils avaient pour objectif d’intimider une population et de « terroriser les mécréants ». Heureusement, aucun policier n’était mortellement touché. L’absence de conséquence mortelle résultait de circonstances indépendantes de la volonté des tireurs.

Pour ces faits, Salah Abdeslam et Sofien Ayari étaient prévenus de deux chefs. D’abord, pour avoir tenté de commettre un assassinat sur la personne de plusieurs membres de la section DR 3 de la police judiciaire fédérale de Bruxelles, de deux policiers français présents dans le cadre d’une équipe commune d’enquête et des membres des unités spéciales de la police fédérale. Ensuite, pour avoir fabriqué, réparé, exposé en vente, vendu, cédé ou transporté, tenu en dépôt, détenu ou été porteur d’armes réputées prohibées, en l’espèce deux fusils d’assaut. En raison du contexte de leur commission, il s’agit de deux infractions terroristes, ainsi que le prévoit l’article 137-2, 9°, du code pénal.

L’infraction relative aux armes ne soulève guère de difficulté, étant précisé que les prévenus ne contestaient pas avoir logé dans cet appartement où ils savaient que des armes de guerre étaient stockées. En outre, les armes avaient été détenues et transportées depuis plusieurs semaines entre différents lieux dans lesquels les prévenus étaient hébergés.

Durant toute la procédure, Salah Abdeslam faisait usage de son droit au silence. La juridiction, sans remettre en cause ce droit, souligne que cette attitude peut laisser craindre qu’il n’ait pas pris la juste mesure de la gravité de son comportement, voire qu’il s’enferme dans le mutisme pour des raisons idéologiques. De son côté, Sofien Ayari finissait par admettre qu’il était effectivement présent dans l’appartement au moment de la perquisition. Il reconnaissait avoir pris la fuite avec Salah Abdeslam après les premiers tirs en empruntant la fenêtre située à l’arrière de l’appartement. Les prévenus étaient porteurs, à ce moment-là, d’une kalachnikov et deux chargeurs. Pour autant, Sofien Ayari niait avoir participé à des faits de terrorisme. La défense de Salah Abdeslam contestait également le caractère terroriste des incriminations retenues en s’appuyant sur l’absence de dol spécial.

Au contraire, le tribunal considère que tous les éléments constitutifs de la tentative d’assassinat à caractère terroriste sont caractérisés. L’aspect le plus intéressant de la motivation – car c’est celui qui était contesté par les prévenus – concerne évidemment le caractère terroriste des faits. Sur ce point, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles rappelle à juste titre que la nature terroriste d’un groupement peut être déduite de tout élément révélant un ralliement de certains de ses membres à des groupes ou associations figurant sur les listes des organisations terroristes dès lors que cette nature est confirmée par des éléments de fait ressortant du dossier. En s’appuyant sur des précédents jurisprudentiels, le tribunal rappelle qu’il a déjà été jugé que l’allégeance à l’EI, l’instauration d’un régime islamiste appliquant la charia par le biais de la violence sont par exemple des signaux de l’intention terroriste d’un groupement.

Précisément, la juridiction s’appuie sur deux arrêts de la cour d’appel de Bruxelles du 14 avril 2016 et de la cour d’appel de Liège du 30 juin 2016 pour affirmer que l’EI est un groupe terroriste visé par l’article 139 du code pénal. La juridiction précise à cet effet que l’EI « au-delà de ses actions militaires menées par de petites unités très mobiles et souvent composées de combattants aguerris et fanatiques, mise en grande partie son autorité sur la terreur causée à ses adversaires par la cruauté dont ses membres font preuve à l’égard de leurs ennemis mais également à l’égard des personnes dont le comportement va à l’encontre des règles de la charia imposée strictement par l’EI ». Deux éléments factuels doivent également être signalés. Premièrement dans l’appartement perquisitionné un drapeau de l’EI était retrouvé accroché au mur dans la pièce principale. Deuxièmement, au moment de la perquisition, les enquêteurs étaient depuis plusieurs mois à la recherche de Salah Abdeslam et d’autres membres de la cellule terroriste ayant orchestré ces attentats depuis la Belgique. En outre, et contrairement à ce qu’avançait le prévenu, Sofien Ayari évoluait incontestablement dans la mouvance du groupe terroriste EI et était régulièrement en contact avec des membres de cette organisation en Syrie.

Il revenait évidemment à la juridiction de déterminer le degré de participation des prévenus dans la fusillade. En effet, trois personnes étaient présentes dans ce logement : les deux prévenus mais aussi Mohamed Belkaid, décédé lors de l’assaut. Le tribunal relève opportunément que les trois individus, galvanisés par une idéologie salafiste radicale, affrontaient les policiers et faisaient feu avec des armes de guerre et des kalachnikovs dès l’ouverture de la porte de l’appartement et sans aucune sommation préalable. Ces agissements, qui étaient « de nature à porter gravement atteinte à la Belgique », s’inscrivaient dans un contexte de préméditation. En effet, la présence de nombreuses armes et munitions dans l’appartement montre que les prévenus avaient manifestement anticipé une intervention policière. En outre, Salah Abdeslam savait qu’il était recherché depuis plusieurs mois par la police à la suite des attentats de Paris et s’était préparé à se défendre en cas d’intervention policière.

Le tribunal a suivi les réquisitions du ministère public en condamnant chacun des prévenus à vingt ans d’emprisonnement. Sur le choix de la peine, la juridiction souligne que les prévenus ont affiché un complet mépris pour la vie d’autrui mais également pour les règles les plus essentielles de la vie en société. En outre, « leur ancrage dans le radicalisme ne fait aucun doute et ne permet pas au tribunal d’avoir tous ses apaisements quant à leur vision actuelle de l’Islam et, partant, quant à leurs intentions et agissements futurs ».