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La confidentialité dans la prévention des difficultés des entreprises : nouvelle illustration

La liberté de la presse cède devant l’exigence de confidentialité lorsque les articles litigieux avaient divulgué les détails de procédures de prévention non pas dans un objectif légitime d’information du public mais pour satisfaire les intérêts d’un public spécialisé, une telle divulgation risquant de compromettre gravement le déroulement et l’issue de la procédure préventive.

par Georges Teboulle 5 mars 2019

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt important sur la confidentialité de la prévention. Il s’agissait d’un pourvoi formulé contre un arrêt de la cour d’appel de Paris (Paris, pôle 1, ch. 2, 20 avr. 2017, n° 16/02849) dont la motivation a été approuvée par la haute juridiction.

D’un côté, un site d’informations financières en ligne soutenait qu’il avait communiqué des informations dans le cadre de la liberté de la presse, en nourrissant un débat d’intérêt général sur les difficultés d’une entreprise avec ses répercussions sur l’emploi et l’économie nationale. De l’autre, le conciliateur et le débiteur soutenaient que la communication d’informations précises sur la situation de l’entreprise (des données financières chiffrées, l’évolution des négociations dans le cadre d’une mesure de prévention amiable) causait un tort considérable à l’entreprise en ébruitant ces difficultés, de sorte qu’ils avaient demandé le retrait de l’ensemble des articles.

Rappelons que la prévention est protégée, en principe, par la confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du code de commerce, qu’il s’agisse d’une conciliation ou d’un mandat ad hoc, cette confidentialité étant applicable à toute personne appelée à la procédure ou qui, par ses fonctions, a eu connaissance des informations communiquées à cette occasion.

Ce débat n’était pas nouveau (Com. 15 déc. 2015, n° 14-11.500 P, Dalloz actualité, 17 déc. 2015, obs. A. Lienhard ; ibid. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2016. 193, obs. P. Roussel Galle ; RTD com. 2016. 191, obs. F. Macorig-Venier ). Cet arrêt du 15 décembre 2015 avait considéré que le caractère confidentiel des procédures de prévention faisait obstacle à la diffusion par voie de presse à moins qu’elle ne contribue à la nécessité d’informer le public sur une question d’intérêt général.

Le conflit entre la confidentialité attachée à la conciliation et le principe de la libre diffusion des informations pour préserver l’intérêt général était donc patent. La Cour de cassation a mis bon ordre en fixant des critères clairs d’appréciation. Elle a, en effet, considéré qu’il convient de vérifier que la mesure de retrait et d’interdiction demandée poursuit un but légitime et qu’elle est proportionnée à ce but. La cour d’appel avait donc examiné le contenu des articles litigieux pour vérifier s’il s’agissait ou non d’un débat d’intérêt général au regard des répercussions économiques et sociales que ces difficultés pouvaient entraîner.

En outre, il convenait de vérifier si la mesure sollicitée était nécessaire dans une société démocratique au sens de l’article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme. Rappelons que cet article protège le droit de toute personne à la liberté d’expression, ce qui comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. L’exercice de ces libertés peut être soumis à des restrictions ou sanctions prévues par la loi, constituant des mesures nécessaires dans une société démocratique, tenant notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

La liste des contentieux est longue, la presse ayant invoqué à plusieurs reprises cette liberté pour pouvoir communiquer des éléments confidentiels, par exemple la copie d’avis d’imposition d’un important dirigeant de société lorsqu’il avait été question d’augmenter les salaires des salariés de l’entreprise. Un important contentieux est né aussi en ce qui concerne la protection de la vie privée. En l’espèce, la confidentialité est expressément prévue par un texte et elle doit donc être protégée.

La Cour de cassation a retenu que les articles litigieux n’étaient pas de nature à nourrir un débat d’intérêt général sur les difficultés d’un grand groupe industriel mais tendaient principalement à satisfaire les intérêts des abonnés, public spécialisé dans l’endettement des entreprises. La publication risquait de ce fait de causer un préjudice considérable aux sociétés du groupe ainsi qu’aux parties appelées à la procédure de prévention amiable. En conséquence, le déroulement de la prévention pouvait être gravement compromis ainsi que son issue. Les juges d’appel ont donc, selon la Cour de cassation, justement appliqué l’article 10 de la Convention européenne.

Il faut reconnaître que ce débat est délicat. En effet, si une entreprise importante subit des difficultés, cela peut selon sa taille, sa place sur le marché, avoir des répercussions sur l’intérêt général et notamment, sur la situation de l’emploi. Cela aurait cependant pour conséquence qu’une entreprise importante ne pourrait bénéficier que d’une confidentialité atténuée, ce qui serait absurde en regard de l’objectif poursuivi par la loi française. En effet, la confidentialité a pour objet de ne pas ébruiter les difficultés d’une entreprise et de ne pas permettre à des tiers de bénéficier d’informations dans leur intérêt exclusif, par exemple aux fins de publication ou dans le cadre d’un délit d’initié.

Les praticiens connaissent bien la question : les grandes banques ont choisi de constituer des services d’affaires spécifiques, spécialement dédiés au suivi des procédures de prévention et ces personnes savent qu’elles doivent respecter la confidentialité, non seulement dans l’intérêt du débiteur, mais aussi dans l’intérêt des créanciers qui n’ont pas intérêt à ce que la situation de leur débiteur soit aggravée. Il est donc essentiel que les négociations se poursuivent dans des conditions de confidentialité permettant d’assurer la protection de l’entreprise mais aussi des parties qui négocient, afin que les clients et les fournisseurs ne se détournent pas de l’entreprise.

L’appétence au risque est cette matière problématique et la confidentialité paraît donc être de nature à protéger l’entreprise fragilisée par sa difficulté. Il est donc heureux que la Cour de cassation ait considéré que la confidentialité légalement prévue doit être protégée, d’une manière forte, ce qui ne revient évidemment pas à nier les droits de la presse et de sa liberté. Ces droits doivent en effet être relativisés ainsi que l’a prévu la Convention européenne.

Il convient donc de saluer cette décision qui encourage le recours à la prévention, la saisine en amont du juge de la prévention étant de nature à favoriser un redressement plus efficace des entreprises en difficulté.

En cette matière, la sanction aussi doit être préventive et la règle doit être dissuasive. Cela implique que des dommages et intérêts suffisamment importants soient calculés, ce qui n’est guère évident, dans la mesure où la situation de difficulté préexiste. En l’espèce, la sanction du retrait des articles, si elle est un pris aller, ne règle rien : l’information a déjà été communiquée et le mal est fait.

Il faudra donc aller plus loin, vers une meilleure réparation, dissuasive et proportionnée.