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Consécration du réputé non écrit partiel en matière de clause d’exclusion de SAS : petite révolution

Il résulte de la combinaison des articles 1844 et 1844-10 du code civil et l’article L. 227-16 du code de commerce : « que si les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent prévoir l’exclusion d’un associé par une décision collective des associés, toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet ou pour effet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de voter sur cette proposition est réputée non écrite ».

1 - Trois arrêts ont été rendus le même jour sur le thème des nullités en droit des sociétés par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com. 29 mai 2024, n° 21-21.559 F-B, n° 22-13.710 FS-B et n° 22-13.158 FS-B, D. 2024. 1016 ). Trois arrêts importants, indéniablement, mais trois arrêts parmi lesquels un, en particulier, mérite une attention accrue, en raison de ses incidences pour la pratique des SAS d’abord, pour le droit commun des sociétés ensuite (n° 22-13.158). La chambre commerciale fait en effet évoluer sa jurisprudence s’agissant de l’étendue de la sanction du réputé non écrit des clauses d’exclusion comportant une stipulation privant l’associé concerné par la décision collective de son droit de vote.

2 - Il convient de préciser immédiatement que jusqu’à présent, elle jugeait qu’une telle clause, contraire à l’article 1844, alinéa 1er, disposition légale impérative, devait être « pour le tout réputée non écrite » (Com. 9 juill. 2013, nos 11-27.235 et 12-21.238 P, Dalloz actualité, 17 juill. 2013, obs. A. Lienhard ; D. 2013. 2627, note F. Ait-Ahmed ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2014. 40, note J.-J. Ansault ; RTD civ. 2013. 836, obs. B. Fages et H. Barbier ; JCP E 2013. 1516, note B. Dondero ; BJS 2013. 636, note D. Poracchia ; Gaz. Pal. 17 sept. 2013. 22, note A.-F. Zattara-Gros ; RLDC oct. 2013, n° 108, p. 3, obs. J. Mestre). Par la suite, elle avait même précisé qu’ayant été prise sur le fondement d’une clause réputée non écrite, la décision collective d’exclusion était nulle, « peu important que l’associé concerné ait été admis à prendre part au vote » (Com. 6 mai 2014, n° 13-14.960, D. 2014. 1485 , note B. Dondero ; Rev. sociétés 2014. 550, note P. Le Cannu ; BJS 2014. 506, note R. Mortier). La conséquence de cette jurisprudence était imparable : la clause comprenant une telle privation du droit de vote étant paralysée en entier, seule sa modification préalable pouvait en permettre l’application, à défaut de quoi toute décision d’exclusion prise sur son fondement, que l’associé votât ou non, encourait l’annulation.

3 - C’est cette jurisprudence qui est « amendée » par la Cour de cassation. Par une formulation subtile, mais déterminante, il est à présent jugé, au visa des articles 1844, alinéa 1, 1844-10 du code civil et L. 227-16 du code de commerce, que « toute stipulation de la clause d’exclusion ayant pour objet de priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de voter sur cette proposition est réputée non écrite ». « Toute stipulation de la clause » et non plus toute « la clause » statutaire : petite révolution donc, qui explique la publication de l’arrêt au Bulletin, ainsi qu’à la lettre de la chambre commerciale.

4 - À l’origine de cette solution de principe, une société coopérative d’intérêt collectif par actions simplifiée (SCICAS), dont les statuts comportaient un article 14.1 selon lequel « l’associé dont l’exclusion est susceptible d’être prononcée ne participe pas au vote relatif à son exclusion ». Le 10 octobre 2016, une mesure d’exclusion était prononcée au cours d’une assemblée des associés à laquelle l’exclu pressenti avait été convoqué et avait participé, mais, conformément à la clause litigieuse, n’avait pas été mis en mesure de prendre part au vote. En appel, la demande d’annulation qu’il avait introduite était rejetée, au motif que l’article L. 227-9 autoriserait les statuts à déroger au principe selon lequel tout associé dont l’exclusion est discutée participe au vote.

5 - L’arrêt des juges aixois est cassé. Ce n’est que dans les cas où la loi le prévoit expressément, qu’un associé peut être privé de son droit de prendre part au vote des décisions collectives. Régulièrement réaffirmée, cette solution vaut que la privation du droit vote soit directe, comme dans l’espèce commentée, ou indirecte, par exemple en présence d’une clause en vertu de laquelle « l’exclusion est décidée par les associés à la majorité prévue pour les décisions extraordinaires, calculée en excluant [les voix] de l’intéressé » (Com. 21 avr. 2022, nos 20-20.619 et 21-10.355, Rev. sociétés 2022. 475, note G. Le Noach ; JCP E 2022. 1363, obs. J.-C. Pagnucco ; JCP 2022. Actu. 1023, B. Dondero ; JCP E 2022. 1023. obs. B. Dondero ; Gaz. Pal. 31 oct. 2022, note. D. Gallois-Cochet ; BJS 2022, n° 10, p. 24, note A. Reygrobellet ; Elnet, 31 mai 2022, note E. Guégan ; Dr. sociétés 2022. Comm. 78, note N. Jullian). Après avoir présenté cet aspect classique de l’arrêt commenté, nous insisterons sur son apport : cantonner la sanction du réputé non écrit à la seule partie de la clause statutaire infectée.

Le rappel : l’article L. 227-16 ne peut fonder une privation du droit de vote de l’associé

6 - On se souvient qu’il a déjà été jugé dans un arrêt dit Arts et entreprise, au double visa des articles 1844, alinéa 1 et L. 227-16, que « si, aux termes [de l’article L. 227-16], les statuts d’une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu’ils déterminent, prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions, ce texte n’autorise pas les statuts, lorsqu’ils subordonnent cette mesure à une décision collective des associés, à priver l’associé dont l’exclusion est proposée de son droit de participer à cette décision et de voter sur la proposition » (Com. 23 oct. 2007, n° 06-16.537 P, Dalloz actualité, 25 oct. 2007, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 47 , note Y. Paclot ; ibid. 2008. 1563, chron. J. Paillusseau ; ibid. 2009. 323, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; Rev. sociétés 2007. 814, note P. Le Cannu ; RTD com. 2007. 791, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; ibid. 2008. 566, obs. C. Champaud et D. Danet ). C’est cette solution de principe qui est, sans véritable surprise, réaffirmée par la Cour de cassation. En effet, lorsque l’article L. 227-16 autorise les statuts d’une SAS à prévoir la suspension des droits non pécuniaires de l’associé concerné par une mesure d’exclusion, c’est seulement une fois la décision d’exclusion prise, pas avant. La configuration peut être différente lorsque la mesure d’exclusion est prise en application de l’article L. 227-17 (changement de contrôle de l’associé personne morale ou encore fusion, scission ou dissolution de cette société associée). Dans cette hypothèse, ce texte permet, à rebours de la précédente, d’abord de suspendre les droits non pécuniaires de l’intéressé, ensuite de prononcer son exclusion, de telle sorte que l’associé pourrait ne pas prendre part au vote de la décision d’exclusion le concernant, quand bien même elle relèverait de la compétence des associés. Cela dit, si la décision de suspension préalable est statutairement confiée à la compétence collective des associés, on en revient à la position traditionnelle : il n’est pas possible de priver l’associé concerné de son droit de vote sur cette décision de suspension.

7 - Si l’arrêt rendu est classique s’agissant de la privation du droit de vote de l’associé, le choix de l’article L. 227-16 pour censurer l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, plutôt que l’article L. 227-9, pourrait être discuté. Non pas que l’article L. 227-9 en application duquel serait prise la décision collective d’exclusion aurait une incidence sur la possibilité ou non de priver un associé de son droit de vote sur la mesure le concernant. Rédigé en des termes proches de ceux de l’article L. 227-16, en ce qu’il laisse aux statuts le soin de déterminer les conditions dans lesquelles sont prises les décisions collectives, l’article L. 227-9, alinéa 1er ne saurait autoriser, contrairement à ce que jugeait la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, une telle privation. Ici, on s’interroge plutôt sur le « bon » fondement légal à l’insertion d’une clause statutaire d’exclusion d’un associé de SCICAS, ainsi qu’au prononcé de la mesure par décision collective en application de cette clause, tant cette structure sociale est aux confins de multiples règles.

L’hésitation quant au « bon » fondement vient ici de l’article 19 quinquies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la coopération, qui fixe les règles applicables à cette forme sociale particulière. Selon ce texte, « les sociétés coopératives d’intérêt collectif sont des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés à responsabilité limitée à capital variable régies, sous réserve des dispositions de la présente loi, par le code de commerce. » Sont possiblement en concours, dans les SCICAS, trois séries de dispositions encadrant l’exclusion d’un associé, dont l’articulation envisageable peut être ainsi exposée :

  • celles propres aux SAS, inscrites aux articles L. 227-16 et L. 227-17 : l’insertion des clauses relève de l’article L. 227-19 et non de l’article L. 227-9, alinéa 1er, de même que leur mise en application repose tout entière, lorsque la décision d’exclusion est collective, sur l’article L. 227-16 et/ou L. 227-17 et non sur l’article L. 227-9, alinéa 1er ;
  • celles propres aux sociétés à capital variable, et singulièrement l’article L. 231-6, lequel devrait l’emporter (C. com., art. L. 231-1, al. 2), au moins s’agissant de l’organe compétent pour décider l’exclusion (compétence légale de la collectivité des associés), sur celles propres aux SAS, qui offrent une importante liberté de ce point de vue (tel organe ad hoc, par ex.) ;
  • celles des SCIC qui, à leur tour, doivent écarter celles des sociétés à capital variable, car plus...

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