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Contestation d’honoraires : exclusion de la tierce opposition à l’encontre de la décision du bâtonnier

Il résulte des articles 174 et 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, qui réservent l’action en contestation d’honoraires d’avocats à ces derniers et à leurs clients, et de l’article 66-5, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui prévoit que les relations entre l’avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel, que, conformément aux prévisions des articles 582 et 583 du code de procédure civile, la voie de la tierce opposition, qui tend non seulement à faire rétracter le jugement attaqué, mais également à le réformer, n’est pas ouverte contre la décision du bâtonnier saisi d’une contestation d’honoraires.

par Cécile Caseau-Rochele 26 mars 2020

Alors que l’abondant contentieux en matière de contestation d’honoraires semblait se tarir depuis quelques mois (V. nos articles, État des lieux de la jurisprudence sur les honoraires de l’avocat, D. avocats 2018. 264 ; Honoraires d’avocat : retour sur la jurisprudence récente, D. avocats 2019. 183 ), la Cour de cassation vient à nouveau de rendre un arrêt important en précisant que la tierce opposition est fermée à l’encontre de la décision du bâtonnier statuant en matière de contestation d’honoraires.

Pour rappel, selon le code de procédure civile (C. pr. civ., art. 583 s.), la tierce opposition est une voie de recours extraordinaire de rétractation ou de réformation qui permet à des tiers – qui n’étaient ni parties, ni représentés à l’instance – de défendre leurs intérêts si ces derniers sont lésés par l’exécution d’un jugement (N. Fricero et  P. Julien, Procédure civile, 5e éd., LGDJ, nos 947 s.).

En l’espèce, les tiers opposants sont des banques qui ont consenti à diverses sociétés de promotion immobilière des prêts destinés à financer l’achat de biens immobiliers et des notaires qui ont géré les ventes. À la suite de l’annulation des contrats de vente, les notaires ont été judiciairement condamnés à indemniser les sociétés de promotion immobilière, lesquelles ont été condamnées à reverser aux banques les sommes que les notaires étaient tenus de leur régler, à concurrence du capital prêté restant dû. Parallèlement, l’avocat des sociétés de promotion immobilière a fait pratiquer diverses saisies-attributions entre les mains des notaires, débiteurs de dommages-intérêts envers ses clientes, pour paiement des honoraires que lui devaient celles-ci, notamment en vertu de reconnaissances de dettes notariées du 18 janvier 2010. Ceci étant, un jugement confirmé de tribunal de grande instance, statuant sur l’action paulienne d’une des banques, a déclaré inopposables ces reconnaissances de dettes émises par les sociétés de promotion immobilière au profit de l’avocat. Entre-temps, l’avocat a saisi le bâtonnier de son ordre, à des fins de fixation d’honoraires dus par ces sociétés. Le bâtonnier les a fixés à la modique somme de 1 731 310,20 € HT. Trois mois plus tard, les banques et les notaires ont formé des recours en tierce opposition contre cette décision. Le bâtonnier les a déclarés irrecevables. Saisi de recours contre cette décision, le premier président de la cour d’appel de Paris a décidé que la tierce opposition était recevable et que la décision de fixation des honoraires était inopposable. L’avocat a donc formé un pourvoi composé de trois moyens mais dont seul le deuxième portait sur l’ouverture de la voie de la tierce opposition à l’encontre de la décision du bâtonnier. Deux arguments principaux, qui étaient articulés dans pas moins de dix branches, étaient avancés à l’appui de la cassation. Le premier consistait à affirmer que le bâtonnier n’est pas une juridiction au sens de l’article 587 du code de procédure civile et que sa décision n’est pas un jugement au sens de l’article 585 du même code. Le second portait sur le secret professionnel qui entoure la relation entre l’avocat et son client. Au triple visa des articles 66-5, alinéa 1er, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 174 et 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et 582 et 583 du code de procédure civile, la Cour de cassation casse sans renvoi la décision du premier président ayant admis la tierce opposition. Elle énonce dans un chapeau interprétatif à la fois particulièrement pédagogique et juridiquement argumenté que « les dispositions du décret susvisées réservent l’action en contestation en matière d’honoraires d’avocats à ces derniers et à leurs clients ; que, selon le premier texte, les relations entre l’avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel ; qu’il s’ensuit qu’en cette matière, la voie de la tierce opposition, qui tend non seulement à faire rétracter le jugement attaqué, mais également à le réformer, n’est pas ouverte contre la décision du bâtonnier saisi de la contestation ».

La solution n’allait pas forcément de soi d’un point de vue de purement processuel. La tierce opposition existe en effet à l’encontre de tout jugement, sauf si la loi en dispose autrement (C. pr. civ., art. 585). Or en l’absence de toute autre précision, il était techniquement concevable d’admettre que la décision du bâtonnier puisse être analysée au sens large comme un jugement de sorte que le recours de la tierce opposition soit recevable. Le pourvoi défendait la thèse inverse soutenant que le bâtonnier n’a tranché aucun litige de sorte que sa décision n’est pas un jugement. Le pourvoi relançait également le débat sur les pouvoirs juridictionnels du bâtonnier. La loi du 31 décembre 1971 ne lui ayant pas clairement donné de tels pouvoirs (D. Piau, La schizophrénie kafkaïenne de la procédure de recouvrement d’honoraires, Gaz. Pal. 7 mai 2013, p. 9), les Hautes juridictions ont été amenées à se prononcer. Saisie d’une demande d’avis, la Cour de cassation a considéré que le bâtonnier statuant en matière d’honoraires n’est pas une juridiction au sens de l’article L. 151-1 (devenu art. L. 441-1) du code de l’organisation judiciaire (Cass., avis, 16 nov. 1998, n° 09-80.010). Le Conseil d’État lui a également dénié un caractère juridictionnel (CE 2 oct. 2006, n° 282028, Lebon ; AJDA 2007. 645 , note A.-L. Debono ; ibid. 2006. 1870 ; D. 2006. 2710 , concl. Y. Aguila ; ibid. 2007. 1380, obs. P. Julien ). Par ailleurs la Cour de cassation a écarté plusieurs fois les règles générales du code de procédure civile en la matière, notamment les articles 47 (Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 99-11.897, D. 2001. 3089, et les obs. ), 46 (Civ. 1re, 13 mai 2003, n° 00-18.184, D. 2003. 1545, et les obs. ) et plus récemment 58 (Civ. 2e, 24 mai 2018, n° 17-18.458 et 17-18.504, D. 2018. 1159 ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers ), semblant admettre que le bâtonnier n’est pas une juridiction, sans pour autant le dire expressément (v. notre commentaire, JCP 2018. 690). Force est de constater qu’une fois encore la Cour de cassation évite finalement de se positionner sur ces deux questions. En tout état de cause, la solution renforce à nouveau la spécificité de l’action en contestation d’honoraires prévue par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991.

La solution est en réalité fondée sur la nécessité de garantir la préservation du secret professionnel. Le secret professionnel fait donc obstacle à la tierce opposition. Cette dernière aurait en effet supposé de remettre au fond l’examen du dossier de sorte qu’il pouvait potentiellement y avoir un risque de divulgation d’informations couvertes par le secret professionnel. La solution est opportune. Le secret professionnel - pleinement consacré par les textes (C. pén., art. 226-13 ; RIN, art. 2, 6, 14, 15, 16, 18, 21 ; L. 31 déc. 1971, art. 66-5) – est en effet une condition essentielle à l’exercice de la profession en inspirant la confiance du client (également en ce sens, T. Revet, Déontologie de la profession d’avocat, LGDJ 2019, n° 260). À ce titre, il doit être absolu.

La solution n’est néanmoins pas exempte de toute critique. Écarter le recours de la tierce opposition peut avoir pour inconvénient de laisser une décision manifestement obtenue par fraude produire des effets juridiques. Ce faisant, la victime de la fraude dispose encore d’autres voies d’action, notamment en exerçant une action en responsabilité. Bien mal acquis ne devrait finalement pas profiter.