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Le contrat d’assurance vie « Himalia » : ni Himalaya, ni Everest de l’information à l’horizon !

Pour retenir que le souscripteur n’avait pas abusé de son droit de renonciation, les juges du fond doivent constater, au regard de sa situation concrète, que le souscripteur n’était pas parfaitement informé des caractéristiques essentielles de l’assurance vie souscrite lorsqu’il avait exercé son droit de renonciation. Ils apprécient souverainement que, dans ces conditions, l’assureur échouait à rapporter la preuve qui lui incombe que le souscripteur l’avait détourné de sa finalité, en en ayant fait usage dans le seul but d’échapper à l’évolution défavorable de ses investissements, comme il le soutenait.

par Rodolphe Bigotle 4 juillet 2019

Une personne a souscrit le 7 août 2007 auprès d’un assureur un contrat d’assurance sur la vie intitulé « Himalia ». Elle y a versé la somme de 63 270 €, investie sur des supports en unités de compte. Le 9 septembre 2013, elle a exercé la faculté de renonciation prévue à l’article L. 132-5-2 du code des assurances. À cet effet, la souscriptrice a invoqué le non-respect par l’assureur de son obligation précontractuelle d’information, à raison de plusieurs manquements aux conditions légales de forme et de fond des articles L. 132-5-2 et A. 132-4 du code des assurances lors de la conclusion du contrat (notamment l’absence d’encadré informatif en principe inséré en début de proposition d’assurance ou de projet de contrat). Ce dernier n’a pas donné suite à cette demande. La souscriptrice l’a assigné en restitution des sommes versées, déduction faite des rachats partiels opérés à hauteur de 24 825 €.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt confirmatif du 30 janvier 2018, a condamné l’assureur à restituer à la souscriptrice la somme de 38 445 €, avec intérêts au taux légal majoré. Au soutien d’un moyen unique, formulé en dix branches, la société d’assurance a formé un pourvoi formé en cassation. Par un arrêt rendu le 13 juin 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi réalisé par l’assureur (Civ. 2e, 13 juin 2019, F-P+B+I, n° 18-14.743).

À ce titre, on apprend que la cour d’appel avait retenu « que l’information précontractuelle délivrée à [la candidate à l’assurance] avant la souscription du contrat « Himalia » ne satisfaisait ni dans sa forme ni par son contenu aux exigences des articles L. 132-5-2 et A. 132-4 du code des assurances, et énoncé que le détournement de la finalité du droit de renonciation ne peut être le fait que d’un investisseur parfaitement informé, qu’il l’ait été avant la souscription du contrat ou par la suite, l’abus ne pouvant se déduire du simple fait que le souscripteur décide de renoncer grâce à la prorogation du délai alors que son placement a subi des pertes ou même qu’il ait manifesté son mécontentement avant de renoncer à son contrat, ni seulement du temps s’étant écoulé depuis la souscription ».

Puis, la cour d’appel avait relevé que la souscriptrice, « qui avait exploité une brasserie et dont la profession ne la prédisposait nullement à avoir une connaissance particulière des mécanismes de l’assurance vie ou du contrat souscrit, était un investisseur profane, sans que la présence à ses côtés d’un courtier, lors de cette souscription ou à l’occasion des rachats, puisse lui conférer la qualité d’avertie, et qu’il ne pouvait se déduire des opérations pratiquées sur le contrat, lesquelles n’ont consisté qu’en des rachats, programmés ou ponctuels, ou de la lettre qu’elle a adressée à l’assureur le 13 juin 2012 pour exprimer son mécontentement quant à l’évolution défavorable de ses investissements, en des termes qui traduisent au contraire sa mauvaise compréhension des produits structurés sur lesquels ses fonds avaient été placés, qu’elle ait eu une telle connaissance ».

Dès lors, la Haute juridiction a jugé que la cour d’appel a légalement justifié sa décision et a pu déduire de ces éléments que la souscriptrice n’avait pas abusé de son droit de renonciation. La juridiction du fond a ainsi légitimement constaté, « au regard de sa situation concrète, que [la souscriptrice] n’était pas parfaitement informée des caractéristiques essentielles de l’assurance vie souscrite lorsqu’elle avait exercé son droit de renonciation, et souverainement estimé que, dans ces conditions, l’assureur échouait à rapporter la preuve qui lui incombe que [la souscriptrice] l’avait détourné de sa finalité, en en ayant fait usage dans le seul but d’échapper à l’évolution défavorable de ses investissements » (Civ. 2e, 13 juin 2019, F-P+B+I, n° 18-14.743, D. 2019. 1281 ).

Dans un second arrêt, rendu le même jour et ayant trait à un problème de droit similaire, la Haute juridiction a conclu que non seulement à eux seuls les manquements de l’assureur à son obligation d’information lors de la souscription du contrat ne suffisent pas à exclure un détournement de la finalité de l’exercice par l’assuré de la faculté de renonciation ainsi prorogée, susceptible de caractériser un abus de ce droit, mais encore les juges du fond auraient dû rechercher à la date d’exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète de la souscriptrice, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont elle disposait réellement, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation et s’il n’en résultait pas l’existence d’un abus de droit (Civ. 2e, 13 juin 2019, F-P+B+I, n° 18-17.907, Dalloz actualité, à paraître).

L’information prescrite dans le droit commun des assurances est renforcée dans le droit spécial des assurances, notamment dans le contrat d’assurance vie (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Le contrat d’assurance, contrat institutionnalisé, in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre. Liber amicorum, LGDJ, Lextenso éd., 2019, p. 33 s., spéc. p. 100). Depuis 2016, sous la pression contentieuse persistante des assureurs, la jurisprudence a admis de restreindre le champ d’application de la sanction aux manquements à leurs obligations d’informations, négligences qui se présentaient pourtant à certaines occasions sans modération (R. Bigot, La Cour de cassation, maîtresse d’école de l’assureur-cancre en arithmétique dans la rédaction des contrats d’assurance vie, inédit, bjda.fr 2017, n° 54, p. 5 s.).

À cet effet, la Cour de cassation a retenu que « si la faculté prorogée de renonciation prévue par [l’article L. 132-5-2 du code des assurances, dans sa rédaction applicable], en l’absence de respect, par l’assureur, du formalisme informatif qu’il édicte, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d’assurance, son exercice peut dégénérer en abus (Civ. 2e, 19 mai 2016, n° 15-12.767, D. 2016. 1797 , note L. Perdrix ; ibid. 2017. 1213, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ; RTD civ. 2016. 605, obs. H. Barbier ; RGDA sept. 2016, n° 113s4, p. 438, note J. Kullmann ; JCP 2016. 811, note L. Mayaux ; ibid. 916, note D. Noguéro ; www.actuassurance.com avr.-mai 2016, n° 46, act. jurispr., note M. Robineau ; Civ. 2e, 9 juin 2016, n° 15-20.218, RGDA 2016. 438, note J. Kullmann ; 17 nov. 2016, n° 15-20.958, D. 2017. 1213, obs. M. Bacache, L. Grynbaum, D. Noguéro et P. Pierre ).

Dernièrement, éclairés par la doctrine (D. Noguéro, La bonne foi comme condition de la prorogation du droit de renonciation en assurance vie. Entre l’amont et l’aval, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, PUAM, 2015-4, p. 1425 s., spéc. p. 1508-1509), les magistrats du quai de l’horloge ont dessiné plus distinctement les contours de l’obligation et de la sanction. Il en résulte que les juges du fond doivent rechercher à la date d’exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète du souscripteur, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont il disposait réellement, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation et s’il n’en résultait pas l’existence d’un abus de droit (Civ. 2e, 7 févr. 2019, F-P+B+I, n° 17-27.223, Dalloz actualité, 27 févr. 2019, obs. R. Bigot isset(node/194399) ? node/194399 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>194399). La Cour de cassation a précisé que l’abus s’apprécie au moment où le preneur d’assurance exerce cette faculté (Civ. 2e, 28 mars 2019, F-P+B, n° 18-15.612, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. R. Bigot isset(node/195445) ? node/195445 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195445).

Dans l’affaire commentée enfin, il revient à l’assureur d’établir la preuve du détournement de la finalité du droit de renonciation par l’assuré, pour pouvoir en déduire un abus de ce droit qui lui servirait à échapper à l’évolution défavorable de ses investissements. Or pareil abus n’est pas admissible lorsque, concrètement, l’assuré n’était pas parfaitement informé des caractéristiques essentielles de l’assurance vie souscrite lorsqu’il avait exercé son droit de renonciation.

En l’espèce, il n’y avait aucune montagne informative pour l’assuré à l’horizon ! Pour le souscripteur d’une police d’assurance vie « Himalia », le voyage contentieux ne lui aura fait découvrir ni l’Himalaya, ni l’Everest ! L’introduction prochaine de la faute lucrative, sous le format de l’amende civile, sera peut-être plus à même de dissuader certaines pratiques.

Rappelons néanmoins que l’encours des contrats d’assurance vie (provisions mathématiques + provisions pour participation aux bénéfices) s’élève à 1 739 milliards d’euros à fin mai 2019, en progression de 2 % sur un an (Assurance vie : Collecte nette positive en mai 2019). Et pour Bernard Spitz, président de la Fédération Française de l’Assurance : « Avec 54 millions de contrats et 38 millions de bénéficiaires, l’assurance vie reste le placement favori des Français. Face aux incertitudes de l’avenir, ce produit protège l’épargne en offrant les meilleures garanties de long terme, et remplit son rôle de financeur de l’économie » (Chiffres de l’assurance vie 2018 : la collecte nette s’élève à 22,4 milliards d’euros, un résultat annuel encourageant en dépit d’un mois de décembre négatif).

Plus profondément, derrière la déception que génèrent ces pratiques auprès de la clientèle, celles-ci forment encore un puissant dissolvant de la confiance au sein de cette autre forme de solidarité qui « caractérise aussi, de façon détournée, le droit des assurances où, par le jeu de la mutualisation, se met en place une action de prévoyance volontaire décidée par les membres d’un groupe qui, moyennant le payement d’une cotisation ou d’une prime recognitive d’appartenance ou de participation, se protègent réciproquement, par l’intermédiaire d’une gestion professionnalisée, contre certains risques ou se promettent des prestations déterminées » (M. Grégoire, Immanence et transcendance de la solidarité, Revue de Droit Henri Capitant, 2018 /n° 13, p. 97 s., spéc. p. 100).