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Contrôles d’identité : illégalité du cumul de réquisitions conduisant à un contrôle généralisé

La succession ininterrompue de trois réquisitions de contrôles d’identité dans les mêmes lieux conduisant à un contrôle unique de trente-six heures, généralisé dans le temps et l’espace, est contraire à l’article 78-2, alinéa 7, du code de procédure pénale. 

par Sébastien Fucinile 29 mars 2018

La première chambre civile, par un arrêt du 14 mars 2018, a considéré que la succession ininterrompue de trois réquisitions de contrôles d’identité dans les mêmes lieux conduisant à un contrôle unique de trente-six heures, était un contrôlé généralisé dans le temps et l’espace et, en ce sens, contraire à l’article 78-2, alinéa 7, du code de procédure pénale. Pour fonder cette solution, la Cour de cassation a visé l’article 78-2, alinéa 6, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, correspondant depuis cette loi à l’alinéa 7.

La première chambre civile a également visé la réserve d’interprétation émise pour déclarer cet alinéa constitutionnel (v. Cons. const. 24 janv. 2017, n° 2016-606/607 QPC, Dalloz actualité, 26 janv. 2017, obs. M.-C. de Montecler ; AJ pénal 2017. 239, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2017. 184, chron. ), à savoir que « les dispositions de ce texte ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’aller et de venir, autoriser le procureur de la République, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, à requérir des contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace ». Cette décision, concernant les contrôles d’identité requis par le ministère public pour la recherche de certaines infractions déterminées, appelle quelques observations.

L’article 78-2, alinéa 7, du code de procédure pénale, qui était auparavant, sans qu’il ne soit modifié, l’alinéa 6, concerne les contrôles d’identité requis par le ministère public. Cet alinéa dispose que « Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ». La difficulté, concernant cet alinéa, est qu’il ne précise rien quant à la durée de tels contrôles, contrairement aux contrôles Schengen (C. pr. pén., art. 78-2, al. 8 s.) ou à ceux relatifs à la recherche d’infractions de terrorisme ou d’autres infractions délimitées (C. pr. pén., art. 78-2-2). Pour cette raison, la réserve émise par le Conseil constitutionnel était bienvenue afin de ne pas contourner par cet alinéa 6, devenu l’alinéa 7, les limites posées pour les autres types de contrôles d’identité.

Il résulte ainsi de la décision de la première chambre civile qu’un contrôle d’identité pris sur réquisitions du procureur de la République d’une durée totale de trente-six heures dans une même zone couvrant six arrondissements parisiens est constitutif d’un contrôle généralisé dans le temps et dans l’espace. La durée de trente-six heures au sein d’un même lieu peut déjà apparaître excessive, compte tenu de la limite de vingt-quatre heures, certes renouvelable, prévue à l’article 72-2-2. Mais cette durée a, en l’espèce, été conjuguée à une grande étendue spatiale du contrôle, s’étendant sur toute une partie de Paris. La Cour de cassation n’a à cet égard pas tenu compte de la motivation des contrôles d’identité pour le déclarer contraire à l’article 78-2, alinéa 6 ancien (sur la violation de cet article par des réquisitions insuffisamment motivées, v. Civ. 2e, 4 mars 1999, n° 97-50.086, D. 1999. 89 ). Elle ne s’est pas non plus fondée sur le cumul en tant que tel de réquisitions différentes, qui a pu être considéré comme contraire à l’article 78-2 en ce qu’il empêche l’avocat de la personne interpellée de contrôler effectivement la régularité de la procédure (Civ. 1re, 3 févr. 2010, n° 08-21.419, Dalloz actualité, 17 mars 2010, obs. S. Lavric ; ibid. 2868, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ).

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 24 janvier 2017, a très précisément affirmé dans sa réserve d’interprétation que les dispositions en cause ne sauraient « autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace ». Les contrôles portant sur un même lieu et sur des périodes successives ont ainsi abouti à un contrôle généralisé tout à la fois dans le temps et dans l’espace. Le seul fait de prendre de telles réquisitions sur une longue durée en lieu très restreint ou sur une durée brève en des lieux très étendus, peut être considéré comme contraire à l’article 78-2 au sens de la réserve d’interprétation.