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De la difficulté d’évaluer les convictions extrémistes d’un fonctionnaire allemand

La Cour administrative fédérale allemande a mis un terme à une affaire embarrassante pour les forces de l’ordre en révoquant définitivement un policier aux solides convictions néo-nazies.

par Gilles Bouvaistle 6 décembre 2017

Voilà dix ans que l’affaire embarrasse la justice allemande : que faire d’un policier arborant des convictions néo-nazies ? Le cas d’un fonctionnaire berlinois de 43 ans n’avait jusqu’ici pas été tranchée par la justice, en dépit d’éléments à charge : tatouages de runes nordiques et de notes de l’« Horst-Wessel-Lied » (l’hymne national-socialiste) ; participation à plusieurs CD de rock identitaire ; découverte à son domicile de photos le représentant en train d’effectuer un salut hitlérien, entre des portraits du Führer et d’autres objets telle cette tasse proclamant « Rudolf Hess 1894-1987, pour toujours dans nos cœurs »… Autant d’indices relevant de ce que le code pénal allemand qualifie, dans son article 86, de « port de symboles d’organisations anticonstitutionnelles », délit passible – s’il se produit sur le territoire allemand – d’une peine allant d’un à trois ans de prison. De quoi, aussi, entrer en conflit avec l’obligation de loyauté à l’ordre constitutionnel qui incombe aux fonctionnaires de police outre-Rhin : l’article 33 de la loi régulant le statut des fonctionnaires (Beamtenstatusgesetz) précise qu’ils « doivent remplir leur tâche au-delà des partis et équitablement, pour le bien de la communauté » et « se revendiquer des principes démocratiques et libéraux, dans le sens que leur donne la Constitution ».

Dès 2007, les services de renseignements du Land de Berlin réclament l’ouverture d’une procédure pour incitation à la haine raciale (Volksverhetzung). Le policier est suspendu, mais continue à bénéficier de son solde pendant dix ans. Son recours contre l’État-région de Berlin passe devant le tribunal administratif, puis devant la Cour supérieure régionale avant de se retrouver devant la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht). Cette dernière a fini par valider définitivement la suspension du policier.

Jusqu’ici, la procédure avait buté sur les circonstances. Le tribunal administratif de Berlin avait par exemple considéré que « le simple fait de porter sur le corps des tatouages représentant des symboles anticonstitutionnels, s’ils ne sont pas exposés publiquement, ne constitue pas un critère suffisant pour déterminer une violation du serment » : ses tatouages étant cachés par son uniforme, « l’accusé ne revendique pas de façon visible extérieurement ses convictions anticonstitutionnelles ». De même, poursuit le tribunal, si des photos le représentent en train d’effectuer un salut nazi pendant un concert, « en dépit du caractère anticonstitutionnel prouvé du geste, le lieu où s’est produit cet événement est inconnu » (le prévenu ayant plaidé avoir oublié, du fait de son état d’ébriété, où avait eu lieu ce concert). Mais « de nombreux indices tendant à prouver que celui-ci a dû se produire à l’étranger, un comportement pénalement répréhensible ne peut être prouvé ».

Le corps comme medium

À rebours de ces arguments, la Cour administrative fédérale a adopté une autre perspective. Comme le souligne Sarah Nussbaum, juriste spécialisée dans le droit des fonctionnaires au sein du cabinet Hostegs, à Düsseldorf : « Elle n’a pas estimé que les décisions des autres juridictions étaient fausses, mais elle a simplement dressé une autre évaluation. La Cour a dressé un bilan global de ses différents comportements : plutôt que d’isoler les différents faits reprochés au policier ».

Ce que montre notamment l’évaluation des tatouages du prévenu dans la décision de la Cour administrative fédérale : « bien qu’un tatouage représente d’abord un ornement corporel, celui-ci transforme le corps en moyen de communication. […] Si un fonctionnaire s’identifie avec une organisation ou une idéologie anticonstitutionnelles au point de faire tatouer les symboles qui les représentent, il tire une conséquence visible de sa conviction ». Cet ensemble de facteurs « doit être considéré, au travers de l’engagement documenté par ses tatouages, comme un refus fondamental et durable des principes de l’ordre constitutionnel qui conduit à l’écarter de la fonction publique », conclut la Cour.

La décision de la Cour administrative fédérale intervient dans un contexte délicat pour les institutions régaliennes outre-Rhin : le soupçon quant à la prégnance des idées d’extrême droite au sein des forces de l’ordre n’a cessé de croître, à l’instar de l’affaire du soldat Franco A. Ce soldat de la Bundeswehr aux convictions d’extrême droite projetait de commettre un attentat en se faisant passer pour un réfugié. Pour ce faire, il avait profité des dysfonctionnements de l’administration allemande en se faisant enregistrer comme demandeur d’asile syrien et menant une double vie, jusqu’à la découverte du pot aux roses. À la suite de cette affaire, une enquête au sein de l’institution militaire avait jeté une lumière crue sur l’ampleur de l’idéologie radicale chez les conscrits allemands. De même, la présence au sein des forces de l’ordre des « Reichsbürger », ces militants d’extrême-droite qui nient l’autorité de la République fédérale, suscitent l’inquiétude du ministère fédéral de l’Intérieur.