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Déclaration d’appel et mention de l’organe représentant une société : rappels

Dès lors qu’une société dispose d’un droit propre à relever appel, l’absence de mention de l’organe la représentant légalement constitue un vice de forme et l’acte d’appel, même entaché d’un vice de procédure, interrompt le délai de forclusion de sorte qu’une régularisation peut intervenir après l’expiration du délai pour former l’appel.

par Romain Lafflyle 6 juillet 2018

Sur déclaration de cessation des paiements de l’un des cogérants, une société est placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion et appel est interjeté par cette société contre le jugement arrêtant le plan. La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion estime que la déclaration d’appel doit contenir, à peine de nullité, l’indication de l’organe qui représente la personne morale et que le cogérant, qui avait en l’espèce conservé la maîtrise de certains actes de nature personnelle, n’avait pas relevé appel du jugement. La cour observe que la déclaration d’appel précise le nom de la société sans aucune autre mention, tandis qu’elle aurait dû faire état, par mention expresse, de l’usage du droit propre du débiteur. La cour d’appel ajoute que les conclusions désignant pour la première fois ce cogérant aux côtés de la société avaient été notifiées bien après l’expiration du délai pour former appel de sorte que la régularisation était intervenue hors délai. Visant le défaut de pouvoir de la personne représentant la personne morale au visa de l’article 117 du code de procédure civile, la cour d’appel déclare nulle la déclaration d’appel comme entachée d’une nullité de fond. Le demandeur au pourvoi ne se priva pas d’invoquer les deux moyens d’évidence qui s’offraient à lui : la cour ne pouvait en premier lieu estimer tardive la régularisation de la procédure puisque le délai de forclusion avait été nécessairement interrompu au regard de l’article 2241 du code civil et, d’autre part, les irrégularités affectant l’acte d’appel tel le défaut de désignation de l’organe représentant la personne morale ne pouvaient entraîner une nullité de fond mais seulement une nullité de forme, c’est-à-dire sur justification d’un grief. La deuxième chambre civile accueille les deux moyens et casse en toutes ses dispositions l’arrêt. La Cour de cassation rappelle que la société disposait « du droit propre de former appel à l’encontre du jugement arrêtant le plan de redressement » et que « l’absence de mention dans l’acte d’appel de l’organe la représentant légalement constitue un vice de forme dont la nullité ne peut être prononcée qu’à charge, pour l’adversaire qui l’invoque, de prouver l’existence d’un grief ». S’agissant du second moyen, la Cour de cassation juge que « demeurait possible la régularisation de la déclaration d’appel qui, même entachée d’un vice de procédure, avait interrompu le délai d’appel ».

Voilà deux rappels, essentiels, en un seul et même arrêt ; et la Cour de cassation n’a pas manqué l’occasion en mentionnant, dans ses deux attendus, les visas des articles 114 et 117 du code de procédure civile et 2241 du code civil comme elle l’avait déjà fait à plusieurs reprises ces dernières années.

S’agissant de la nullité de fond retenue, la cour d’appel avait tenu un raisonnement alambiqué pour estimer que le cogérant n’avait pas exercé son droit propre de relever appel alors que la société était seule mentionnée sur la déclaration d’appel sans précision de l’organe qui la représentait. Mais, sauf à observer que la société n’avait pas le pouvoir ou la capacité de relever seule appel, la cour ne pouvait juger que l’irrégularité relevait des nullités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du code de procédure civile. Il est de jurisprudence établie que si seuls les mandataires judiciaires d’une société placée en procédure collective ont capacité pour agir ou défendre dans le cadre d’un contentieux concernant leurs administrés et qu’à défaut une nullité de fond, pour défaut de capacité donc, est encourue, une société peut seule relever appel du jugement qui la place en procédure collective. Dans ce cas précis, ce n’était pas à l’organe qui la représentait, au mandataire judiciaire désigné par le jugement, voire à un mandataire ad’hoc nouvellement désigné, de relever appel. Dès lors que disposait de ce droit propre la société elle-même, ce que n’a pas manqué de rappeler la deuxième chambre civile, l’absence de mention de l’organe la représentant dans l’acte d’appel ne pouvait constituer qu’un vice de forme, charge à l’intimé de prouver un grief. La société appelante avait bien capacité à relever appel et le fait que l’organe la représentant n’ait pas été renseigné consistait donc en une irrégularité du contenu de l’acte, soit donc en une nullité de forme. Bien que la frontière entre nullité de forme et nullité de fond tirée du défaut de pouvoir est parfois ténue lorsqu’une partie renseigne un représentant, précisément, dépourvu de pouvoir, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que l’erreur dans la désignation de l’organe représentant la personne morale ressort des irrégularités de forme (Civ. 3e, 13 nov. 2013, n° 12-24.870, Dalloz actualité, 4 déc. 2013, obs. C. Dreveau ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero ). Les praticiens de la procédure civile savent en tout cas qu’il est préférable d’utiliser une formule de style pour préciser que la société est « représentée par ses dirigeants ou représentants légaux en exercice » plutôt que de mentionner un représentant légal, nommément désigné, qui pourrait s’avérer par la suite erroné. En clair, cela permet de déplacer la discussion du terrain de la nullité de fond pour défaut de pouvoir du représentant vers celui de la nullité de forme sur justification d’un grief. La partie aura ensuite tout le loisir d’apporter la précision nécessaire sur l’organe de représentation si d’aventure la partie adverse entendait, in limine litis, s’emparer de cette exception de procédure. Une fois l’indication du représentant légal apportée, le grief aura disparu, ce d’autant que l’article 115 du code de procédure civile précise que la nullité de forme est couverte par la régularisation ultérieure si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

Et c’était là la deuxième erreur de la cour d’appel qui avait estimé que la régularisation par mention de l’organe de direction, faite par voie de conclusions – ce qui est effectivement admissible –, était intervenue au-delà du délai de forclusion d’appel. Le délai d’appel en matière de procédure collective étant de seulement dix jours, la cour d’appel avait pu donner un crédit trompeur à l’article 115 précité en méconnaissance totale de la jurisprudence de la Cour de cassation pourtant bien affirmée depuis 2014.

En effet, l’on sait depuis un arrêt publié du 16 octobre 2014 qu’une cour d’appel ne peut dénier l’effet interruptif à la nullité qu’elle a pu prononcer à l’encontre d’une première déclaration d’appel (Civ. 2e, 16 oct. 2014, n° 13-22.088, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. N. Kilgus ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 517, chron. T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ). La Cour de cassation visait déjà l’article 2241 du code civil, qui dispose que « la demande en justice, même en référé, interrompt de délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », et son alinéa 2, qui précise qu’« il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ». Qu’il s’agisse d’une nullité pour vice de forme (C. pr. civ., art. 114) ou pour vice de fond (C. pr. civ., art. 117), l’irrégularité est interruptive du délai de forclusion de l’appel. Au-delà même de la possibilité de former un nouvel appel, la deuxième chambre civile estime ensuite que la régularisation d’un appel restait également possible après l’expiration du délai de forclusion de l’appel mais cette fois au cours de la même instance et sans même qu’une décision de nullité ait été préalablement prononcée. La nullité simplement encourue – elle était de fond en l’espèce – autorise donc la régularisation au-delà du délai d’appel au cours du même procès (Civ. 2e, 1er juin 2017, n° 16-14.300, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. R. Laffly ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ). En disant tardive cette régularisation par voie de conclusions en cours de procédure, l’arrêt de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion était inévitablement exposé à la cassation.

La solution était pourtant bien connue, les deux arrêts précités avaient été publiés, et la deuxième chambre civile vient encore d’insister en rappelant, il y a deux mois, cette même jurisprudence au sujet d’une nullité de fond régularisée en cours de procédure (Civ. 2e, 12 avr. 2018, n° 17-15.355, Procédures, juin 2018, obs. H. Croze). Avec ce nouvel arrêt publié, voilà donc une pierre, non pas nouvelle mais identique, ajoutée à un édifice, qui devient totem, sur le caractère interruptif de la nullité de la déclaration d’appel. Mais ne dit-on pas que la pédagogie est l’art de la répétition.