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Décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale : modifications mineures par le Conseil d’État

La loi venue réformer la procédure prud’homale en 2015 appelait de nombreuses mesures d’application relevant du pouvoir réglementaire. Tel était l’objet du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail. Le Conseil d’État, saisi par recours pour excès de pouvoir, s’est borné à y apporter quelques modifications mineures, à savoir la suppression d’une disposition ainsi que la formulation d’une réserve d’interprétation à propos d’une erreur matérielle qui s’était par ailleurs déjà vue corrigée.

par Loïc Malfettesle 19 février 2019

Le Conseil d’État s´est retrouvé saisi par de multiples demandes émanant notamment de syndicats des milieux judiciaires ainsi que du Conseil national des barreaux tendant à voir prononcer la nullité de certaines dispositions du décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail.

Force est de constater à la lecture de la décision rendue par la haute juridiction administrative le 30 janvier 2019 statuant sur l’ensemble de ces demandes réunies que les demandeurs ont fait feu de tout bois pour remettre en cause les dispositions de l’acte réglementaire.

De façon tout à fait classique, des moyens de légalité externe ont été invoqués conjointement à des moyens de légalité interne.

Sur le premier plan, il était en particulier reproché au pouvoir réglementaire d’avoir manqué à ses obligations tenant aux consultations préalables obligatoires. Selon les requérants, le Conseil national de l’aide juridique devait notamment être consulté, en ce que l’article 133 du décret du 19 décembre 1991 lui donne compétence consultative sur les projets de loi et de décret relatifs à l’aide juridictionnelle, à l’aide à l’accès au droit, et aux aides à l’intervention de l’avocat prévues par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991.

À ce premier grief, la juridiction administrative répond que, bien que l’acte contesté dont l’objet porte sur la représentation obligatoire devant la chambre sociale de la cour d’appel en cas d’appel d’un jugement du conseil de prud’hommes, et a pour conséquence, par application des dispositions du décret du 19 décembre 1991, d’affecter le montant de la rétribution des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle dans une telle procédure, il n’a ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives à l’aide juridictionnelle, à l’aide à l’accès au droit et aux aides à l’intervention de l’avocat prévues par les dispositions de la troisième partie de la loi du 10 juillet 1991, de sorte que la consultation de cet organisme ne s’imposait pas. Un raisonnement semblable va conduire les juges à écarter la compétence consultative du Conseil national des barreaux qu’aucun texte législatif ne permettait de fonder, mais dont il est pourtant rappelé qu’il s’est vu solliciter par le garde des Sceaux sur le projet de décret.

Était encore reproché à l’acte de ne pas comporter les mesures réglementaires relatives au statut du défenseur syndical, en particulier les modalités d’inscription du défenseur syndical sur une liste arrêtée par l’autorité administrative et celles relatives à son indemnisation lorsqu’il exerce son activité professionnelle en dehors de tout établissement ou lorsqu’il dépend de plusieurs employeurs. Sur ce point, le Conseil d’État constate que la disposition législative invitant le pouvoir réglementaire à se saisir des mesures d’application sur ce terrain a renvoyé à un décret simple et rappelle avant d’écarter le grief qu’aucun principe ou disposition ne l’oblige à épuiser sa compétence en un seul décret.

Sur le plan de la légalité interne, les griefs invoqués furent riches et d’inégales valeurs et vont être accueillis avec une grande sobriété par le juge administratif. L’essentiel a consisté à voir de multiples atteintes portées aux droits fondamentaux procéduraux, au premier chef desquels le droit d’accès au juge, le droit à un procès équitable garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que par les stipulations de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ou encore le principe d’égalité.

À l’aune de ces principes étaient en particulier contestées les obligations nouvelles, prévues par l’article 8 du décret, mises à la charge du justiciable qui entend présenter une requête devant le conseil de prud’hommes, tant quant au contenu de la requête que quant aux pièces qu’il est nécessaire pour le demandeur d’y annexer.

Le Conseil d’État, opérant un contrôle de proportionnalité au prisme du principe de bonne administration de la justice, ne remet pas en cause la licéité de ces dispositions en ce qu’elles assurent l’information immédiate des parties et de la juridiction sur les données du litige et facilitent la mise en état et le traitement de l’affaire.

Si la mesure peut indéniablement être perçue comme une contrainte pour certains justiciables peu rompus à la pratique judiciaire, rappelons que ceux-ci pourront toujours en première instance être assistés ou représentés, en application de l’article R. 1453-2 du code du travail, par un autre salarié, un conjoint, un défenseur syndical ou un avocat. Aussi, cette circonstance rend-elle difficilement identifiable une violation disproportionnée du principe d’égalité. De même en est-il concernant les moyens de communication électronique dont l’utilisation est rendue possible à destination du demandeur par le décret, là où le défendeur est convoqué par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Dans la mesure où ces moyens permettent d’établir de manière certaine l’envoi et la réception par le destinataire de la convocation à la séance du bureau de conciliation et d’orientation ou à l’audience, les juges ont assez rapidement évacué le grief d’une prétendue rupture d’égalité. À également été contestée l’abrogation des dispositions de l’article R. 1452-8 du code du travail concernant la péremption d’instance, dont le Conseil d’État a très justement souligné que le retour à l’application du droit commun (soit l’art. 386, C. pr. civ.) conduisait à retenir une solution strictement identique, à savoir une péremption d’instance au-delà de deux ans lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir les diligences qui leur ont été prescrites, laquelle n’aura à l’avenir pas davantage à s’appliquer lorsque celles-ci n’ont plus à accomplir de diligence leur incombant au cours de l’instance.

De même, le juge administratif balaye-t-il la contestation visant la suppression de l’obligation, prévue à l’article R. 1453-1 du code du travail, de comparution personnelle devant le conseil de prud’hommes sauf motif légitime, dans la mesure où il s’agit de tirer les conséquences de l’article L. 1454-1-3, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2015, prévoyant qu’en telle hypothèse, le « bureau de conciliation et d’orientation peut juger l’affaire, en l’état des pièces et moyens que la partie comparante a contradictoirement communiqués ».

Concernant le statut du défenseur syndical instauré par la loi, le décret est venu renforcer les exigences procédurales applicables en matière prud’homale et confier aux défenseurs syndicaux et aux avocats le monopole de représentation des parties devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale. Se faisant, le pouvoir réglementaire a entendu tirer les conséquences de la réforme de la justice prud’homale et notamment de la création par le législateur dudit statut, sans méconnaître le droit syndical dont le libre choix de ce nouveau représentant constitue aux yeux des juges une incarnation. Nulle rupture d’égalité dans l’introduction de ce nouveau statut, puisque le concours de ce dernier est gratuit, et nulle atteinte illicite au monopole de représentation des avocats, puisque c’est le législateur lui-même qui a entendu y apporter une exception supplémentaire.

Le Conseil d’État ne va finalement relever qu’une seule véritable illégalité méritant la censure ainsi qu’une erreur d’ordre matériel qu’il va assortir d’une réserve d’interprétation.

C’est en effet la seconde phrase de l’article R. 1454-13, telle qu’issue du 4° de l’article 14 du décret qui va connaître la censure.

En cas de non-comparution de l’une des parties lors de l’audience de conciliation, le législateur a reconnu au bureau de conciliation et d’orientation la faculté, laissée à son appréciation, de juger lui-même l’affaire (art. L. 1454-1-3). Or le décret faisait obligation pour ce bureau de juger l’affaire sauf dans le cas où le respect du contradictoire exige le renvoi de l’affaire.

La censure nous apparaît ici justifiée à l’aune de la hiérarchie des normes : là où la loi offre au juge une faculté, le pouvoir réglementaire ne peut neutraliser cette marge en imposant une obligation.

Le second point relevé par le Conseil d’État est trivial mais méritait d’être soulevé. L’article R. 1454-17 visait en effet de manière erronée l’article R. 1454-14, lequel est relatif aux mesures provisoires que peut prendre le bureau de conciliation et d’orientation. Il ne faisait guère de doute que le pouvoir réglementaire avait entendu viser dans cette disposition les cas, prévus aux articles R. 1454-12 et R. 1454-13, de non-comparution d’une des parties devant le bureau de conciliation et d’orientation. Les juges ont en sus relevé que l’article 3 du décret du 10 mai 2017 portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail, en vigueur depuis le 12 mai 2017, avait déjà corrigé cette erreur matérielle. C’est donc de façon pragmatique que les hauts magistrats ont décidé non pas d’annuler les dispositions erronées de cet article mais de conférer aux dispositions insérées au code du travail leur exacte portée, en prévoyant que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l’erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d’un extrait de leur décision.