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Défenseur syndical et avocat : deux auxiliaires de justice à armes (presque) égales

L’obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud’homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d’appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ne crée pas de rupture dans l’égalité des armes, dès lors qu’il n’en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l’impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis. Le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, s’il n’est pas un professionnel du droit, n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le 8 novembre 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée dans deux arrêts, publiés, sur l’accès au juge du plaideur représenté par un défenseur syndical. Dans le premier arrêt (pourvoi n° 21-16.487), le plaideur se plaignait d’une atteinte au principe de l’égalité des armes, alors que son représentant ne pouvait utiliser le RPVA. Dans le second arrêt (pourvoi n° 21-16.186), le plaideur invoquait une atteinte portée à son droit d’accès au juge, faute de représentation par un professionnel du droit. Dans les deux cas, la Cour de cassation a réfuté le raisonnement. Le justiciable a choisi un défenseur syndical – qui n’est pas un professionnel du droit et n’a pas accès au RPVA – mais qui présente des garanties pour le plaideur et dispose de moyens compensant cette absence d’accès à la dématérialisation.

Dans les deux affaires, il s’agit d’un appel interjeté en matière prud’homale, par un défenseur syndical. Depuis le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, applicable aux instances d’appel introduites depuis le 1er août 2016, la procédure d’appel est soumise aux règles de la représentation obligatoire (C. trav., art. R. 1461-2 et R. 1461-1, al. 2 et 3). Or, dans la perspective de cette sévérité plus grande, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron », a permis que cette représentation obligatoire ne relève pas du monopole de l’avocat mais puisse aussi être exercée par un défenseur syndical – créé par la même loi (C. trav., art. L. 1453-4, al. 1er, et R. 1453-2). La loi et le décret ont prévu un statut pour ce défenseur syndical (v. C. trav., art. L. 1453-4 s., art. D. 1453-2-1 s.) que la Cour de cassation rappelle en partie (pourvoi n° 21-16.186). En particulier, il est sélectionné en fonction de son expérience des relations professionnelles et de ses connaissances du droit social ; il reçoit d’ailleurs une formation obligatoire. En outre (l’arrêt ne le mentionne pas), « les défenseurs syndicaux exercent leurs fonctions à titre gratuit » (art. D. 1453-2-1, al. 2)… à la différence donc, de l’avocat (sauf pro bono). D’où, souvent le choix d’un tel défenseur par des plaideurs, alors même que le défenseur syndical n’est pas un professionnel du droit. Notons surtout qu’il n’est pas assujetti à une obligation d’assurance professionnelle dans le cadre de sa mission (le code est muet sur cette question ; v. aussi CNB, Fiche pratique : Le défenseur syndical devant les juridictions civiles du travail). Se pose alors la question de responsabilité en cas de faute ? Le justiciable peut-il obtenir réparation pour sa perte de chance ? Si sa responsabilité doit pouvoir être engagée, le résultat risque d’être assez platonique pour la victime, sauf à ce que le syndicat dont émane le défenseur prenne l’indemnisation à sa charge…

En tout cas, dans les deux arrêts du 5 décembre 2022, les plaideurs représentés par un défenseur syndical se plaignent, s’apercevant un peu tard que la gratuité… a un coût.

Deux affaires/deux circuits

Qui dit procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, dit procédure ordinaire des articles 908 et suivants ou procédure à bref délai des articles 905 et suivants du code de procédure civile.

Dans le premier arrêt, c’est ce circuit court qui est appliqué et dans le second, le circuit long.

Premier arrêt (pourvoi n° 21-16.487)

À l’occasion d’un appel d’une ordonnance de référé, le président de la chambre de la cour d’appel saisie déclare caduque la déclaration d’appel sur le fondement de l’article 905-2 du code de procédure civile : l’appelant n’avait remis aucune conclusion au greffe et ne prouvait ni un envoi postal ni un cas de force majeure de nature à l’exonérer de son obligation (c’est l’article 910-3 qui confère un tel pouvoir au président de la chambre ou au CME – selon le cas ; adde M. Barba, La force majeure procédurale, RTD civ. 2022. 287 ).

Sur déféré, la cour d’appel confirme : « l’obligation pour les défenseurs syndicaux de remettre au greffe leurs actes de procédure ou de les lui adresser par lettre recommandée avec accusé de réception, excluant ainsi leur envoi par télécopie ou courriel, ne [fait] que tirer les conséquences de l’impossibilité pour eux d’accéder au RPVA ». « Ces modalités de remise des actes de procédure, par leur simplicité et leur caractère peu onéreux, ne [placent] pas les défenseurs syndicaux dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats. »

Le pourvoi se plaint au contraire d’un désavantage qui réside, « non pas dans la complexité ou le coût du procédé, mais dans la rapidité de transmission qui bénéficie aux avocats ». Il reproche à la cour d’appel, une violation du principe d’égalité des armes entre les défenseurs syndicaux et les avocats, ensemble l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, répondant spécialement à la première branche – à l’exclusion de la deuxième. Elle expose en quoi consiste l’égalité des armes en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 24 avr. 2003, Yvon c. France, n° 44962/98, § 31, AJDA 2004. 1441 , tribune R. Hostiou ; ibid. 2003. 1924, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 2456 , note R. Hostiou ; AJDI 2003. 361 ; ibid. 330, obs. D. Musso ; RDI 2003. 425, étude J.-F. Struillou ) : « le principe de l’égalité des armes est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l’article 6, § 1, de la Convention [EDH]. Il exige un juste équilibre entre les parties, chacune d’elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires ». Elle expose ensuite le premier principe rapporté au chapô et approuve le raisonnement de la cour d’appel.

Second arrêt (pourvoi n° 21-16.186)

Une justiciable, représentée par un défenseur syndical, interjette appel d’un jugement prud’homal. L’intimée soulève l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel faute de mentionner les chefs critiqués du jugement.

La cour d’appel constate en effet l’absence d’effet dévolutif de l’appel et l’absence de saisine de la cour. Elle ajoute qu’aucune régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d’appel n’est intervenue, que des conclusions au fond prises dans le délai requis ne pouvaient opérer régularisation ; en outre elle écarte le caractère indivisible de l’objet du litige ainsi que l’existence d’une demande d’annulation du jugement. Autant dire qu’aucune circonstance permettant de sauver la déclaration d’appel générale n’est présente ici.

La justiciable se pourvoit en cassation, invoquant un moyen divisé en deux branches. La recevabilité de chacune des branches est contestée par le défenseur au pourvoi, mais chacune est de pur droit donc recevable bien que nouvelle (C. pr. civ., art. 619).

La première branche reproche à la cour d’appel un manque de base légale au regard des articles 901 et 562 du code de procédure civile, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne, pour ne pas avoir recherché « si, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’application des règles de l’effet dévolutif de l’appel ne portait pas atteinte à la substance du droit d’accès au juge au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, dès lors qu’elle constatait que l’appelante n’était pas représentée par un professionnel du droit ».

La deuxième chambre civile...

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