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Denis Mannechez « n’est pas arrivé sur terre avec un destin monstrueux à accomplir »

L’avocat général a requis, mardi 18 décembre, la réclusion criminelle à perpétuité contre Denis Mannechez, coupable selon lui de l’assassinat de sa fille et du meurtre de Frédéric Piard, dont on l’accuse.

par Julien Mucchiellile 19 décembre 2018

Au procès de Denis Mannechez, dit l’avocat général, « il y a des choses entendues ici que je n’avais jamais entendues, j’ai entendu un jeune homme dire “les plus belles années de ma vie, c’était celles où j’étais en foyer”, j’ai entendu une mère de famille dire “j’étais bien en prison”, et il y a toutes ces craintes exprimées. Je n’ai jamais entendu autant d’expressions de craintes ». Puis, il a lu la lettre que Virginie Mannechez, tuée par l’accusé en même temps que Frédéric Piard, le 7 octobre 2014 à Gisors, a envoyée à la personne chargée du suivi sociojudiciaire de son père :

« Je suis partie pour me protéger de lui, je ne veux plus de cette vie, je ne suis pas loin mais lui croit que je suis partie dans le sud, j’ai laissé des indices dans ce sens. […] En étant partie, j’ai peur d’avoir réveillé la mauvaise partie de lui, je vis en cachette pour ma sécurité. […] Je vous en supplie, aidez-moi, j’ai peur pour ma vie, bien que je m’en fiche, mais j’ai mon fils qui a besoin de moi. »

La peur qui émane de cette lettre est l’aboutissement du long processus d’emprise, de violence et de manipulation, dont le coupable est Denis Mannechez, désormais figé dans son fauteuil roulant, pleinement conscient mais muet, et qui écoute l’avocat général dire de lui : « il est égocentrique, il s’aime lui-même, il satisfait ses propres désirs, il manipule les autres ».

C’est la troisième fois que Denis Mannechez entend un avocat général requérir contre lui. En 2012, à Amiens, il était jugé en appel pour le viol de Betty et Virginie, et sa peine avait été ramenée de huit à cinq ans, dont trois ans avec sursis. Il était ressorti libre de la cour d’assises de la Somme, tout comme il était ressorti libre de la première cour d’assises, malgré huit ans d’emprisonnement prononcé, car il avait purgé deux ans en détention provisoire. Puis il avait repris la vie conjugale qu’il avait en sortant de détention, avec Virginie et Nicolas, l’enfant incestueux, l’enfant issu de l’amour qu’ils avaient tous deux défendu devant les assises d’Amiens, cet amour vicié, « cet amour qui naît dans un viol », dit l’avocat général.

« L’inceste est immoral, l’inceste est mortifère »

Pour aller à contre-courant de la décision de justice qui a scellé le sort funeste de Virginie Mannechez, le magistrat dit sans ambages : « Dans ce dossier, il n’y a pas d’inceste consenti, l’inceste ici naît de viol, de viols d’enfants. Non, l’inceste n’est pas heureux, l’inceste est malsain, l’inceste est immoral, l’inceste est interdit par la loi, l’inceste est mortifère ». Mais il n’est pas dans son idée de fustiger l’institution judiciaire, car « il n’y a qu’un seul responsable, un seul coupable, c’est Denis Mannechez. C’est lui qui a manœuvré pour que les faits soient truqués, pour que le procès soit bidonné. La racine du mal, c’est la maltraitance des enfants, les avortements par une adolescente, l’inceste, les menaces ».

Pour qualifier l’homicide de Virginie Mannechez d’assassinat, et ainsi retenir la préméditation, il détaille : « Les faits sont d’une particulière gravité, parce qu’ils sont commis à l’issue d’une traque menée avec acharnement et obstination. Denis Mannechez emploie tout son temps, fait de très nombreuses démarches, utilise ses amis, quitte à leur mentir, fouille l’ordinateur, les comptes bancaires, il se rend à Beauvais, à Quimper ». La préméditation s’apprécie dans les faits qui ont accompagné l’acte de l’auteur. Mais il admet que le meurtre de Frédéric Piard, « qui n’est pas une victime collatérale », est un meurtre, car la préméditation n’est pas établie. Il requiert la réclusion criminelle à perpétuité.

« Le ventre est-il encore fécond ? »

« La réclusion criminelle à perpétuité, c’est considérer que celui que l’on juge n’est plus un homme, qu’il n’y a plus rien de commun, et que c’est sans espoir. » En face, Me Marc François, qui a pris la défense de Denis Mannechez il y a seulement quelques mois, explique à quel point il est ardu mais nécessaire de défendre un homme ayant commis des faits monstrueux, qui est ainsi considéré par la société comme un monstre, et la difficulté de sa tâche consistant à réintégrer son client dans son humanité, dont son crime, ses crimes l’auraient exclu. Alors, on peut « essayer de comprendre comment on en est arrivés là », et pour cela, il revient à la genèse des affaires. « Betty, c’est elle qui dénonce les viols, parce que oui, les faits qui nous occupent trouvent leur racine dans ces faits ignobles qu’est l’inceste. Sa mère se tait, ses frères n’osent pas parler, Virginie est sous emprise. Mais Betty se dresse, elle va à la gendarmerie, elle dénonce les choses ».

Il faut comprendre le mécanisme du passage à l’acte, comment en est-il arrivé à commettre des homicides, comment en est-il arrivé à violer ses filles, terroriser sa famille. « Il n’est pas arrivé au monde avec un destin de père incestueux, il n’est pas arrivé sur terre avec un destin monstrueux à accomplir. »

L’avocat s’interroge, peut-être avec plus de virulence que l’accusateur, sur le rôle de la justice dans l’enchaînement des choses. En 2004, quand il sort de prison et reprend la vie commune avec Virginie, cela se sait, personne ne les arrête, dit-il, puis, au sujet de la condamnation, que l’avocat général avait sobrement qualifiée de « peu sévère », il s’escrime : « Deux ans pour des viols qui ont duré dix ans, au bas mot, sur ses deux filles mineures, deux ans pour ça ? Je n’ai jamais vu ça. Ils repartent la main dans la main ! »

Pourtant, comme l’avocat général, Me François dit : l’inceste est mortifère. « Si à un moment donné il n’y a pas la justice qui tranche avec son glaive le lien qui n’a pas à exister, la tragédie va jusqu’au bout. Ça ne pouvait pas finir autrement. » Pour lui, l’homme qui a commis ces faits est déjà mort lorsqu’il a tenté de se suicider. Et il pose la question : « Le ventre est-il encore fécond ? » C’est à cette seule aune que la peine devra être déterminée.

Le verdict est attendu mercredi 19 décembre 2018 après-midi.

 

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