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Les députés ouvrent le verrou de Bercy

Après un siècle d’existence, le verrou de Bercy, qui impose un accord préalable de l’administration pour déclencher des poursuites pénales pour fraude fiscale, va être profondément revu. Le résultat d’un important travail des députés, qui, lors de l’étude d’un projet de loi devant la commission des finances, ont renforcé d’autres aspects de la lutte contre la fraude.

par Pierre Januelle 27 juillet 2018

Il y a un an, pour rejeter les amendements sur le verrou de Bercy au projet de loi Confiance, la majorité LREM avait proposé la création d’une mission d’information sur le sujet. Elle s’était alors fait accuser de vouloir enterrer la question. Cette mission, menée par la députée LREM Émilie Cariou et le député LR Éric Diard, a procédé à d’importantes auditions (v. Dalloz actualité, 23 mai 2018, obs. P. Januel isset(node/190748) ? node/190748 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190748). Ayant accumulé une expertise, elle a réussi à obtenir du ministre du budget ce qu’avaient refusé tous ses prédécesseurs : ouvrir le verrou de Bercy.

Jusqu’ici, après les sanctions administratives (allant à de 40 % à 100 % des droits fraudés), l’administration envoyait le dossier à la commission des infractions fiscales (CIF) pour qu’elle se prononce sur le dépôt d’une plainte pénale. En raison du nombre maximal de réunions indemnisées, la CIF n’étudiait qu’un millier de dossiers par an.

La suppression de ce verrou n’est pas totale. Selon l’amendement d’Émilie Cariou, qui a été adopté par la commission des finances, toutes les fraudes fiscales portant sur des droits supérieurs à 100 000 € feront automatiquement l’objet d’une plainte pénale dès lors qu’elles auront subi une majoration de 80 % ou 100 % (abus de droit délibéré, manœuvre frauduleuse) ou si la personne a fait l’objet en récidive d’une majoration de 40 % (manquement délibéré). Pour les élus et hauts fonctionnaires, le dépôt de plainte serait automatique, dès manquement délibéré, quelle que soit la somme en jeu.

Le nombre de plaintes pénales devrait ainsi doubler (environ 2 000, alors que 4 000 dossiers sont supérieurs à 100 000 €). La CIF ne disparaîtra pas. Elle étudiera les autres dossiers, qui ne répondent pas aux critères, mais où des poursuites pénales pourraient être pertinentes. Elle donnera aussi son avis sur la nouvelle procédure permettant de publier des sanctions administratives (name and shame).

Par ailleurs, l’amendement Cariou délie les agents des finances publiques du secret à l’égard des procureurs, pour leur permettre d’évoquer tout dossier. L’objectif est de favoriser les échanges entre justice et administration. Le rapport de la mission a été sévère envers la justice, qui ne renvoie que très peu de dossiers de fraude vers les impôts, alors même qu’il y en a dans de nombreux délits.

Ce projet de loi ouvre également plusieurs procédures judiciaires simplifiées pour la fraude fiscale. Les magistrats auront la possibilité de passer par les procédures de plaider-coupable (CRPC et CIJP), afin d’aller plus rapidement sur certains dossiers. Dans les auditions, la justice s’est vu fréquemment reprocher sa lenteur (v. Dalloz actualité, 15 févr. 2018, obs. P. Januel isset(node/189187) ? node/189187 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189187) et il y a la nécessité d’absorber l’augmentation de l’activité judiciaire en matière de fraude fiscale.

Les autres apports de la commission des finances

La commission a supprimé plusieurs articles adoptés au Sénat (v. Dalloz actualité, 9 juill. 2018, obs. P. Januel isset(node/191559) ? node/191559 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191559). Elle est ainsi revenue sur l’inscription dans la loi de la jurisprudence Talmon et sur l’examen préjudiciel par le juge de l’impôt en cas de poursuite pour fraude fiscale. Elle est revenue sur la plupart des dispositions adoptées au Sénat concernant les plateformes.

Un amendement est venu revoir la procédure de flagrance fiscale. De plus, en cas de disproportion entre le train de vie d’un contribuable et ses revenus déclarés, le fisc pourra dorénavant prendre en compte les œuvres d’art pour le calcul de ses impôts.

Constatant les retards prévisibles pour l’étude du projet de loi PACTE, la commission a intégré dans ce texte l’article portant sur l’accès aux données de connexion pour l’AMF (v. Dalloz actualité, 21 juin. 2018, obs. P. Januel isset(node/191280) ? node/191280 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>191280).

La possibilité de publier des sanctions fiscales administratives a été étendue aux personnes physiques (et non aux seules personnes morales), et ce même quand la sanction n’est pas définitive. Même chose pour les intermédiaires facilitant la fraude, qui pourront être sanctionnés administrativement en l’absence de décision définitive.

Les buralistes ont été actifs sur ce projet de loi : les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs devront prévenir leurs abonnés de l’interdiction d’importer du tabac. Un amendement veut adapter le droit français au règlement d’exécution concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac

Sur les paradis fiscaux, la commission a prévu de ne pas exclure par principe les États membres de l’Union européenne de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) mais a supprimé certains critères introduits au Sénat. Elle a étendu aux ETNC le régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC), actuellement applicable aux sociétés de pays à régime fiscal privilégié. Enfin, le seuil permettant de considérer un pays comme à régime fiscal privilégié sera abaissé de 50 % à 40 % en 2020.