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Extension du champ d’application de l’assurance de responsabilité civile décennale obligatoire

L’exception prévue à l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances n’est pas applicable à un élément d’équipement installé sur existant. Les désordres affectant cet élément et rendant l’immeuble impropre à sa destination relèvent de l’assurance garantie décennale obligatoire.

par Maxime Ghiglinole 15 novembre 2017

Depuis le spectaculaire revirement opéré par l’arrêt de la troisième chambre civile du 15 juin 2017 (Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640, Dalloz actualité, 13 juill. 2017, obs. F. Garcia ), la Cour de cassation affirme sans relâche que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ». Déjà confirmée à maintes reprises (v., pour un revêtement de sol, Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-16.637, RDI 2017. 483, obs. P. Malinvaud ; ou, pour un insert, Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-17.323, Dalloz actualité, 26 sept. 2017 ; RDI 2017. 542, obs. P. Malinvaud ), cette règle a modifié substantiellement la détermination de la qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du code civil. Cette catégorie juridique est désormais étendue à tout professionnel qui installe un élément d’équipement dont les désordres vont rendre l’ouvrage existant impropre à sa destination.

En parallèle, les contours de la responsabilité décennale sont maintenant fixés au regard du dommage causé à l’existant par l’équipement défectueux installé. En effet, dans cette hypothèse, il s’agit pour le juge de caractériser un désordre qui affecte le « quasi-ouvrage » et qui porte atteinte à l’ouvrage existant dans son ensemble (C. Charbonneau, L’avènement des quasi-ouvrages, RDI 2017. 409 ). En conséquence, le régime de responsabilité applicable est dorénavant suspendu à l’appréciation de la notion d’« impropriété de l’immeuble » à sa destination (v. en dernier lieu, Dalloz actualité, 26 sept. 2017, obs. F. Garcia isset(node/186633) ? node/186633 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186633). Cette impropriété justifiera le jeu de la garantie décennale.

Novatrice, cett solution a été critiquée par la majorité des auteurs. Selon la doctrine, elle est regrettable notamment en raison de sa propension à étendre considérablement la qualité de constructeur à des professionnels jusqu’alors exonérés de toute obligation de souscrire une garantie décennale. En effet, il apparaît maintenant qu’« une obligation d’assurance va peser sur des intervenants qui en ignorent jusqu’à son existence » (P. Malinvaud, Éléments d’équipement dissociables inertes installés sur des existants et garantie décennale, RDI 2017. 483 ). De plus, la possible caractérisation, en aval, de dommages susceptibles de mobiliser la responsabilité décennale est un risque inédit pour un grand nombre de professionnels. En somme, l’incidence de ce revirement sur le terrain assurantiel est notable. L’arrêt rapporté, qui aura les honneurs du Rapport de la haute juridiction,  entreprend donc de le préciser en partie. Cette décision confirme d’une part l’extension de la couverture décennale aux désordres causés pas des éléments d’équipement dissociables installés sur existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination et, d’autre part, l’extension indirecte du champ d’application des assurances obligatoires.

En l’espèce, les propriétaires d’une maison ont fait installer une cheminée à foyer fermé par une société spécialisée. L’installation n’a pas été réalisée en conformité avec le cahier des charges applicable et cette cheminée a provoqué un incendie qui a détruit l’habitation. L’assurance des propriétaires a alors partiellement indemnisé leur préjudice. Toutefois, ces derniers ont assigné en complément d’indemnité leur assureur, la société à l’origine des travaux représentée par son liquidateur judiciaire et son assureur. Les juges du fond ont fait droit à leur demande. Les magistrats ont reconnu le jeu de la garantie décennale et condamné la société d’assurance de l’installateur à réparer les dommages matériels subis par les propriétaires. L’assureur a par conséquent formé un pourvoi.

Dans son argumentation, l’assurance a tout d’abord fait valoir qu’en application de l’article 5 de l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances était applicable. Selon ce texte, « les obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ». Suivant cette analyse, la société d’assurance ne devrait supporter que les dommages causés aux existants incorporés dans l’ouvrage neuf.

Ensuite, le pourvoi soutient que, pour condamner l’assureur à payer l’intégralité des dommages causés aux existants, il est nécessaire de démontrer que ceux-ci sont devenus indissociables de l’ouvrage neuf. Or les juges du fond n’ont par démontré que l’existant était incorporé dans l’ouvrage neuf et qu’il était devenu techniquement indivisible.

Enfin, l’assureur invoque que ce n’est pas du fait de son assuré que l’ouvrage existant est devenu techniquement indissociable de l’ouvrage neuf, puisque ce sont les propriétaires eux-mêmes qui ont réalisé l’habillage de la cheminée pour l’intégrer à la pièce. L’indissociabilité de l’ouvrage tiendrait donc aux travaux réalisés par les propriétaires et non à ceux de l’assuré, ce qui exclut toute obligation de réparation de la part de l’assureur.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Dans son attendu, elle prend le soin de réitérer la solution retenue par l’arrêt du 15 juin 2017, mais précise que « les dispositions de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant ». Dans cette affaire, le défaut de conformité de l’installation de la cheminée est à l’origine de l’incendie. S’agissant d’un élément d’équipement, l’article susvisé n’est pas applicable. En conséquence, les désordres affectant cet élément relevaient de la garantie décennale et doivent à ce titre être réparés par l’assureur.

Au lendemain du revirement opéré par l’arrêt du 15 juin 2017, la doctrine s’était inquiétée du « flou » créé sur le champ d’application des assurances obligatoires (V. spéc. J. Roussel, note préc. ss. Civ. 3e, 15 juin 2017, n° 16-19.640). En effet, ce n’est désormais qu’a posteriori que l’on peut découvrir les dommages susceptibles d’entraîner la responsabilité décennale des intervenants. Il en ressort un net accroissement du champ d’application des assurances obligatoires, mais également un fort déficit de prévisibilité. Conscient de cette réalité, la Cour de cassation a intégré le nouveau champ d’application de la garantie décennale à la sphère de l’assurance obligatoire. En effet, en évinçant les équipements installés sur existant du champ d’application de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances, elle les intègre implicitement à celui de l’assurance de responsabilité décennale obligatoire. Cette mise en concordance est bénéfique, elle évite de créer un vide préjudiciable aux assurés tout comme aux victimes des désordres. L’adaptation des contrats d’assurance aux nouveaux risques couverts est alors inéluctable. Il est à craindre que celle-ci s’accompagne mécaniquement d’une augmentation générale des primes d’assurance.

Au surplus, les propriétaires de l’habitation endommagée ont également formé un pourvoi incident à l’encontre de l’arrêt d’appel. Ces derniers font grief à aux magistrats du fond d’avoir limité la condamnation de leur société d’assurance en réduisant à proportion leur indemnité. Les juges ont fait application de l’article L. 113-9 du code des assurances, selon lequel, en cas d’omission ou de déclaration inexacte de l’assuré dont la mauvaise foi n’est pas établie, son indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient dû être versées sur le risque avait été complètement déclaré. Or les propriétaires qui s’étaient engagés à informer leur assureur de la création de toute pièce complémentaire dès le début des travaux n’avaient pas déclaré leur nouvel aménagement.

Bien que les pièces fussent encore en construction lors de la déclaration du sinistre, la règle proportionnelle avait lieu de s’appliquer et la réduction de l’indemnité était par conséquent pleinement justifiée. Leur pourvoi est donc rejeté.