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Feu la relativité de la faute contractuelle du courtier ?

Une mutuelle, tiers au contrat d’assurance, peut se prévaloir sur le fondement de la responsabilité délictuelle, du manquement contractuel d’un courtier ayant proposé à sa cliente souscriptrice, une association, pour assurer ses membres, d’adhérer à une garantie de remboursement de frais de santé complémentaire qui ne pouvait bénéficier qu’à des salariés.

par Rodolphe Bigotle 9 octobre 2018

Par l’intermédiaire d’une société de courtage, une association a adhéré, le 9 décembre 2010, à la garantie de remboursement des frais médicaux proposée par une mutuelle. Sitôt souscrit, sitôt résilié. En effet, la mutuelle a procédé à la résiliation du contrat à effet du 31 décembre 2011. À ce titre, elle a reproché au courtier de lui avoir intentionnellement transmis des informations erronées sur la nature de la population à assurer et le risque pour la conduire à accepter l’adhésion. À cette fin, la mutuelle a assigné la société de courtage en indemnisation. L’assureur de responsabilité du courtier est intervenu volontairement à l’instance. Par un arrêt du 26 janvier 2016, la cour d’appel de Paris n’a pas fait droit à sa demande de compensation, ce qu’a contesté la mutuelle, dans un pourvoi en cassation formulé en un moyen unique.

Le schéma que l’on rencontre classiquement en jurisprudence est celui où le courtier, en qualité de mandataire de l’assuré, connaît les faits reprochés. La doctrine y décèle deux scenarii : « soit celui-ci s’est rendu complice de la fraude et l’assureur peut appliquer les sanctions légales ; soit le courtier a omis, par simple négligence, de transmettre à l’assureur les informations aggravantes qui lui avaient été transmises par l’assuré : il engage alors sa responsabilité envers son mandant » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, n° 390). Or ce n’est pas sur le terrain du mandat que les justiciables ont déployé leur argumentation dans l’affaire commentée.

Pour pouvoir rechercher la responsabilité délictuelle du courtier, la mutuelle a soutenu être la victime d’un dol. De la sorte, elle lui a reproché d’avoir présenté faussement les membres de l’association souscriptrice comme des salariés. La première branche du moyen n’a pas permis de caractériser de telles manœuvres dolosives du courtier, compte tenu de l’ambiguïté de l’article 4 des statuts de la mutuelle quant aux bénéficiaires de ses prestations de santé ayant pu générer une méprise chez le courtier et ôtant, dès lors, tout élément intentionnel au grave fait générateur invoqué. Par ailleurs, selon l’article L. 512-6 du code des assurances, si tout intermédiaire d’assurance doit souscrire un contrat d’assurance le couvrant contre les conséquences pécuniaires de sa responsabilité civile professionnelle, cette assurance ne s’applique pas en cas de dol ou de faute intentionnelle. Une telle qualification aurait donc empêché le jeu de la couverture d’assurance en faisant perdre une garantie en l’absence de solvabilité du courtier dans l’expectative où sa responsabilité serait retenue.

La troisième branche du moyen a connu davantage de succès. La cour d’appel a retenu qu’il ne saurait être déduit de ce que la société de courtage « est un courtier professionnel qu’elle serait de ce seul fait tenue à l’égard de quelqu’un qui n’est pas son mandant, en l’espèce une société d’assurances, à une obligation de vérifier les conditions nécessaires pour adhérer aux produits proposés par celle-ci ».

Par un arrêt du 19 septembre 2018, la première chambre civile a censuré la décision, au visa de l’article 1382, devenu 1240 du code civil. Rappelons que si le texte dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », il devrait connaître dans un avenir proche, selon le dernier projet de réforme de la responsabilité civile, un libellé allégé : « On est responsable du dommage causé par sa faute » (art. 1241 du projet de réforme de la responsabilité civile, présenté 13 mars 2017 par les services du ministère de la Justice).

Les magistrats de la Cour de cassation considèrent que la cour d’appel de Paris, en se déterminant ainsi, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1240 du code civil, en ne recherchant pas si, « en proposant à son client, pour assurer ses membres, d’adhérer à une garantie de remboursement de frais de santé complémentaire qui ne pouvait bénéficier qu’à des salariés, le courtier n’avait pas commis un manquement contractuel dont la mutuelle, tiers au contrat, pouvait se prévaloir sur le fondement de la responsabilité délictuelle » (Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 16-20.164, dernier attendu, D. 2018. 1863 ).

La première chambre civile s’inscrit ainsi dans la possibilité ouverte par l’Assemblée plénière, dans un important arrêt du 6 octobre 2006 mettant fin à des hésitations sur l’identité des fautes, et ayant retenu que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (à propos du dommage causé par les...

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