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Fin de règne pour la formule « en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription »

La mention « en tout cas depuis un temps non couvert par la prescription » ajoutée à la période des faits visés par la prévention n’a pas d’incidence sur la saisine de la juridiction de jugement. Hors hypothèse de rectification, le juge ne peut pas statuer sur des faits qui ont été commis à des dates qui ne sont pas mentionnées à la prévention sans que le prévenu y consente expressément. 

Tous les juristes sont amenés à vivre la même situation passablement pénible : devoir imprimer, signer et envoyer à nouveau un contrat, sous prétexte qu’il manque la mention « lu et approuvé » au-dessus de leur paraphe. L’homme de loi aura beau arguer que cette expression n’a aucun effet juridique, qu’elle n’est pas une condition de forme des actes sous seing privé et qu’elle est donc résolument inutile (Civ. 1re, 30 oct. 2008, n° 07-20.001, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ), le service administratif qui lui fait face ne laissera rien passer. Les formules rituelles ont en pratique une force qui dépasse celle du droit. Il n’y aurait rien à redire à cette étrange passion, si elle n’avait pas un effet délétère : celui de donner une impression erronée de régularité à un acte qui ne l’est pas nécessairement.

Dans un arrêt du 30 avril 2024, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur une formule connue par les pénalistes : « en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription ». Il s’agit d’une mention généralement ajoutée à la prévention, c’est-à-dire la désignation des faits poursuivis dans l’acte de saisine de la juridiction de jugement, aussi appelée qualification développée ou QD en pratique. Outre les faits poursuivis et le texte d’incrimination, la prévention doit contenir une indication de temps et de lieu (pour des ex. de qualifications développées, v. l’incontournable J.-C. Croq, Guide des infractions, Dalloz).

Dans la présente affaire, la prévention devait être en substance formulée de la manière suivante : « Pour avoir à [Lieu] courant 2009, 2010, 2011, et jusque juillet 2012, en tout cas sur le territoire national et depuis un temps non couvert par la prescription, collecté des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, faits prévus et réprimés par les articles 226-18 et 226-31 du code pénal ».

En l’espèce, tant la caractérisation des faits objet de la poursuite que les bornes temporelles de la prévention étaient remises en cause par le pourvoi.

Caractérisation de la collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal

Les faits de l’espèce sont ceux de l’affaire d’espionnage des salariés chez Ikea France (A. Bloch, Délibéré Ikea : la société a « institutionnalisé une politique généralisée », Dalloz actualité, 16 juin 2021). La Cour d’appel de Versailles a déclaré un prévenu coupable du délit de collecte de données à caractère personnel par un moyen déloyal. Cette infraction, incriminée à l’article 226-18 du code pénal, suppose la réunion de plusieurs éléments constitutifs : la collecte de données à caractère personnel et l’emploi de moyens frauduleux, déloyaux ou illicites. En l’espèce, les données à caractère personnel collectées étaient les « antécédents judiciaires, renseignements bancaires et téléphoniques, véhicules, propriétés, qualité de locataire ou de propriétaire, situation matrimoniale, santé, déplacements à l’étranger ». Quant aux moyens employés, ils consistaient en « la capture et du recoupement d’informations diffusées sur des sites publics tels que sites web, annuaires, forums de discussion, réseaux sociaux, sites de presse régionale ». La cour d’appel a qualifié ce procédé de déloyal, aux motifs que les données ont été recueillies à l’insu des personnes concernées et qu’elles ont été utilisées dans un cadre sans rapport avec l’objet de leur mise en ligne.

Pour le pourvoi, la collecte d’informations publiques, accessibles par voie de presse ou en open source, ne pouvait pas être qualifiée de déloyale. Le moyen avait peu de chances de prospérer. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que le recueil « des adresses électroniques personnelles de personnes physiques sur l’espace public d’internet » pouvait être qualifié de déloyal dès lors qu’il est effectué à l’insu des intéressés, les privant de facto de leur droit d’opposition à la collecte desdites données (Crim. 14 mars 2006, n° 05-83.423, D. 2006. 1066 ; ibid. 2007. 399, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S....

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