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Fonctions successives et impartialité : du refus d’homologation d’une CRPC au placement en détention provisoire

Le refus du juge d’homologuer une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne fait pas obstacle à ce qu’il intervienne par la suite, dans la même affaire, en qualité de juge des libertés et de la détention, pour ordonner le placement en détention provisoire du même individu.

par Warren Azoulayle 19 juillet 2018

La garantie de l’impartialité de son juge certifie au justiciable le respect d’un droit à la sûreté, à l’égalité devant la loi, et à un procès équitable. Or, si la « simplification » semble à ce jour tenir lieu de seule boussole au législateur (V., V. Sizaire, Pour en finir avec le demi-juge, Délibérée, 2018, no 4, p. 48), d’aucuns ont pu formuler l’utile recommandation « de réfléchir à un ensemble de dispositions sur leur impartialité » dans un contexte où « l’indépendance des magistrats fait couler beaucoup d’encre » (Crim. 8 déc. 2009, no 09-85.623, Dalloz actualité, 9 févr. 2010, obs. M. Léna ; AJ pénal 2010. 86 ).

En l’espèce, un individu était interpellé pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique puis présenté à un procureur de la République qui lui proposait une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Après acceptation de la proposition, le président du tribunal de grande instance refusait d’homologuer la peine prononcée, et le dossier du prévenu était orienté en comparution immédiate. Dans l’attente de la saisine d’un tribunal, et donc de sa comparution devant la juridiction de jugement, il était présenté à ce même magistrat du siège dans ses fonctions de juge des libertés et de la détention (JLD), lequel rendait une ordonnance de placement en détention provisoire à son encontre. Considérant que son droit à un tribunal impartial, garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, avait été méconnu, il interjetait appel de la décision, au même titre que le parquet, soulevant une exception de nullité que la chambre de l’instruction battait en brèche eu égard au fait qu’un même juge peut à la fois refuser d’homologuer une CRPC et décider ensuite d’une privation de liberté présentencielle. La chambre criminelle était saisie sur le même moyen, et confirmait la position des juges du fond en ce que selon elle, la décision de placement en détention provisoire d’un JLD, après que ce dernier ait refusé d’homologuer une CRPC, dans la même affaire, concernant un même prévenu, ne saurait traduire la partialité du juge du siège.

En effet, les articles 495-11 et 495-12 du code de procédure pénale posent le principe selon lequel le fait pour un juge de refuser l’accord conclu entre le ministère public et la personne poursuivie n’équivaut pas au fait de statuer, tant sur les faits que sur la culpabilité de la personne. Le cas échéant, le prévenu retrouve ses droits, et le procureur le pouvoir qui était le sien, avant la mise en œuvre de cette procédure (V. Rép. pén., vo Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, par F. Molins, no 44). Si ce dernier peut requérir d’un JLD qu’il prononce un placement en détention provisoire en attendant l’audience devant le tribunal correctionnel, la Haute juridiction n’avait pour autant jamais eu à se prononcer sur une espèce similaire (pour d’autres limites au cumul de fonctions, v. Crim. 24 mai 2005, no 04-86.432, D. 2005. 1656 ; ibid. 2006. 617, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2005. 290, obs. C. S. Enderlin ; RSC 2005. 935, obs. J.-F. Renucci ; 27 juin 1996, no 96-80.079, D. 1996. 218 ). Si des incompatibilités existent de lege lata, comme l’impossibilité pour un juge d’instruction de participer au jugement des affaires pénales qu’il a connu en qualité de magistrat informant (C. pr. pén., art. 49), le fait de ne pouvoir faire partie d’une cour d’assises lorsqu’un magistrat a fait acte de poursuite ou d’instruction, ou participé à l’arrêt de mise en accusation ou à une décision sur le fond relative à la culpabilité de l’accusé (C. pr. pén., art. 253), ou encore l’impossibilité pour un JLD de participer au jugement des affaires pénales qu’il a connu (C. pr. pén., art. 137-1 ; Crim. 23 sept. 2010, no 10-81.245, Dalloz actualité, 20 oct. 2010, obs. C. Girault ), le législateur n’a pas non plus envisagé de situation identique au cas d’espèce.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est pour sa part fortement éclairante sur la question, et l’on sait de longue date que si l’impartialité se définit par l’absence de préjugé ou de parti pris, elle peut s’apprécier de diverses manières au prisme de l’article 6, § 1, de la Convention (CEDH 1er oct. 1982, no 8692/79, Piersack c/ Belgique). Ainsi, les juges ont-ils pu affirmer l’impossibilité d’exercer de façon successive, dans une même affaire, les fonctions de magistrat chargé des poursuites, ou comme juge d’instruction, puis comme du fond (CEDH 26 oct. 1984, no 9186/80, De Cubber c/ Belgique). Refusant l’idée d’une automaticité dans l’appréciation d’une éventuelle partialité fonctionnelle, les magistrats se livrent à une appréciation casuistique des occurrences leur étant présentées, et considèrent que « le simple fait qu’un juge ait déjà pris des décisions avant le procès, notamment au sujet de la détention provisoire, ne peut justifier en soi des appréhensions quant à son impartialité » (CEDH 24 mai 1989, no 10486/83, Hauschildt c/ Danemark, § 50 ; 7 déc. 1992, no 12981/87, Sainte-Marie c/ France, § 32, D. 1993. 204 , obs. J. Pradel ; ibid. 384 , obs. J.-F. Renucci ; RSC 1993. 367, obs. L.-E. Pettiti ), l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme étant en revanche violé lorsqu’est démontrée « une idée préconçue de la culpabilité du requérant » (CEDH 22 avr. 2010, no 29808/06, Chesne c/ France, § 37, Dalloz actualité, 7 mai 2010, obs. S. Lavric ; RSC 2010. 690, obs. D. Roets ).

Les concernant, les juges du droit ont par le passé accueilli favorablement le fait pour un magistrat de siéger à différents titres dans un même dossier. En ce sens, le fait pour un conseil à la chambre de l’instruction ayant confirmé une ordonnance de placement en détention provisoire, puis prolongeant cette mesure en tant que JLD, ne saurait traduire de partialité de sa part, de même s’il fait ensuite partie de la composition d’une cour d’appel, puisque « le simple fait qu’un juge ait pris, avant le procès, une décision relative à la détention provisoire ne peut, en soi, suffire à justifier que soit contestée son impartialité » (Crim. 12 févr. 2003, no 02-87.530).

Qu’elles soient ou non délibérées, les interférences à la neutralité du juge traduisent un paradoxe en ce qu’il est demandé à un même magistrat de se prononcer une seconde fois sur une affaire, tout en mobilisant une fiction non réflexive, faisant comme s’il n’avait jamais eu à connaître le dossier au préalable. Or, l’article 495-9 du code de procédure pénale prévoit que le magistrat chargé d’homologuer la CRPC, et la peine proposée, entend la personne et son avocat, qu’elle vérifie la réalité des faits et leur qualification juridique. Il a donc à connaître du fond du dossier et se forme à cette occasion une première conviction sur la culpabilité de la personne, a fortiori lorsque celle-ci a reconnu les faits tel qu’en l’espèce. Si le législateur entendait limiter la perméabilité de la CRPC par les termes de l’article 495-14 du code de procédure pénale, force est pour autant de constater que l’aval reçu par la Cour de cassation en l’espèce remet en cause le caractère hermétique de l’échec d’une telle procédure lorsque le magistrat ayant refusé de l’homologuer prononce a posteriori une ordonnance privative de liberté. Comme l’avançait la juridiction de Strasbourg, le non-respect des garanties de l’article 6 de la Conv. EDH, qui s’applique à l’ensemble de la procédure, y compris à la phase préliminaire, aurait pour conséquence de compromettre, avec une certaine gravité, le caractère équitable d’un procès (CEDH 24 nov. 1993, no 13972/88, Imbroscia c/ Suisse,RSC 1994. 144, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 362, obs. R. Koering-Joulin ).