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Indemnité d’expropriation et emplacements réservés

La Cour de cassation précise les modalités de fixation de l’indemnité d’expropriation d’un terrain compris dans un emplacement réservé créé pour le seul besoin de l’opération déclarée d’utilité publique avec laquelle le plan local d’urbanisme a été mis en compatibilité.

par Rémi Grandle 1 juin 2018

Les modalités de fixation de l’indemnité d’expropriation, et plus particulièrement la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la consistance et la valeur des biens expropriés, sont fixées aux articles L. 322-1 et suivants du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

La règle générale est fixée par l’article L. 322-2 de ce code, aux termes duquel les biens sont estimés à la date de la décision de première instance, seul étant pris en compte l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête postérieure à la déclaration d’utilité publique (la Cour de cassation censurant ainsi un juge d’appel qui évalue un bien en fonction de son utilisation future : Civ. 3e, 17 juill. 1997, n° 96-70.175, JCP 1997. II. 22934, note A. Bernard). Pour apprécier si le terrain exproprié est un « terrain à bâtir » (c’est-à-dire à la fois situé dans un secteur constructible du document d’urbanisme local et desservi par les réseaux et une voie d’accès ; sur la qualification de terrain à bâtir dans le contentieux de l’expropriation, v. Administrer mars 1989, p. 9), le juge de l’expropriation doit ainsi, comme le prévoit l’article L. 322-3 du code de l’expropriation, se placer à cette « date de référence » (la nature du terrain s’appréciant au regard de ses caractéristiques propres et non de son usage effectif, v. Civ. 3e, 8 mars 1977, n° 76-70.026, Bull. civ. III, n° 112).

L’article L. 322-2 réserve explicitement le cas, prévu à l’article L. 322-6, des terrains situés dans un emplacement réservé par le plan d’occupation des sols ou par le plan local d’urbanisme (C. urb., art. L. 151-41, 1° à 4°). S’agissant des biens compris dans un tel emplacement réservé, le terrain est considéré, pour son évaluation, comme ayant cessé d’être compris dans cet emplacement (afin de ne pas prendre en compte les sujétions liées à l’inclusion dans un tel emplacement, tenant à l’impossibilité pour le propriétaire de bâtir sur son terrain) et la date de référence prévue à l’article L. 322-3 est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou le plan d’occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé l’emplacement réservé (sur la conformité à la Constitution de cette disposition qui permet d’écarter, dans l’intérêt de l’exproprié, les limitations spéciales au droit de construire imposées au bien compris dans un emplacement réservé, v. Civ. 3e, 14 avr. 2016, n° 15-25.369, Dalloz actualité, 6 mai 2016, art. A. Portmann isset(node/178803) ? node/178803 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>178803 ; RDI 2016. 406, note R. Hostiou).

Ces modalités d’évaluation de l’indemnité d’expropriation posent la question de leur articulation avec les procédures d’évolution des documents d’urbanisme dites de « mise en compatibilité » avec les opérations déclarées d’utilité publique (sur cette procédure, qui permet à l’État de modifier les documents d’urbanisme locaux pour les mettre en compatibilité avec les projets qu’il considère comme d’utilité publique, v. CE 15 sept. 2010, Thalineau, n° 330734, Dalloz actualité, 29 sept. 2010, obs. S. Brondel isset(node/137459) ? node/137459 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>137459 ; AJDI 2011. 26, chron. S. Gilbert ; AJCT 2010. 180, obs. Moliner-Dubost). En effet, les articles L. 153-54 et suivants du code de l’urbanisme sont venus encadrer les hypothèses d’intervention des projets qui, déclarés d’utilité publique, sont incompatibles avec les dispositions d’un plan local d’urbanisme : la réalisation d’un tel projet ne sera possible que si, d’une part, l’enquête publique préalable à ce projet porte à la fois sur son utilité publique et sur la mise en compatibilité du plan qui en est la conséquence et si, d’autre part, les dispositions proposées pour assurer la mise en compatibilité du plan ont fait l’objet d’un examen conjoint de l’État, de la collectivité compétente en matière de PLU et des personnes publiques associées.

Bien entendu, rien n’interdit, par le biais d’une telle mise en compatibilité, de créer un emplacement réservé destiné à la réalisation du projet déclaré d’utilité publique. C’est alors, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt commenté, que se pose la question des modalités de fixation de l’indemnité d’expropriation des biens situés dans un emplacement réservé créé dans le cadre de la mise en compatibilité.

Dans cette espèce, en effet, le plan d’occupation des sols de la commune de Mende (soumis au régime juridique des plans locaux d’urbanisme en application de l’art. L. 174-4, C. urb.) avait fait l’objet d’une telle procédure d’évolution, cette mise en compatibilité ayant notamment pour effet de créer des emplacements réservés pour le seul besoin de l’opération déclarée d’utilité publique, à savoir l’aménagement de la rocade ouest de la commune. Des terrains appartenant aux consorts P…, et situés dans le périmètre d’un emplacement réservé, avaient fait l’objet d’une expropriation.

Se posait alors la question de savoir si, ces emplacements réservés ayant été créés pour le seul besoin de l’opération déclarée d’utilité publique, s’appliquait la règle générale de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation, ou celle, dérogatoire, de l’article L. 322-6 de même code.

Confirmant en cela l’arrêt d’appel, la Cour de cassation estime, dans une décision qui figurera dans son Rapport, que l’arrêté déclarant l’opération d’utilité publique et emportant mise en compatibilité du plan d’occupation des sols constitue un acte entrant dans les prévisions de l’article L. 322-6 du code de l’expropriation. Il y a donc lieu, pour les évaluer, de considérer que ces biens ne sont pas compris dans un emplacement réservé et, pour apprécier leur qualité de « terrains à bâtir », de se placer à la date de l’acte le plus récent rendant opposable le plan d’occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé l’emplacement réservé. C’est donc, en l’espèce, à la date de l’arrêté déclarant l’aménagement de la rocade d’utilité publique qu’il convient de se placer, et non, comme le souhaitait l’expropriant, un an avant l’ouverture de l’enquête publique préalable à cette déclaration.