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Karachi : la CJR relaxe Édouard Balladur et condamne François Léotard

La Cour de justice de la République a rendu une décision de relaxe concernant l’ancien Premier ministre, poursuivi pour recel de complicité d’abus de biens sociaux, et a condamné son ancien ministre de la Défense à deux ans de prison avec sursis et 100 000 € d’amende, pour complicité d’abus de biens sociaux. Ce dernier a annoncé se pourvoir en cassation.

par Julien Mucchiellile 5 mars 2021

Les deux prévenus ne se sont pas déplacés sous les ors de la première chambre civile de la cour d’appel de Paris, où siégeait pour la dernière fois dans cette affaire la Cour de justice de la République, jeudi 4 mars. Édouard Balladur a été relaxé : « Je prends acte avec satisfaction de la décision de la Cour de justice de la République qui reconnaît enfin mon innocence. Je déplore qu’il ait fallu un quart de siècle de calomnies intéressées et organisées pour en arriver là. Il est en tout cas établi que cette affaire est sans lien avec l’attentat de Karachi qui a coûté la vie de onze de nos compatriotes en 2002, attentat dont, vingt ans après, la justice a échoué à découvrir les motifs et les auteurs. »

Il a d’abord été relaxé du chef de complicité d’abus de biens sociaux, concernant le versement de rétrocommissions : « S’il est établi qu’Édouard Balladur avait nécessairement connaissance des contrats d’armement […], notamment au regard de l’importance que chacun d’entre eux revêtait dans le secteur industriel et de l’emploi dans ce secteur de l’économie […], il n’est pas démontré qu’il a donné instruction, orale ou écrite, à son chef de cabinet M. Bazire [condamné par le tribunal correctionnel dans la même affaire, ndlr], pour approuver les avantages consentis au réseau K », a lu le président Dominique Pauthe. « Il s’ensuit que n’est pas rapportée la preuve de l’existence d’instructions données en connaissance de cause par M. Balladur, dont il apparaît qu’il était moins au fait de l’activité du réseau K que ne l’ont été tant son directeur de cabinet que le ministre de la Défense au regard de leur niveau de responsabilité respectif et de leurs relations personnelles avec M. Takieddine. »

Concernant le recel, la Cour constate que, s’il a été établi que « M. Balladur ne pouvait ignorer que ses comptes étaient déficitaires » et qu’ils ont été opportunément abondés le 26 avril 1995, les investigations n’ont pu déterminer l’origine des fonds. À l’audience, l’accusation soutenait que cette somme provenait d’un retrait de 10 millions de francs sur l’un des comptes des intermédiaires rémunérés sur les contrats d’armement. « Force est néanmoins de constater que ces différentes considérations sont insuffisantes pour établir l’origine des 10 250 000 F versés sur le compte de campagne de M. Balladur puisqu’aucun élément de l’information n’a permis de tracer la destination de l’argent retiré en francs français sur le sol suisse ni d’établir que les sommes en cause ont eu pour destination finale le compte bancaire » de l’association créée en janvier 1995 en vue du financement de la campagne de M. Balladur, écrit la Cour dans sa motivation. Par surcroît, elle rappelle que le délit de recel suppose, pour être constitué, la connaissance par M. Balladur de l’origine frauduleuse des fonds, « laquelle ne résulte d’aucun élément du dossier ».

En revanche, François Léotard a, « dès son arrivée au ministère de la Défense, multiplié les contacts avec les autorités saoudiennes par le biais des réseaux mis en place » antérieurement. Il est par ailleurs établi qu’il a été informé des différentes étapes des négociations auxquelles il a pris part et de l’octroi d’avantage aux réseaux Takieddine, qu’il avait contribué à mettre en relation personnellement d’abord avec la société Sofresa, et ensuite par l’intermédiaire de son chargé de mission M. Donnedieu de Vabres avec la société DCN-I », a décidé la Cour. Ce dernier avait déclaré, au sujet de son ministre, « il était au courant de tout, en temps réel ». « Compte tenu de sa relation de confiance avec M. Léotard et de l’importance que celui-ci apportait aux contrats d’armement, M. Donnedieu de Vabres n’avait aucune raison de conserver pour lui les informations qu’il détenait pouvant affecter ces contrats et de s’abstenir de rendre compte à son ministre de l’exécution, par les sociétés placées sous sa tutelle, des instructions émanant du ministère. » « Contrairement à ce que M. Léotard a constamment souligné, il a, par ses multiples interventions en sa qualité de ministre de la Défense, eu un rôle central et moteur dans la préparation et la réalisation des abus de biens sociaux », a décidé la Cour, qui a condamné François Léotard à deux ans de prison avec sursis et 100 000 € d’amende.

 

 

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