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L’accord de valorisation des parcours syndicaux et l’appréciation par l’employeur des compétences

L’accord collectif qui prévoit, dans le cadre des dispositions visant à faciliter l’exercice de mandats syndicaux ou représentatifs par la valorisation des compétences mises en œuvre par les salariés dans l’exercice de ces mandats, l’élaboration par l’employeur, après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, d’un référentiel dont l’objet est d’identifier ces compétences ainsi que leur degré d’acquisition dans le but de les intégrer au parcours professionnel du salarié et dont le juge a vérifié le caractère objectif et pertinent, ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale, l’employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en œuvre de l’accord au respect des prescriptions des articles L. 1132-1 et L. 2141-5, alinéa 1er, du code du travail.

par Valéria Ilievale 24 octobre 2019

La valorisation de la carrière des représentants du personnel pose la question épineuse des critères pris en compte par l’évaluateur ; l’enjeu principal étant de ne pas porter atteinte à la liberté syndicale (I. Meftah, La carrière des salariés titulaires de mandat, RDT 2019. 234 ). En l’espèce, l’arrêt du 9 octobre 2019 conclut à l’absence de toute discrimination ou atteinte à la liberté syndicale par un dispositif d’appréciation issu d’un accord collectif, des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat des représentants du personnel. Au soutien de cette solution, la Haute juridiction retient, au terme d’une « motivation développée » que ladite appréciation reposait sur des éléments précis et objectifs qui font l’objet d’une méthodologie.

En l’espèce, un accord « sur le parcours professionnel des représentants du personnel au sein du groupe BPCE » a été conclu entre la société BPCE et plusieurs organisations syndicales représentant 60 % des salariés. Celui-ci prévoit la tenue d’un entretien d’appréciation des compétences et d’évaluation professionnelle. En guise de support d’évaluation, un référentiel de compétences, élaboré par l’employeur après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise, sert à identifier celles-ci et à vérifier leur degré d’acquisition. Le dispositif est contesté par la fédération CGT des syndicats du personnel de la banque et de l’assurance, ainsi que par le syndicat CGT des personnels de Natixis et ses filiales. Ces dernières ont intenté une action en justice contre les signataires de l’accord devant le tribunal de grande instance, afin que la stipulation instaurant cet entretien soit déclarée illégale. Demandeurs au pourvoi, ces syndicats ont soutenu, en vain, que le dispositif d’évaluation portait atteinte à la liberté syndicale et que, de ce fait, il était source d’une discrimination syndicale.

C’est par un raisonnement en deux temps que la Cour de cassation rejette leur pourvoi et confirme, dans sa totalité, l’arrêt de la cour d’appel de Paris.

Avant de conclure à l’absence d’une discrimination syndicale, la chambre sociale se prononce dans un premier temps, en faveur de l’admissibilité d’un accord collectif qui prévoit un dispositif facultatif d’appréciation par l’employeur des compétences mises en œuvre dans l’exercice du mandat des représentants du personnel, en association avec les organisations syndicales. Ce type d’accord est ainsi, pour la première fois, reconnu comme un instrument juridique de valorisation de l’expérience acquise par le salarié titulaire d’un mandat. En effet, aux termes de l’article L. 2141-5 du code du travail, dont le contenu est intégralement reproduit en l’espèce, les parties peuvent conclure un accord visant à « concilier la vie personnelle, la vie professionnelle et les fonctions syndicales et électives, en veillant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes. Cet accord prend en compte l’expérience acquise, dans le cadre de l’exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle ».

Au-delà du caractère discutable du lien opéré, en l’espèce, entre valorisation de la carrière des représentants du personnel et une évaluation, de type managérial, par les compétences acquises dans le cadre de leur mandat, (M. Roussel, L’évaluation professionnelle des salariés, 2019, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit social », t. 76 ; I. Meftah, préc.) le pas franchi par la chambre sociale n’est pas dénué d’enjeux pour la carrière des représentants du personnel évalués. Quoique facultative, l’évaluation est en effet, susceptible d’avoir des incidences non seulement sur l’offre de formation proposée, mais aussi sur l’avancement et la rémunération des représentants du personnel. Il ressort ainsi de l’arrêt commenté, un changement de regard sur la valorisation de l’expérience acquise. Désormais l’idée de valoriser ne peut être uniquement interprétée comme celle mettant en place ou incitant à mettre en place une action positive (M. Sweeney, Les actions positives à l’épreuve des règles de non-discrimination, RDT 2012. 87 ).

Dans un second temps, la Cour de cassation rappelle à quelles conditions l’employeur peut élaborer unilatéralement un référentiel de compétences après négociation avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. L’arrêt commenté illustre ‒ fort heureusement ‒ que le caractère conventionnel de l’évaluation n’emporte pas présomption de justification, l’employeur étant tenu en tout état de cause dans la mise en œuvre de l’accord, au respect de la loi (M.-A. Souriac-Rotschild, Le contrôle de la légalité interne des conventions et accords collectifs, Dr. soc. 1996. 395 ; M. Miné, Le juge doit vérifier l’absence d’effet discriminatoire de l’accord collectif, RDT 2018. 604 ). Sont visés en l’espèce, les textes d’ordre public interdisant les discriminations syndicales, à savoir les articles L. 1132-1 et L. 2141-5, alinéa 1er, du code du travail. Le dispositif d’évaluation prévu par accord collectif, en l’espèce le référentiel de compétences, n’échappe pas ainsi à un contrôle judiciaire.

S’agissant de la nature d’un tel contrôle, il ressort de l’arrêt que le support d’évaluation, le référentiel de compétences, doit satisfaire à deux qualités bien distinctes : l’objectivité et la pertinence (Soc. 14 déc. 2015, n° 14-17.152, inédit, RDT 2016. 195, obs. C. Vigneau ; SSL 2016, n° 1710, p. 7, note E. Boussard-Verrechia et P. Masson ; RJS 2016, n° 236 ; TGI Nanterre, 5 sept. 2008, n° 08/05737, D. 2009. 1124 , note A. Lyon-Caen ; Dr. soc. 2009. 48, note P.-Y. Verkindt  ; Dr. ouvrier 2008. 585, note P. Adam ; RJS 2008, n° 1069 ; ibid. 2011, n° 91). La précision est d’importance, le pouvoir de l’employeur d’élaborer un procédé d’évaluation étant ainsi enserré par une exigence de justification dont la teneur est identique à celle requise pour les différences de traitement (Soc. 8 juin 2011, n° 10-11.933 P, D. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2011. 986, obs. P.-H. Antonmattei et C. Radé ; SSL 2011, n° 1497, obs. A. Lyon-Caen et B. Serizay).

Malgré cette annonce impliquant deux appréciations bien différentes, les magistrats semblent se concentrer davantage sur la manière dont les juges du fond ont apprécié l’objectivité du dispositif d’évaluation. Du contrôle de la pertinence, exigence posée par la loi en matière d’évaluation professionnelle des salariés (C. trav., art. L. 1222-3, al. 3), nulle autre mention n’est explicitement faite par la suite. Est seulement évoqué le caractère transversal entre les métiers et le mandat des compétences contenues dans le référentiel. Or, il semble difficile de considérer que cette transversalité suffise à conclure à la pertinence du procédé, cette exigence impliquant un contrôle de l’adéquation du dispositif d’évaluation à la finalité poursuivie (A. Lyon-Caen, L’évaluation des salariés, D. 2009. 1124 ).

En revanche, le paragraphe clôturant l’explicitation du raisonnement de la chambre sociale, se réfère plusieurs fois à l’objectivité, à des synonymes tels la vérifiabilité des critères d’appréciation (Soc. 14 janv. 1998, n° 96-40.165, RJS 3/1998, n° 292) ou encore à des qualités proches, comme la précision des éléments sur lesquels repose l’évaluation (M. Roussel, préc.). La référence au suivi d’une méthodologie peut être également rattachée à l’objectivité dès lors que satisfaire à cette exigence suppose de suivre une démarche rigoureuse orientée vers la connaissance de la réalité, excluant l’arbitraire (V. Ilieva, L’exigence d’objectivité en droit du travail, th. dactyl. Paris Nanterre, 2018). À la faveur d’un contrôle fort de l’application des textes relatifs à la non-discrimination syndicale, l’exigence d’objectivité en matière d’évaluation du personnel ne prend que plus de relief en l’espèce.

Plusieurs éléments de faits tendant à démontrer le respect de cette exigence sont relevés. Il s’agit de la participation active des interlocuteurs sociaux en amont de la conclusion de l’accord collectif, pendant la négociation de celui-ci, et en aval, lors du processus d’évaluation des représentants du personnel. Ainsi, la constitution d’un groupe de travail, la mise en place d’une phase d’expérimentation du dispositif d’évaluation pendant la négociation, la prise en compte de plusieurs suggestions des organisations syndicales par l’accord collectif sont autant d’éléments déterminants au soutien de l’absence de discrimination syndicale. Il en va de même, de la référence à l’existence de plusieurs étapes dans l’appréciation des compétences sous « le regard croisé » de l’organisation syndicale du salarié et d’un représentant de l’employeur devant avoir participé aux instances dans lesquelles le salarié exerce son mandat.

Bien que l’appréciation de l’objectivité du dispositif d’évaluation, est gage de qualité du contrôle judiciaire, la présence de cette caractéristique ne doit pas éclipser le débat sur l’objet de l’évaluation. Sous couvert de supports d’évaluation sophistiqués tels les référentiels de compétences, il convient de ne pas négliger le risque d’un glissement vers une évaluation de la façon dont l’activité syndicale est menée. Le pourvoi tendait à démontrer pareil danger. C’était sans compter la volonté des juges de conférer une portée à l’adhésion des organisations syndicales signataires dans un environnement légal qui érige désormais l’accord collectif d’entreprise en modèle normatif.