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L’Assemblée propose sa copie de la réforme du droit des contrats

Le respect qu’inspire la loi aux juristes n’a souvent d’égal que le mépris qu’ils ont pour le législateur. Et la séance consacrée lundi après-midi à l’Assemblée nationale pour ratifier l’ordonnance sur le droit des contrats ne devrait pas vraiment améliorer cette image.

par Pierre Januelle 13 décembre 2017

Au moment du début de la discussion générale, l’inquiétude monte. L’hémicycle est dépeuplé, un groupe a même fait l’impasse (GDR) et d’autres ont envoyé un député de permanence, totalement étranger au sujet. Les premiers orateurs semblent s’être donné le mot et reprennent la formule basique pour tout mauvais discours sur le code civil : « citation de Portalis » + « énumération de concepts obscurs de droit ».

« Un de ces euphémismes dont les juristes ont le secret »

Dans leurs interventions, la plupart des députés regrettent que la réforme du droit des contrats soit passée par des ordonnances (la loi a été faite par le gouvernement et non le Parlement), alors que le code civil est un fondement de notre droit. Pourtant au moment du projet de loi d’habilitation, seuls trois députés isolés avaient déposé des amendements pour supprimer l’article en question.

Cette lâcheté parlementaire a des raisons simples : modifier le code civil est un travail titanesque, où l’on doit jongler avec des concepts arides, qui n’intéresseront pas un journaliste, pas un électeur mais une multitude de spécialistes du droit civil, tous prêts à vous envoyer de longs mails pour vous expliquer l’erreur que vous venez de commettre avec votre amendement. Dès lors, malgré les réticences du Sénat, l’habilitation a été facilement accordée. On arrive donc, trois ans plus tard, à la ratification de cette réforme en gestation depuis une douzaine d’années.

Comme l’a rappelé en introduction la ministre, Nicole Belloubet : « Il aura donc fallu du temps, de la compétence, de la volonté et un peu de patience pour aboutir au texte dont vous allez maintenant débattre. » Un peu loin, le rapporteur LREM Sacha Houlié note : « un peu de patience, comme vous l’avez dit, Madame la Ministre, en un de ces euphémismes dont les juristes ont le secret ». L’orateur du groupe PS, le député David Habib surenchérit : « Je ne citerai pas le nombre de gardes des Sceaux qui ont travaillé avant vous sur ce texte, cela doit d’ailleurs être déprimant ! ». Nicole Belloubet : « Pas du tout ! ». Habib : « Ah bon, vous me rassurez ».

David Habib déporte alors stratégiquement son discours vers des sujets qu’il maîtrise mieux : la victoire du PS dimanche à l’élection municipale d’Orthez (car c’est « aborder la question des contrats qui lient l’électeur aux responsables politiques ») puis demande à la ministre de rassurer tout le monde sur le sujet sensible de la cour d’appel de Pau. Soit c’est une façon originale d’illustrer l’action interrogatoire, soit on navigue très loin du sujet du jour.

« Le code civil est un emblème de notre société au même titre que la Marseillaise »

On en est là quand Marine Le Pen arrive à la tribune. Son objectif est assez clair : réussir à faire plus de 200 retweets avec une vidéo d’un discours sur le code civil (mardi soir, l’objectif était atteint). Et pour réussir à mobiliser contre une réforme du code civil, on n’a jamais trouvé mieux que d’accuser Christiane Taubira de détruire notre société. « Toucher au monument qu’est le code civil est presque comme toucher à la Constitution. Cela doit être fait d’une main tremblante pour reprendre le mot de Montesquieu. Et à la lecture de cette ordonnance, on constate que, malheureusement, la main de ses rédacteurs n’a pas tremblé. Pas étonnant lorsque l’on sait que cette réforme a été portée par madame Taubira, cette dernière n’ayant pas eu pour habitude de trembler quand il s’agissait de s’attaquer aux fondements de notre société […]. Certains changements portés par cette ordonnance sont une véritable attaque contre notre héritage, contre notre vision de la société, bref contre la France ».

Et ça continue : « Le code civil est un emblème de notre société au même titre que la Marseillaise ». Les élèves de France sont prévenus : si Marine Le Pen passe en 2022, ils vont être obligés de lire chaque matin deux ou trois pages du code civil.

Pour le FN, c’est clair, cette réforme « marque une avancée supplémentaire vers la contractualisation généralisée, étape voulue par ces puissances financières mondialisées pour nous imposer leur modèle de société […]. Avec cette réforme vous participez au mouvement qui veut que toutes les relations humaines peuvent, et bientôt devront, faire l’objet de contrat ». Elle est « dangereuse pour les salariés. Je pense à l’introduction de la notion de bonne foi lors de la formation des contrats. Il faut que vous sachiez que certains syndicats patronaux se frottent déjà les mains en réfléchissant à l’utilisation qu’ils pourraient faire de cet ajout pour remettre en cause massivement des contrats de travail : un CV légèrement enjolivé sera demain la base d’un contentieux généralisé que les rédacteurs n’ont pas anticipé… ou peut-être que si… ».

Le rapporteur Sacha Houlié, lui rétorque que les amendements FN visent à supprimer plusieurs avancées pour les parties « faibles » du contrat (notion de bonne foi dans la formation du contrat, suppression du pouvoir du juge en matière d’imprévision, etc.). Nicole Belloubet note : « Quant à l’exemple que vous citez du contrat de travail, il me semble qu’il doit ressortir des dispositions même du droit du travail et non du code civil ».

« C’est un peu compliqué pour les étudiants en droit »

Le texte bouge peu, l’essentiel du travail de l’Assemblée ayant été préalablement fait en commission. Le débat manque de députés maîtrisant leur sujet pour que cela soit intéressant. Exceptions, Éric Coquerel pour la France insoumise défend quelques amendements pour porter une vision plus sociale du droit des contrats. Sébastien Huyghe pour les Républicains souhaite au contraire revenir à la version du Sénat, plus libérale, et limiter l’intervention du juge. Le rapporteur Sacha Houlié et la ministre répondent en essayant de toucher le moins possible à l’équilibre du texte. Et au milieu, Marine Le Pen et sa main tremblante sont là pour dénoncer la mort du droit français.

La France insoumise veut sauver la « cause ». Une notion très complexe, que le gouvernement a souhaité supprimer. « Si on peut penser que la disparition de la notion de cause du contrat est très certainement appréciée par les étudiants de droit tant elle était compliquée, et tant elle a évolué, même si ses fonctions ont été conservées – ce qui est une bonne chose, il faut aller plus loin » et la conserver. Cette notion a permis une protection des consommateurs, en condamnant, par exemple Chronopost dans les années 1990 qui s’engageait à livrer ses colis en 48 heures, mais qui dans son contrat s’exonérait de toute sanction en cas de non-respect de l’engagement. En réponse, le rapporteur rappelle que si la cause disparaît formellement, ses éléments constitutifs vont demeurer, notant avec amusement que « nous avons enlevé les éléments qui étaient compliqués pour les étudiants en droit et conservé l’essence ».

C’est trop de légèreté pour Marine Le Pen : « Il faut quand même entendre les arguments qui sont développés : “C’est un peu compliqué pour les étudiants en droit”, mais on y est tous passé et on en est sorti ». Puis elle passe à la défense de son amendement n° 12, qui s’attaque à l’introduction dans le code civil de l’erreur de droit. Manque de bol, elle utilise la défense de son amendement sur l’imprévision. Rien à voir et la présidente lui fait signe. « Pardon, c’est pas celui-là, ah mais c’est ça… Ah oui, c’est celui sur l’erreur de droit ».

« L’erreur de droit est un concept qui vient des pays anglo-saxons, qui est totalement inconnu, par définition, de notre droit français. La France est un pays civiliste par nature : la notion d’erreur de droit n’existe pas, justement parce qu’elle vient en contradiction avec l’adage “Nul n’est censé ignorer la loi”  ». La ministre Nicole Belloubet lui indique pourtant que cet article n’est qu’une codification de la jurisprudence existante et que, par ailleurs, en droit des contrats, l’erreur de droit n’est applicable que dans des cas limités. Sur l’existence de cette erreur de droit, on renverra Marine Le Pen à Dalloz (Dalloz actualité, 27 mai 2010, obs. Y Rouquet isset(node/135998) ? node/135998 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>135998) ou aux longs mails qu’une multitude de spécialistes du droit civil ne manqueront pas de lui envoyer. Mais peut être qu’il s’agissait pour elle, là aussi, simplement d’illustrer le concept.

Au final, le texte ne sera presque pas touché et adopté à la quasi-unanimité. Douze ans d’une réforme bouclés en trois heures de débats parlementaires. L’urgence n’ayant pas été déclaré, le texte retourne au Sénat pour une deuxième lecture. On rappellera que les juges peuvent s’appuyer sur les débats parlementaires en cas d’interrogation sur le sens de la loi. Bon courage.

Les modifications faites par l’Assemblée
L’essentiel des modifications a eu lieu en commission (le rapport). Elles portaient sur des articles modifiés par le Sénat. La commission des Lois a ainsi simplifié les définitions du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion. Elle a supprimé les articles du Sénat qui visaient à prévoir la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire, à limiter la réticence dolosive au contenu de l’obligation d’information préalable et à restreindre l’abus de l’état de dépendance a son aspect économique.

La commission a aussi rétabli l’article 1166 du code civil prévoyant qu’en cas d’indétermination de la qualité de la prestation, il convient de l’apprécier « conformément aux attentes légitimes des parties » et l’article 1179 (sur les clauses d’un contrat d’adhésion susceptibles d’être déclarées abusives). Elle a aussi rétabli le pouvoir de révision du juge à la demande d’une seule partie en cas d’imprévision.

La commission a enfin précisé plusieurs points notamment sur la disparition des sûretés en cas de cession de contrats ou de dettes, les délais pour l’action interrogatoire, la réduction du prix par le créancier en cas d’inexécution imparfaite ou la possibilité d’utiliser des monnaies étrangères en tant que « monnaie de compte » du contrat. Enfin, l’application dans le temps a été précisée.

En séance, seuls quatre amendements, tous du rapporteur, ont été adoptés. Le premier précise que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». Les trois autres sont de précision.