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L’image d’un bien n’est pas le bien

L’image d’un bien du domaine public n’appartient pas elle-même au domaine public. L’administration ne peut pas réclamer une redevance pour son utilisation, sauf en application de l’article L. 621-42 du code du patrimoine depuis l’entrée en vigueur de ce texte.

par Marie-Christine de Monteclerle 18 avril 2018

Les personnes publiques ne disposent pas d’un droit exclusif sur l’image de leurs biens, image qui elle-même n’appartient pas au domaine public, a jugé l’assemblée du contentieux. La formation la plus solennelle du Conseil d’État a rejeté le pourvoi de l’établissement public du domaine national de Chambord contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes qui avait confirmé l’annulation de titres exécutoires émis par lui contre la société Les Brasseries Kronenbourg au titre de l’utilisation du château de François Ier dans une publicité (CAA Nantes, 16 déc. 2015, n° 12NT01190, Établissement public du domaine national de Chambord, AJDA 2016. 435 , note N. Foulquier ; ibid. 2015. 2464 ; RDI 2016. 89, obs. N. Foulquier ).

Pour fonder ces titres, l’établissement public avait estimé initialement que cet usage de la photographie du château constituait une utilisation privative de son domaine au sens des articles L. 2122-1, L. 2125-1 et L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP). Mais l’assemblée juge, comme l’y invitait le rapporteur public, Romain Victor, que « l’image ne rentre pas dans le code ». « Les personnes publiques ne disposant pas d’un droit exclusif sur l’image des biens leur appartenant, celle-ci n’est pas au nombre des biens et droits mentionnés à l’article L. 1 du code général de la propriété des personnes publiques […]. Il en résulte que l’image d’un bien du domaine public ne saurait constituer une dépendance de ce domaine ni par elle-même ni en qualité d’accessoire indissociable de ce bien au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques. » Et, si la prise de vue « est susceptible d’impliquer, pour les besoins de la réalisation matérielle de cette opération, une occupation ou une utilisation du bien qui excède le droit d’usage appartenant à tous, une telle opération ne caractérise toutefois pas, en elle-même, un usage privatif du domaine public ». En outre, « l’utilisation à des fins commerciales de l’image d’un tel bien ne saurait être assimilée à une utilisation privative du domaine public, au sens des dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques ».

Aucun texte ni aucun principe ne permettaient d’exiger une redevance

Après que le tribunal administratif d’Orléans avait jugé que l’image d’un bien n’appartient pas au domaine public (TA Orléans, 6 mars 2012, n° 1102187, AJDA 2012. 1227 , concl. Jérome Francfort ; D. 2012. 2222 , note J.-M. Bruguière ), l’établissement public avait, devant la cour invoqué, à titre subsidiaire, le préjudice que lui aurait causé l’utilisation de l’image du château. La cour administrative d’appel avait décidé « que, compte tenu des exigences constitutionnelles tenant à la protection du domaine public et afin d’éviter à tous égards qu’il n’y soit indirectement porté atteinte de manière inappropriée, les prises de vue d’un immeuble, appartenant au domaine public d’une personne publique, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues ou d’association de ces reproductions à des produits dans le cadre d’opérations de publicité commerciale, requièrent une autorisation préalable délivrée par le gestionnaire de ce domaine dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique ». Selon la cour, cette autorisation, qu’elle prenne la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat pouvait être assortie de conditions financières. Mais elle avait considéré que l’action de la personne publique contre une personne privée à ce titre relevait du juge judiciaire.

Le Conseil d’État n’est pas convaincu par cette création purement prétorienne d’un régime d’autorisation. Il juge qu’avant l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine, « le gestionnaire du domaine national de Chambord ne tenait d’aucun texte ni d’aucun principe le droit de soumettre à autorisation préalable l’utilisation à des fins commerciales de l’image du château. Dans ces conditions, une telle utilisation sans autorisation préalable ne constituait pas une faute. Le seul préjudice dont le domaine national de Chambord pouvait, le cas échéant, demander réparation était celui résultant d’une utilisation de cette image qui lui aurait causé un trouble anormal, dans les conditions définies par la jurisprudence de la Cour de cassation ». Une telle action relève du juge judiciaire, ce qui justifie, après substitution de motif, le dispositif de l’arrêt de la cour.

Le législateur inspiré par la cour administrative d’appel de Nantes

La référence à l’entrée en vigueur de l’article L. 621-42 du code du patrimoine souligne que, si la cour de Nantes n’a pas convaincu le Conseil d’État, elle a en revanche inspiré le législateur. En effet, la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016 a créé un régime d’autorisation pour l’utilisation commerciale de l’image des domaines nationaux, récemment jugé conforme à la Constitution (Cons. const. 2 févr. 2018, n° 2017-687 QPC, Dalloz actualité, 8 févr. 2018, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2018. 297  ; AJCT 2018. 155 , obs. J.-D. Dreyfus , obs. J.-D. Dreyfus ). Si le décret d’application inclut Chambord dans le champ de ce texte, il ne peut constituer rétroactivement la base légale de titres exécutoires émis en 2011.

Toutefois, l’assemblée saisit l’occasion de cette décision pour préciser le régime contentieux et la compétence juridictionnelle. Il découle de l’article L. 621-42, considère-t-elle, « que l’utilisation à des fins commerciales des prises de vues d’un immeuble entrant dans leur champ, sans qu’ait été au préalable obtenue l’autorisation qu’elles prévoient, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’utilisateur à l’égard du propriétaire ou du gestionnaire de l’immeuble, le préjudice subi par celui-ci consistant notamment en l’absence de perception de la redevance dont l’autorisation aurait pu être assortie. La victime du dommage peut, dans ce cas, en demander la réparation devant la juridiction administrative, alors même qu’elle aurait le pouvoir d’émettre un état exécutoire en vue d’obtenir le paiement de la somme qu’elle réclame ».