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L’orientation sexuelle d’une personnalité politique relève-t-elle de sa vie privée ?

La cour d’appel, qui estime que l’influence de l’orientation sexuelle d’un homme politique sur la politique du parti auquel il appartient relève d’un débat d’intérêt général, ne peut qu’en déduire l’intérêt légitime pour le public d’en être informé. Reste à préciser si l’orientation sexuelle d’une personne est de nature à avoir une influence sur la politique de son parti pour relever, à ce titre, d’un débat d’intérêt général.

par Aude Mirkovicle 19 septembre 2018

Un ouvrage, intitulé Le Front national des villes et le Front national des champs, révèle au public l’homosexualité de monsieur B…, alors secrétaire général de ce parti. Ce dernier, invoquant l’atteinte portée à sa vie privée du fait de la révélation de son homosexualité, assigne l’auteur aux fins d’obtenir réparation du préjudice en résultant.

La cour d’appel de Paris, dans une décision du 11 juillet 2018, accueille sa demande, estimant que cette révélation n’est pas justifiée par le droit à l’information légitime du public ni proportionnée à la gravité de l’atteinte portée à la sphère la plus intime de sa vie privée.

Certes, l’arrêt d’appel relève que l’auteur de l’ouvrage litigieux s’interroge sur les motifs de l’évolution du Front national s’agissant, notamment, de son positionnement dans le débat relatif au mariage des personnes de même sexe et, plus généralement, de la lutte contre l’homophobie.

Pour autant, les juges d’appel estiment que, pour illustrer sa démonstration, il ne pouvait choisir de révéler l’orientation sexuelle de l’intéressé en partant du principe, pour le moins sommaire, que celui-ci avait participé, du fait de son appartenance à la communauté homosexuelle, à la prise de position du parti relative au projet de loi sur le mariage pour tous.

Cette décision est cassée par le présent arrêt de la première chambre civile du 11 juillet 2018.

Cette affaire illustre la difficulté pour le juge de combiner deux droits de même valeur normative, le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression.

La Cour de cassation se montre pédagogue et relaie la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle « il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime ; que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet de cette publication, le comportement antérieur de la personne concernée, ainsi que le contenu, la forme et les répercussions de la publication ».

La haute juridiction prend soin de rappeler que les personnes publiques ont, elles aussi, droit au respect de leur vie privée, tout en précisant que « le fait d’exercer une fonction publique ou de prétendre à un rôle politique expose nécessairement à l’attention du public, y compris dans des domaines relevant de la vie privée, de sorte que certains actes privés de personnes publiques peuvent ne pas être considérés comme tels, en raison de l’impact qu’ils peuvent avoir, eu égard au rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l’intérêt que le public peut avoir, en conséquence, à en prendre connaissance ».

On se demande dans ces conditions ce qu’il peut bien rester de vie privée pour les personnalités politiques car tout ce qui les concerne intéresse le public et le critère de la « contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général » apparaît bienvenu pour préserver aux personnalités politiques un reliquat de vie privée.

Encore faut-il préciser ce qu’il faut entendre par débat d’intérêt général car il est bien délicat de percevoir en quoi l’orientation sexuelle d’une personne, y compris une personnalité politique, pourrait contribuer à un tel débat. L’arrêt rapporte encore sur ce point la jurisprudence européenne, selon laquelle « se rapportent à un débat d’intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité », sachant que « tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important ou encore qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé ».

On ne voit toujours pas en quoi la sexualité d’un homme politique satisfait à ces critères pour relever d’un débat d’intérêt général et, à vrai dire, la Cour de cassation elle-même ne le prétend pas. Elle reprend les propres constatations des juges d’appel selon lesquelles, d’une part, « les interrogations de l’auteur sur l’évolution de la doctrine d’un parti politique, présenté comme plutôt homophobe à l’origine, et l’influence que pourrait exercer, à ce titre, l’orientation sexuelle de plusieurs de ses membres dirigeants, relevaient d’un débat d’intérêt général » et, d’autre part, « M. B… était devenu un membre influent de ce parti dans la région Nord-Pas-de-Calais », et reproche finalement à la cour d’appel de n’avoir pas déduit les conséquences de ses propres constatations : dès lors que la cour d’appel considérait que l’influence de l’orientation sexuelle de monsieur B… sur la politique du parti auquel il appartenait relevait d’un débat d’intérêt général et qu’elle constatait que l’intéressé était un membre influent du parti concerné, elle ne pouvait qu’en déduire l’intérêt légitime pour le public d’en être informé.

Finalement, la maladresse des juges d’appel fut sans doute de considérer que l’orientation sexuelle de certains membres dirigeants d’un parti était un élément de nature à exercer une influence sur la doctrine du parti en question, relevant ainsi d’un débat d’intérêt général. En effet, une telle considération repose sur le postulat que l’orientation sexuelle d’une personne la destine à penser comme ceci ou comme cela, à prendre parti dans tel ou tel sens dans un débat de société, ce qui est non seulement simpliste mais sans doute insultant pour les intéressés. D’ailleurs, dans le cas précis du débat sur le mariage des personnes de même sexe, ce postulat réducteur fut contredit par les débats eux-mêmes, au cours desquels certaines personnalités firent précisément état de leur orientation homosexuelle tout en se déclarant réservées, voire tout à fait hostiles à cette loi.

La Cour de cassation ne considère pas que l’orientation sexuelle des hommes et femmes politiques relève d’un débat d’intérêt général : elle reproche à la cour d’appel d’avoir considéré que cette information relevait d’un tel débat d’intérêt général, tout en faisant prévaloir la vie privée de l’intéressé sur l’intérêt du public à connaître cette information.

Il reste donc toute latitude à la cour d’appel de renvoi pour restituer à la sexualité des gens, y compris des personnalités publiques, son caractère privé, en évitant la maladresse de considérer qu’une information relative aux tendances sexuelles d’une personne pourrait relever de quelque débat d’intérêt général que ce soit.