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Loi Fraude : Bercy veut se renforcer et éviter la suppression du verrou de Bercy

Le projet de loi visant à lutter contre la fraude fiscale et sociale est centré sur le renforcement des pouvoirs de l’administration fiscale. Mais, comme l’a montré l’audition hier du ministre Gérald Darmanin à l’Assemblée nationale, le débat parlementaire devrait se centrer sur le « verrou de Bercy » et l’efficacité de la réponse judiciaire.

par Pierre Januelle 4 avril 2018

De nombreuses mesures pour renforcer les pouvoirs de Bercy

L’article premier du projet de loi permet de créer au sein du ministère chargé du budget un service d’enquête judiciaire fiscale. Le gouvernement souhaite ainsi un service plus spécialisé que la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), dont le champ est plus large que la fraude fiscale. L’étude d’impact évoque une trentaine d’agents d’ici 2020 par redéploiement d’effectifs de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Placé sous l’autorité d’un magistrat, ce service disposerait de pouvoirs d’enquêtes spéciaux. Le Conseil d’État est sévère sur ce nouveau service, qui sera directement concurrent de la BNRDF et considère qu’il suscitera « de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions ».

L’article 6 permettra la publicité des sanctions prononcées par l’administration fiscale contre les personnes morales, en cas de manœuvre frauduleuse et de droits fraudés supérieurs à 50 000 €, sauf si le dossier est transmis à la justice. Si l’administration décide de publier sa sanction, elle devra saisir une nouvelle « commission de publication des sanctions fiscales », qui rendra un avis motivé qui liera l’administration. Le contribuable pourra transmettre des observations écrites à la commission. Cet article donnera à l’administration un nouveau levier de pression contre le contribuable. À noter, le Conseil d’État s’était opposé à la limitation du dispositif aux personnes morales prévue par le texte et avait jugé non nécessaire la création d’une nouvelle commission.

L’article 7 prévoit de créer une amende administrative sanctionnant les intermédiaires qui fournissent des prestations de conseil ayant directement permis à un contribuable de commettre une fraude. L’amende sera de 10 000 € ou de 50 % du profit que le conseil a retiré de sa prestation. Elle pourra être contestée selon les voies normales des procédures fiscales et ne pourra être prononcée que si la personne n’est pas poursuivie pénalement pour sa complicité.

L’article 11 complète la liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale afin qu’elle intègre celle adoptée par l’Union européenne en décembre 2017. L’intégration de la liste européenne permettra d’appliquer à ces territoires tout ou partie des mesures dissuasives prévues par le droit français. Toutefois, la réforme inscrit dans le droit la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel, permettant à un contribuable de s’extraire de ces mesures dissuasives s’il démontre que l’opération concernée a principalement un objet et un effet autres que de permettre la fraude et l’évasion fiscales (v. LPA 16 févr. 2015, n° 33, p. 4, obs. F. Perrotin).

L’article 2 du projet prévoit que les agents des douanes pourront se faire communiquer le code source des logiciels de caisse (comme le peuvent déjà les agents de la DGFIP). L’article 4 réécrit l’article 242 bis du code général des impôts pour préciser les obligations imposées aux plateformes d’économies collaboratives (notamment l’obligation de déclaration à l’administration les revenus réalisés par les utilisateurs à compter de 2019). L’article 10 renforcera les sanctions douanières applicables en cas d’obstruction envers les agents des douanes.

Quelques mesures concernant la justice

L’article 8 du projet de loi prévoit une nouvelle aggravation de la peine d’amende pour les délits de fraude fiscale : alors qu’elle vient tout juste d’être fixée à 3 millions d’euros par la loi du 30 décembre 2017 (v. Dalloz actualité, 22 nov. 2017, art. P. Januel isset(node/187769) ? node/187769 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187769), le texte permettra au juge de porter ce montant au double du produit tiré de l’infraction. De même, l’article 5 constitue une quatrième réécriture en dix-huit mois des peines complémentaires applicables au délit de fraude fiscale. Un troisième mécanisme de peine plancher complémentaire se surajoute aux précédents, cette fois-ci pour prévoir par défaut l’application de la peine complémentaire de diffusion des décisions de condamnation. Actuellement, celle-ci n’est prononcée que dans 5 % des condamnations pour fraude.

L’article 3 ouvre aux vingt-deux assistants spécialisés issus du fisc actuellement mis à disposition des juridictions judiciaires la possibilité d’accéder à différents fichiers fiscaux (FICOBA, FICOVIE, PATRIM, BNDP). Il ouvre également l’accès de plusieurs fichiers fiscaux à des agents de l’inspection du travail, des URSSAF et de la MSA.

L’article 9 vise à ouvrir la faculté au procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC, le « plaider-coupable ») en matière de fraude fiscale. Initialement, la loi de 2004 avait exclu la fraude fiscale du champ de la CRPC, l’opposition craignant alors que de telles infractions soient jugées « en catimini ». Toutefois, face à la nécessité d’accélérer les procédures pénales, un consensus se fait pour élargir le champ de la CRPC. Pareille évolution était également demandée pour la convention d’intérêt judiciaire par le parquet national financier (v. Dalloz actualité, 19 janv. 2018, art. P. Januel isset(node/188707) ? node/188707 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188707) mais n’est pas dans le projet de loi.

La volonté du gouvernement de conserver le verrou de Bercy

Si les dispositions concernant la justice sont pour l’instant d’une ampleur limitée, elles pourraient profondément évoluer dans le débat parlementaire. Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, était auditionné hier par la mission d’information de l’Assemblée nationale conduite par Émilie Cariou et Éric Diard (v. Dalloz actualité, 19 janv. isset(node/188707) ? node/188707 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188707 et 15 févr. isset(node/189187) ? node/189187 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189187 2018, art. P. Januel). Il a souligné que le sujet du verrou de Bercy n’avait pas été inclus « par respect des travaux de la mission d’information » et s’est déclaré ouvert à des évolutions. La mission parlementaire rendra son rapport le 15 mai et le débat sur le projet de loi n’est attendu à l’Assemblée qu’à l’automne.

Toutefois, lors de l’audition, Gérald Darmanin s’est déclaré hostile à une suppression totale du verrou de Bercy. Si celui-ci pourrait être – éventuellement – supprimé en cas de délit connexe (quand la justice découvre la fraude au cours d’une affaire) ou d’élargissement d’une plainte (quand la justice s’aperçoit que la fraude dénoncée par l’administration était plus importante), il souhaite maintenir la plainte préalable de l’administration quand celle-ci est à l’origine de la découverte de la fraude.

La mission d’information a beaucoup tourné sur la déperdition du nombre de dossiers transmis à la justice. Sur environ 16 000 dossiers ayant fait l’objet de pénalités pour manœuvres frauduleuses, 4 000 portent sur un montant supérieur à 100 000 €. Et seul un petit millier sont soumis à la commission des infractions fiscales (CIF). Pour le ministre, cela relève du non bis in idem, de l’objectif de rendement des comptes publics, de la technicité de certains dossiers et de la pertinence d’une action pénale. Dans les faits, c’est l’administration fiscale qui exerce aujourd’hui le rôle du parquet dans l’opportunité des poursuites, même si elle le fait avec des règles définies. A aussi été évoquée par plusieurs personnes auditionnées la volonté de l’administration de garder un levier de pression pour encourager une transaction administrative. Le ministre a d’ailleurs suggéré une évolution de la loi pour permettre la transaction administrative même en cas de saisine de la justice.

La nécessité d’améliorer l’efficacité de la justice et le dialogue entre institutions

Le ministre a également relayé le constat, souvent formulé devant la mission, du manque d’efficacité de la justice en matière de fraude fiscale, notamment sa lenteur et la faiblesse des peines qu’elle prononce. Quand l’administration fiscale ne met en moyenne que 130 jours pour notifier sa sanction, la justice met trois ans pour rendre sa décision. Par ailleurs, sur 770 décisions de justice en 2016, seules 68 peines de prison fermes ont été prononcées et les amendes pénales sont faibles, alors que la justice n’a à connaître que des dossiers les plus solides.

Toutefois, s’il souhaite conserver le « verrou de Bercy », Gérald Darminin souhaite que les critères de saisine de la justice ne soient plus fixés par circulaire gouvernementale ou par la jurisprudence de la CIF. Le ministre voudrait que la loi fixe les critères de l’action pénale en fonction du montant fraudé, des agissements du fraudeur et des circonstances (personnalité, passif). Le fait de conditionner la mise en œuvre de l’action publique à d’autres critères légaux que ceux fixés par l’infraction a suscité les interrogations de plusieurs députés.

Un autre sujet a été soulevé par la rapporteure de la mission d’information, la députée Émilie Cariou (LREM) : la faiblesse des informations transmises par la justice à l’administration fiscale, lorsqu’une fraude fiscale est révélée à l’occasion d’une procédure judiciaire. Seuls 1 565 dossiers ont ainsi été transmis à l’administration en 2015. 58 % des dossiers ainsi signalés avaient pourtant conduit à des taxations, représentant 742 millions d’euros (471 millions de droit, 271 millions de pénalités, un gros dossier représentant 70 % des droits rappelés). La qualité des transmissions dépend trop souvent de la bonne volonté des acteurs de terrain.

Émilie Cariou a souligné la nécessité d’une institutionnalisation des liens entre justice et administration fiscale, avec des réponses systématiques. La mission devrait aussi proposer une sécurisation du caractère autonome du délit de blanchiment de fraude fiscale, qui relève actuellement de la seule jurisprudence. Enfin, il est loin d’être certain que les parlementaires suivent le ministre dans sa volonté de conserver le verrou.