Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Lorsque l’absence de prescription de l’action publique ne tient qu’à un jour

Selon la Cour de cassation, l’action publique en matière de délit se prescrit après trois années révolues à compter du jour où ces infractions ont été commises si, dans l’intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite, étant précisé que ce délai, qui ne commence à courir que le lendemain du jour où l’infraction aurait été commise, le terme révolu excluant le jour où le délit a été perpétré du délai pendant lequel court le temps de la prescription, se calcule de quantième à quantième et expire le dernier jour à minuit.

par Julie Galloisle 6 février 2018

L’exception de prescription, cause d’extinction de l’action publique (C. pr. pén., art. 6) mais aussi de l’action civile, cette action étant l’accessoire de la première, est une question non moins fondamentale qu’elle emporte l’impossibilité à la fois de poursuivre l’infraction et de se constituer partie civile pour cette même infraction. Il n’est dès lors pas étonnant que les parties civiles persévèrent en soutenant, au contraire, les faits non prescrits, cette absence de prescription pouvant se jouer, comme dans la présente espèce, à un seul jour.

Alors qu’il avait acquis, par acte sous seing privé du 30 mai 2005 comportant des conditions suspensives, suivi d’un acte notarié du 14 octobre 2005, un fonds de commerce d’officine de pharmacie, un acquéreur a porté plainte, le 11 octobre 2008, à l’encontre du vendeur du chef d’escroquerie. Celui-ci, qui avait constaté des anomalies dans le fonctionnement de l’officine, soupçonnait en effet le vendeur d’avoir gonflé le chiffre d’affaires de cette dernière durant les dernières années d’activité, et ce afin d’augmenter artificiellement la valeur de son commerce. Quatre jours plus tard, le procureur de la République a adressé, par soit-transmis, des instructions aux fins d’enquête aux services de gendarmerie, qui ont établi des procès-verbaux les 21 janvier et 5 février 2009. La plainte a cependant été classée sans suite par le ministère public le 21 mai 2010, considérant les faits éteints par prescription. L’acquéreur s’est alors constitué partie civile devant le doyen des juges d’instruction, par lettre recommandée avec avis de réception parvenue au greffe de ce magistrat le 6 février 2012. Le juge d’instruction a cependant, par ordonnance constatant la prescription de l’action publique, déclaré irrecevable la constitution de partie civile.

L’acquéreur a alors interjeté appel de cette ordonnance devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Montpellier qui a, par arrêt du 12 décembre 2013, confirmé l’irrecevabilité de la constitution de partie civile. Elle avait en effet retenu que les affirmations et documents mensongers établis par le vendeur avaient déterminé l’acquéreur à signer l’acte sous seing privé du 30 mai 2015. Aussi, le délai, qui avait commencé à courir le lendemain, s’était achevé le 31 mai 2008. Plus de trois années – délai applicable à l’époque en matière de délit – s’étaient donc écoulés entre la commission de l’infraction et les instructions que le procureur de la République avait adressées, par soit-transmis, aux gendarmes aux fins d’enquête, acte considéré comme interruptif de prescription (v. not. Crim. 20 févr. 2002, n° 01-85.042, Bull. crim. n° 42 ; D. 2002. 1115 ; RSC 2003. 585, obs. A. Giudicelli ) et ayant donné lieu à l’établissement des procès-verbaux par les gendarmes, actes ayant également valeur interruptive (Crim. 23 juin 1998, n° 98-81.849, Bull. crim. n° 203). Dans un premier pourvoi formé par la partie civile soutenant notamment que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour de la remise provoquée par l’escroc, la chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel. Suivant l’argumentation du pourvoi, elle a en effet jugé, au visa des articles 8 du code de procédure pénale et 313-3 du code pénal, qu’« en matière d’escroquerie, la prescription ne commence à courir qu’à compter de l’obtention du dernier acte opérant obligation ou décharge ». Le délai de prescription de l’action publique n’avait donc commencé à courir qu’au jour du dernier acte dont la signature a été provoquée par les manœuvres alléguées, à savoir l’acte notarié du 14 octobre 2005 et non au jour de l’acte sous seing privé (Crim. 6 mai 2015, n° 14-80.507, inédit). Considérant, par leur cassation, les faits d’escroquerie non prescrits, les juges du droit estimaient également implicitement que le délai de prescription de l’action publique devait s’achever le 15 octobre 2008, soit le jour où le procureur de la République avait adressé aux gendarmes un soit-transmis.

Saisie sur renvoi de l’affaire, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes n’a pas totalement suivi le raisonnement opéré par les juges du droit. Si les juges nîmois ont retenu que le point de départ du délai de prescription de l’action publique devait bien être fixé le 14 octobre 2005, ils ont néanmoins considéré que le délai s’était achevé le 14 octobre 2008, à minuit.

L’acquéreur a, en réaction, formé un second pourvoi, soutenait que « la prescription de l’action publique ne commence à courir qu’à compter du lendemain du jour où l’infraction a été commise et expire le dernier jour du délai à minuit », autrement dit commence le 15 octobre 2005 pour s’achever trois ans plus tard, à minuit. La partie civile n’invoquait ici ni plus ni moins que la règle dies a quo non computatur in termino, selon laquelle le jour à partir duquel un délai de prescription commence à courir n’est pas pris en compte dans l’écoulement de ce délai. Il faut savoir que la durée des délais se comptabilise non par heure mais par jour. Aussi, parce que le jour de la commission des faits est nécessairement entamé, le dies a quo ne compte pas.

La règle est connue. À de nombreuses reprises, la Cour de cassation a jugé que l’action publique se prescrit après l’écoulement du délai révolu à compter du lendemain où l’infraction a été commise si, dans l’intervalle, il n’a été fait aucun acte d’interruption (Crim. 2 févr. 1893, D. 1893. 1. 581 ; S. 1893. 1. 160 ; 1er févr. 1993, n° 92-82.491, Bull. crim. n° 53 ; 8 sept. 1998, n° 98-80.742, Bull. crim. n° 227 ; D. 1998. 262 ; RSC 1999. 344, obs. A. Giudicelli ; Dr. pénal 1999, comm. n° 17, obs. A. Maron ; JCP 1999. I. 112, note A. Maron ; 28 juin 2000, n° 99-85.381, Bull. crim. n° 255 ; JCP 2000. IV. 2692). Le délai de prescription de l’action publique ne court donc qu’à compter du lendemain de l’infraction à zéro heure de sorte que son point de départ est, au minimum, toujours décalé d’un jour. Pour autant, ce délai ne saurait se terminer un jour en avance. Dans la mesure où le délai de prescription se calcule également à ce niveau de quantième à quantième, c’est-à-dire de date à date, indépendamment du nombre de jours compris dans le mois ou dans l’année considéré(e), il expire bien le dernier jour à minuit de la date à laquelle la prescription a commencé. La jurisprudence inclut en effet le dies ad quem, sauf dans le cas où ce dernier jour tomberait un samedi, un dimanche ou encore un jour férié ou chômé, pour lequel le délai de prescription se proroge jusqu’au premier jour ouvrable suivant, toujours à minuit (C. pr. pén., art. 801).

Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que la chambre criminelle, de nouveau saisie d’un pourvoi formé par l’acquéreur partie civile, ait cassée la décision rendue par les juges du fond. Après avoir rappelé, au visa – cette fois-ci – des articles 7, alinéa 1er, et 8, alinéa 1er, anciens du code de procédure pénale, que « l’action publique en matière de délit se prescrit après trois années révolues à compter du jour où ces infractions ont été commises si, dans l’intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite », la Cour de cassation précise que « ce délai, qui ne commence à courir que le lendemain du jour où l’infraction aurait été commise, le terme révolu excluant le jour où le délit a été perpétré du délai pendant lequel court le temps de la prescription, se calcule de quantième à quantième et expire le dernier jour à minuit ». Et d’en déduire que « c’est le 15 octobre 2008 à minuit qu’était venu à expiration le délai de prescription » de sorte que « la chambre de l’instruction a[vait] méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ». Au demeurant, relevons que la cour d’appel de renvoi de Nîmes contredisait le précédent arrêt d’appel ayant retenu que la prescription avait commencé le lendemain de la signature de l’acte sous seing privé, et non pas le jour de cette signature.

À titre conclusif, il importe de préciser que la partie civile soutenait également, dans la deuxième branche de son second moyen, que le délai de prescription de l’infraction d’escroquerie « ne court qu’à compter de la date de remise du prix de cette vente, et non à compter de la signature de l’acte lui-même ». Il affirmait ainsi, et ce dans le but de gagner quelques jours qui auraient dissipé tout doute quant à la prescription des faits, que le point de départ devait être fixé au moment de la remise effective du bien entre les mains de l’escroc, à savoir le versement des fonds, et non au jour où l’acte permettait un tel versement. La chambre criminelle, ne répondant pas à cet argument, le rejette implicitement. Dans un arrêt du 30 juin 1999, cette même chambre s’était déjà prononcée en ce sens en jugeant l’escroquerie prescrite au motif que le délit avait été consommé par la présentation du chèque, par l’escroc, à l’encaissement et non pas seulement au moment où ce dernier avait endossé la totalité de la somme escroquée (Crim. 30 juin 1999, n° 98-82.009, Bull. crim. n° 170 ; D. 1999. 224 ; RSC 1999. 823, obs. R. Ottenhof ; RTD com. 2000. 197, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 2000, comm. n° 13, obs. M. Véron). Il faut dire qu’admettre un tel argument reviendrait à offrir à l’infracteur une porte de sortie. Cette solution impliquerait une consommation de l’infraction d’escroquerie uniquement à partir du moment de la remise effective du bien convoité par l’escroc de sorte qu’une remise non effective, bien qu’opérant transfert de propriété, ne serait considérée que comme un commencement d’exécution, et non comme le résultat. Dans ce cas, le comportement de l’auteur ne pourrait donc être réprimé que s’il s’accompagnait d’une absence de désistement volontaire de perpétrer l’infraction. Le délit impliquerait donc que l’auteur n’ait finalement pas renoncé à percevoir les fonds. D’un comportement considéré comme du repentir actif, car postérieur à la consommation de l’infraction, on passerait donc à la consécration d’un acte de désistement volontaire, antérieur à cette consommation et faisant ainsi échec à toute poursuite, y compris au titre de la tentative d’escroquerie (C. pr. pén., art. 121-5). L’on ne peut donc que se féliciter du fait que les juges répressifs refusent d’« admettre un tel degré d’élasticité du délai » (R. Ottenhof, obs. préc. ss. Crim. 30 juin 1999, n° 98-82.009) de prescription de l’action publique en matière d’escroquerie.