Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Lutte contre le terrorisme : les bons et mauvais points de la Cour des comptes pour la justice

La Cour des comptes vient de rendre un rapport sur les moyens de la lutte contre le terrorisme mis en place par l’État après la vague d’attentats de 2015. Une enquête, réalisée à la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui s’intéresse également aux crédits mis à la disposition du ministère de la justice et à sa stratégie.

par Gabriel Thierryle 21 juillet 2020

« Face au risque terroriste, les moyens mis en œuvre et leur emploi ont été appropriés. » Si, globalement, la Cour des comptes salue ce qui a été fait en matière de lutte antiterroriste depuis 2015, la juridiction financière n’oublie pas de pointer ce qui pourrait être amélioré. Derrière les armées (7,8 milliards d’euros mobilisés), l’intérieur (800 millions d’euros hors dépenses de personnel), la justice a bénéficié d’un important coup de pouce financier (700 millions d’euros en autorisation d’engagement) pour faire face à la nouvelle menace terroriste. Mais, Place Vendôme, « ces crédits ont été largement sous-exécutés ou bien employés à d’autres missions que la lutte contre le terrorisme, observe la Cour des comptes. Ils ne lui ont notamment pas permis de corriger la dégradation des conditions d’incarcération alors que, pour les détenus pour faits de terrorisme ou radicalisés, il conviendrait de développer davantage de quartiers séparés et de quartiers d’isolement ».

Des effectifs en hausse

Plus précisément, la manne antiterroriste a permis de financer la montée en puissance du renseignement pénitentiaire, passé d’un effectif de 27 personnes en 2014 à 329 cette année. De même, les magistrats spécialisés dans l’antiterrorisme au tribunal de grande instance de Paris sont passés de 17 en 2014 à 42 à l’automne 2019. Vingt-sept magistrats sont affectés au parquet national antiterroriste, une création qui « a suscité des doutes quant à la plus-value qu’il pourrait apporter », rappelle la Cour des comptes, mais qui a « déjà permis de rendre plus cohérente la chaîne pénale ». À l’instruction, les douze magistrats comptent entre 20 et 45 dossiers chacun, une charge de travail qualifiée de « gérable ». La cour d’appel de Paris bénéficie désormais elle de six magistrats en surnombre, ce qui lui a permis de créer deux nouvelles cours d’assises. Elle prévoit également la création d’une seconde chambre de l’instruction antiterroriste cette année.

Si les effectifs des magistrats sont en hausse, la Cour des comptes déplore des lacunes dans leur formation. 850 magistrats ont certes suivi en 2019 une formation en lien avec le terrorisme, mais le parcours approfondi de contre-terrorisme n’a, lui, été suivi que par une dizaine de magistrats. La juridiction financière appelle donc à étendre les formations existantes à tous les magistrats devant exercer une fonction dans ce domaine. « Dans la plupart des cas, les présidents et assesseurs sont peu formés aux problématiques du terrorisme et du djihadisme », note-t-elle. La Cour des comptes pointe notamment la faible connaissance des assesseurs extérieurs à l’institution judiciaire des tribunaux pour enfants, compétents pour les mineurs de moins de 16 ans, « très peu au fait de la lutte contre le terrorisme ».

Enfin, si l’administration pénitentiaire tire un bilan positif des quartiers d’évaluation de la radicalisation – où sont évaluées les personnes condamnées pour des faits de terrorisme liés à l’islam radical avant leur affectation en détention ordinaire, dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation ou des quartiers d’isolement –, la Cour des comptes déplore l’absence d’évaluation externe de ce dispositif, un avis externe jugé essentiel. La juridiction financière regrette notamment l’absence de quartier d’évaluation de la radicalisation pour les femmes détenues, une création prévue pour cette année. Un manque, associé au « faible nombre de places en quartiers d’isolement » qui pourrait être aggravé « si les 488 personnes majeures aujourd’hui détenues dans la zone syro-irakienne et faisant l’objet d’un mandat d’arrêt venaient à rentrer », note la Cour des comptes. Enfin, les « très coûteux » dispositifs de déradicalisation en milieu ouvert sont également, rapporte la juridiction financière, « jugés efficaces ». La plateforme d’accompagnement individualisé de réaffiliation sociale (PAIRS) de Paris, un marché remporté par le groupe SOS, représente ainsi un coût d’environ 3 500 € en moyenne par mois par individu suivi.