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Maintien au répertoire des détenus particulièrement signalés confirmé pour l’assassin du préfet Érignac

Le demandeur invoquait notamment la violation de son droit au respect de sa vie familiale et les obstacles posés à sa réinsertion pour obtenir l’annulation de son maintien au répertoire des DPS, décidé en 2012 par le garde des Sceaux. Pourvoi rejeté.

par Joana Falxale 12 février 2018

À quelques jours du sombre anniversaire de la mort du préfet Érignac et en cette période où les élus de l’Assemblée corse revendiquent le rapprochement des détenus de l’île, l’arrêt rendu par le Conseil d’État revêt une signification particulière.

Par sa décision du 29 janvier 2018, le juge administratif rejette le pourvoi formé par M. X, condamné pour cet assassinat, pourvoi visant à contester son maintien au registre des DPS.

L’inscription d’un détenu au registre des DPS a pour but, selon les termes de l’instruction ministérielle du 18 décembre 2007 repris par le CE, « d’appeler l’attention des autorités afin d’assurer une vigilance accrue quant à la surveillance de ces détenus ». Les textes régissant la procédure d’inscription, de maintien et de radiation des détenus au répertoire des DPS (instruction ministérielle du 18 déc. 2007 préc., puis circulaire du 15 oct. 2012) indiquent les critères présidant à l’inscription des détenus à ce registre : appartenance du détenu à la criminalité organisée ou à une mouvance terroriste ; détenu ayant réussi une évasion ou ayant tenté de s’évader ; détenu susceptible de mobiliser des moyens logistiques extérieurs ; détenu dont l’évasion pourrait avoir un impact important pour l’ordre public ; détenu susceptible de grandes violences ou ayant commis des atteintes graves à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui. Mais les dispositions en vigueur n’énumèrent pas avec précision les mesures applicables à ces DPS et se contentent des indications suivantes : les DPS doivent être placés dans des cellules à proximité des postes de surveillance ; ils font l’objet d’une vigilance particulière des surveillants lors des fouilles, des appels, des déplacements hors cellule ; leur candidature aux activités offertes ou à un travail doit faire l’objet d’un examen attentif ; il faut limiter le rassemblement de plusieurs DPS dans un même lieu ; enfin, il faut privilégier l’affectation des DPS en maison centrale ou en quartier maison centrale. De plus, la décision d’affectation des DPS dans un établissement pénitentiaire relève de la seule compétence du ministre de la justice.

Au-delà de ces vagues indications, il ressort toutefois de la pratique pénitentiaire et de la jurisprudence que les mesures appliquées aux DPS revêtent des formes diverses : régimes de fouilles à nu à répétition, fouilles de cellules, « rotations de sécurité » au sein de l’établissement ou d’un établissement à l’autre, placement à l’isolement, ou encore réveils nocturnes aléatoires pour contrôle des cellules. La France a d’ailleurs été condamnée à plusieurs reprises en raison de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (traitement inhumain ou dégradant) par l’application de certaines de ces mesures spécifiques aux DPS (v. ainsi CEDH 9 juill. 2009, Khider c. France, n° 39364/05, AJDA 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; D. 2009. 2462 , note M. Herzog-Evans ; ibid. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2010. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 372, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2010. 225, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 645, chron. P. Poncela ; 20 janv. 2011, El Shennawy c. France, n° 51246/08, AJDA 2011. 133 ; ibid. 1993, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 1306, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2011. 88 , note M. Herzog-Evans ; RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ; RSC 2011. 704, obs. D. Roets ; Gaz. Pal. 2009, 25, note M. Herzog-Evans). Ce n’est cependant pas le statut de DPS qui entraîne en lui-même une violation de la Convention européenne mais l’application de certaines des mesures liées à ce statut (v. ainsi CEDH 1er oct. 2013, Khider c. France, req. n° 56054/12, Dalloz actualité, 13 nov. 2013, obs. L. Sadoun-JarinCPDH, 5 nov. 2013). Or en l’espèce, la requête ne vise pas à contester certaines des mesures spécifiques liées au statut de DPS mais bien les conséquences générales de cette inscription.

Le Conseil d’État doit ainsi répondre aux multiples arguments soulevés par le requérant. Le premier concerne l’irrégularité des conditions de consultation de la commission locale chargée d’émettre un avis quant au maintien de l’inscription au répertoire des DPS, argument que le juge écarte car cette irrégularité n’aurait aucun impact sur le sens de la décision finalement adoptée, le maintien de l’inscription faisant l’objet d’un consensus parmi les instances locales. Il est notable à ce sujet que la procédure à présent applicable (circ. du 15 oct. 2012 préc.) impose la tenue d’une audience à titre de garantie pour la personne détenue, et que le non-respect de cette procédure contradictoire entraînerait selon toute vraisemblance l’annulation de la décision initiale (v. cependant contra CAA Marseille, 20 sept. 2013, req. nº 11MA04735, procédure irrégulière validée en raison de l’urgence de l’inscription).

Le requérant invoque ensuite la contradiction de motifs car les critères retenus pour le maintien de l’inscription sont ceux de l’appartenance du détenu à la mouvance terroriste corse et du grave trouble à l’ordre public qui résulterait de son évasion, et ce malgré le constat par l’administration pénitentiaire d’une dangerosité « faible ou ordinaire ». Le Conseil d’État se limite à relever que les juges du fond ont effectué « une appréciation sur l’application de ces critères […] sans entacher sa décision de contradiction de motifs », en se gardant bien néanmoins de qualifier cette appréciation.

Le troisième argument est relatif à la violation du droit au respect de la vie familiale du détenu, protégé par l’article 8 de la Convention européenne : en effet, son inscription au répertoire des DPS entraînerait son incarcération dans un établissement éloigné qui affecterait les possibilités de visites familiales. Le Conseil d’État reconnaît que cette inscription est un « élément de nature à orienter le choix de l’établissement d’affectation », mais que celle-ci ne détermine par pour autant le lieu géographique de détention, qui fait l’objet d’une décision distincte. Ainsi, la décision d’inscription ou de maintien au registre des DPS ne rend pas, par elle-même, les visites familiales impossibles. Cette solution ne tient cependant pas compte des conséquences concrètes du statut de DPS : d’une part, certains de ces détenus sont soumis à des « rotations de sécurité », entraînant des transfèrements récurrents entre établissements, ce qui aura nécessairement un impact sur la vie familiale de ces personnes et de leurs proches. Si rien n’indique que cela soit le cas en l’espèce, écarter aussi simplement l’existence de toute conséquence directe sur la localisation de la personne détenue revient à nier la réalité du statut de DPS. D’autre part, il aurait fallu s’intéresser à la situation concrète du détenu concerné pour décider de cette absence de relation directe entre le maintien au répertoire des DPS et le lieu géographique de détention. En effet, les dispositions régissant la matière obligent à privilégier le placement en maison centrale des DPS. Or il s’agit en l’espèce d’un détenu corse et le seul établissement pour peine existant en Corse est celui de Borgo, qui ne dispose pas de quartier maison centrale. Le statut de DPS a donc nécessairement des conséquences sur le lieu de détention de l’intéressé et donc sur son droit au respect de la vie familiale (v. P. Poncela, Demandés ou imposés, les transfèrements sur la sellette, RSC 2014. 153 ). Ainsi, plutôt que de nier toute méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne par la décision litigieuse, il aurait été préférable que le juge administratif se livre à un contrôle de la proportionnalité de l’ingérence ainsi exercée avec l’atteinte au droit conventionnellement protégé, conformément à la lecture jurisprudentielle effectuée par la Cour européenne des droits de l’homme. Ce type de contrôle n’empêche d’ailleurs pas le juge européen d’admettre la conventionnalité de certaines de ces mesures (v. ainsi, pour les rotations de sécurité, CEDH 1er oct. 2013, Khider c. France, préc.). Mais l’exercice d’un contrôle approfondi (dit contrôle maximal) sur une décision individuelle prise par le garde des Sceaux n’est pas sans entraîner une certaine réticence du juge administratif.

Enfin, le requérant soutient que le maintien de l’inscription au répertoire des DPS méconnaît l’objectif de préparation à la sortie. Le Conseil d’État rejette l’argument en soulignant que les DPS ont accès aux mêmes activités que les autres détenus, bien que leur candidature fasse « l’objet d’un examen attentif » aux termes de l’instruction ministérielle applicable. Encore une fois, cette solution ne tient pas compte des conséquences concrètes du classement d’un détenu parmi les DPS : l’accès aux activités de ces détenus est en pratique souvent très restreint en raison des strictes mesures de sécurité qui leurs sont applicables (placement à l’isolement par exemple) et de la lourdeur des contrôles dont ils font l’objet (fouilles notamment). En outre, l’exclusion des DPS du bénéfice de certains aménagements de peines n’est jamais évoquée, or il ressort de certaines décisions que c’est précisément en raison de l’inscription au répertoire des DPS que ces détenus se voient refuser l’octroi de mesures favorables à la réinsertion (qu’il s’agisse par exemple de permissions de sortir ou de mesures de semi-liberté, v. en ce sens CAA Paris, 22 mai 2008, n° 05PA00853, AJDA 2008. 1483 , concl. B. Bachini ; D. 2009. 1188 , note M. Giacopelli ; RSC 2009. 431, chron. P. Poncela ; arrêt confirmé par CE 30 nov. 2009, req n° 318589, Lebon ; AJDA 2009. 2320 ; ibid. 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; AJ pénal 2010. 43, obs. E. Péchillon ). Dès lors, la simple négation de la méconnaissance de l’objectif de réinsertion sur la base de l’affirmation par les textes de l’accès des DPS aux mêmes activités que la population pénitentiaire en général ne saurait être pleinement satisfaisante.

Dès lors, si le rejet de la requête peut sembler compréhensible sous un angle général, certains aspects de la décision du Conseil d’État semblent encore faire fi de la réalité pénitentiaire. En l’occurrence, la principale conséquence de ce maintien de l’inscription au répertoire des DPS est d’empêcher le rapprochement du détenu de sa région d’origine, la Corse, alors que la question du rapprochement des détenus est au cœur des discussions actuelles des élus corses avec l’exécutif national. L’obstacle n’est toutefois pas nécessairement absolu car, si les textes indiquent que le placement des DPS en maison centrale est à privilégier, il ne s’agit pas d’une obligation. La décision de transfert de ces détenus relève du reste de la seule compétence du ministre de la justice.