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Moyens au soutien des prétentions, avec les compliments de la deuxième chambre civile !

La disposition de l’article 954 du code de procédure civile selon laquelle la cour d’appel n’examine les moyens au soutien des prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion, consacre un principe de structuration des écritures des parties et tend à un objectif de bonne administration de la justice de sorte qu’en n’examinant que les moyens invoqués dans la partie discussion à l’appui des prétentions énoncées au dispositif, la cour d’appel, qui ne fonde pas sa décision sur un moyen de droit qu’elle aurait soulevé d’office, n’a pas à solliciter les observations préalables des parties.

On connaissait les conséquences du développement de prétentions dans la discussion mais absentes au dispositif des conclusions, voilà la sanction de prétentions visées au dispositif mais non soutenues par des moyens dans la discussion ! Une SCI était appelante d’un jugement du Tribunal de grande instance de Béziers qui l’avait déboutée de sa demande d’annulation d’une assemblée générale. En appel, la SCI sollicitait la réformation de l’ensemble des dispositions du jugement et que soit prononcée l’annulation en toutes ses résolutions de l’assemblée générale tandis que le syndicat des copropriétaires intimé demandait la confirmation pure et simple de la décision dont appel. La Cour d’appel de Montpellier confirma le jugement. Devant la Cour de cassation, la SCI faisait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en annulation de l’assemblée générale alors « que, les juges doivent, en toute circonstance, respecter et faire respecter le principe du contradictoire ; qu’en considérant qu’en vertu de l’article 954 du code de procédure civile, seul le moyen de la comptabilisation des millièmes de copropriété pouvait être examiné à l’appui de la demande d’annulation du procès-verbal d’assemblée générale du 15 juin 2015 de la SCI La Caploc dès lors que les autres moyens n’étaient pas développés dans les conclusions et figuraient exclusivement dans leur dispositif, quand le syndicat intimé, qui ne développait nullement ce moyen, avait conclu sur chacun des griefs invoqués par l’appelante, la cour d’appel, qui a relevé d’office un moyen sans le soumettre préalablement à la libre discussion des parties, a violé l’article 16 du code de procédure civile ». En formation de section, la troisième chambre civile répond :

« 4. Il résulte de l’article 16 du code de procédure civile que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
5. Selon l’article 954, alinéa 3, du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
6. Cette disposition, qui consacre un principe de structuration des écritures des parties et tend à un objectif de bonne administration de la justice, délimite l’étendue des prétentions sur lesquelles la cour d’appel est tenue de statuer et les moyens qu’elle doit prendre en considération.
7. Dès lors, en n’examinant que les moyens invoqués dans la partie discussion à l’appui des prétentions énoncées au dispositif, la cour d’appel, qui ne fonde pas sa décision sur un moyen de droit qu’elle aurait soulevé d’office, n’a pas à solliciter les observations préalables des parties.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n’est donc pas fondé ».

Lu et approuvé

Deux principes émergent de cet arrêt de procédure d’importance, celui de l’obligation pour le juge de solliciter les observations des parties lorsqu’il soulève d’office un moyen de droit et celui de la sanction née de prétentions contenues au dispositif sans être soutenues par des moyens développés dans la discussion. Arrêt d’importance même s’il n’émane pas de la deuxième chambre civile se sont immédiatement empressés de commenter, comme pour se rassurer à sa lecture, certains praticiens de la procédure civile et des réseaux. Mais si l’arrêt a déjà fait grand bruit, il n’y a toutefois aucune raison d’en atténuer la portée ; il y a tout lieu au contraire de penser qu’une telle solution serait approuvée par la « chambre de procédure », pour ne pas dire qu’elle en revêt, déjà, l’imprimatur.

Brisons le suspense d’entrée, même si rien ne permet de l’identifier à sa lecture, cet arrêt de la troisième chambre civile a en réalité été rendu après avis de la deuxième chambre civile. Magie de l’open data que de révéler ce qui apparaît… caché ! Rien n’avait filtré de cet avis livré le 13 juin 2024, et la solution dégagée par la troisième chambre civile, selon la procédure d’avis prévue à l’article 1015-1 du code de procédure civile, est sa reprise à l’identique (Civ. 2e, 13 juin 2024, n° 22-13.911). La deuxième chambre était dans l’ombre de la troisième, et en connaissant la position de celle-ci, on connaît la position de celle-là !

De l’intérêt, pour le juge, de relever un moyen de droit sur lequel il ne fonde pas sa décision

Mais tout n’est pas caché dans cet arrêt et le premier...

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