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Non-conformité à la Constitution de l’éphémère article L. 600-13 du code de l’urbanisme

Le Conseil constitutionnel considère que l’ancien article L. 600-13 du code de l’urbanisme, abrogé par la loi ELAN, porte atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.

par Rémi Grandle 30 avril 2019

Le rapport de 2013 « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre », fruit du groupe de travail constitué par le président Labetoulle, avait conduit à l’adoption de plusieurs mesures visant à lutter contre les recours abusifs contre les autorisations d’urbanisme (v. D. Labetoulle, AJDA 2013. 1897 ), insérées dans l’ordonnance du 18 juillet 2013 et son décret d’application. Redéfinition de la consistance et de la date d’appréciation l’intérêt à agir (v. J. Trémeau, AJDA 2013. 1901 ), possibilité de régulariser les autorisations d’urbanisme en cours d’instance, obligation d’enregistrement des transactions, possibilité de présenter des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire… toutes ces mesures s’insèrent dans un mouvement plus global tendant à fluidifier davantage le contentieux de l’urbanisme (avec la suppression temporaire de l’appel en zones tendues ou encore le mécanisme de cristallisation des moyens).

Les dispositions contestées

Bien que ne trouvant pas son origine dans le rapport précité, l’article L. 600-13 du code de l’urbanisme (issu d’un amendement parlementaire adopté lors de l’examen de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté) semblait poursuivre le même objectif : lutter contre les recours dilatoires.

Cet article prévoyait en effet que « La requête introductive d’instance est caduque lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produit pas les pièces nécessaires au jugement de l’affaire dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête ou dans le délai qui lui a été imparti par le juge. » Cette déclaration de caducité pouvant, au terme du second alinéa de l’article, être rapportée si le demandeur fait connaître au greffe, dans un délai de quinze jours, le motif légitime qu’il n’a pas été en mesure d’invoquer en temps utile.

Une telle rédaction ne pouvait toutefois plonger les juges que dans une profonde perplexité, tant les termes employés étaient imprécis. En effet, quelles sont « les pièces nécessaires au jugement de l’affaire » ? Quel motif peut « légitimement » faire obstacle à ce qu’un requérant produise un document ? Cette imprécision a d’ailleurs conduit les juridictions du fond à faire un usage très limité de ce nouveau mécanisme, le rapporteur public concluant sur l’arrêt de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel n’ayant recensé qu’une « petite quinzaine » d’application, « dont seulement un tiers de (…) positives ». C’est dans le cadre de l’une d’elles que la conformité des dispositions de l’article L. 600-13 au droit au recours juridictionnel a été contestée (v. CE 8 févr. 2019, n° 424146).

L’atteinte au droit au recours

Le droit au recours juridictionnel effectif découlant de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen est aux nombres des droits et libertés dont la méconnaissance peut être invoquée au soutient d’une QPC (ex. Cons. const., 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC, AJDA 2018. 710 ; D. 2018. 876, et les obs. , note Y. Mayaud ; Constitutions 2018. 277, chron. O. Le Bot ).

Et son invocation au soutien de la contestation d’une règle propre au contentieux de l’urbanisme n’est pas nouvelle. Ainsi, le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme qui restreint l’invocation, par la voie de l’exception d’illégalité, des vices de forme ou de procédure entachant les documents d’urbanisme (Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC, Malvy, D. 1995. 294 , obs. E. Oliva ; ibid. 302 , obs. P. Gaïa ; RDI 1994. 163, étude J. Morand-Deviller ; RFDA 1995. 7, note P. Hocreitère ; ibid. 780, étude B. Mathieu ). De même, le Conseil constitutionnel a considéré que l’article L. 600-1-1 du même code, aux termes duquel les recours formés par les associations ne sont recevables que si leurs statuts ont été déposés en préfecture avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, ne méconnaissait pas le droit à un recours effectif (Cons. const., 17 juin 2011, n° 2011-138 QPC, Vivraviry (Assoc.), AJDA 2011. 1228 ; D. 2011. 1942 , note O. Le Bot ; ibid. 2694, obs. F. G. Trébulle ; JA 2011, n° 443, p. 13, obs. A. Verjat ; RDI 2011. 465, obs. P. Soler-Couteaux ; JT 2011, n° 134, p. 13, obs. A. Verjat ; Constitutions 2011. 577, chron. A. Faro ).

Mais, dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel estime que ce droit est méconnu. Il relève en effet que « la notion de « pièces nécessaires au jugement d’une affaire » est insuffisamment précise pour permettre à l’auteur d’une requête de déterminer lui-même les pièces qu’il doit produire » et que le juge peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-13 du code de l’urbanisme, « prononcer la caducité de la requête sans être tenu, préalablement, ni d’indiquer au requérant les pièces jugées manquantes ni même de lui préciser celles qu’il considère comme nécessaires au jugement de l’affaire ».

En outre, les sages de la rue de Montpensier constatent que la caducité de la requête ne peut pas être rapportée par la production des pièces jugées manquantes et que, dès lors qu’elle a été prononcée, « le requérant ne peut obtenir l’examen de sa requête par une juridiction ; il ne peut introduire une nouvelle instance que si le délai de recours n’est pas expiré. »

Au regard de ces éléments, il est donc relevé que l’atteinte portée au droit au recours juridictionnel est disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi de lutter contre les recours dilatoires en matière d’urbanisme.

Le Conseil constitutionnel déclare donc ces dispositions, qui avaient été abrogées par la loi ELAN du 23 novembre 2018 (conformément à la proposition faite dans le rapport du groupe de travail présidé par Christine Maugë, v. AJDA 2018. 76 ), contraires à la Constitution, déclaration applicable à toutes les affaires non jugées définitivement au 19 avril 2019. Signe que l’objectif, certes louable, de fluidifier le contentieux de l’urbanisme, doit néanmoins connaître certaines limites.