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Pas d’indemnité d’occupation pour le tontinier placé en maison de retraite

Aucune indemnité d’occupation n’est due au tontinier lorsque l’impossibilité de jouir du bien ne procède pas du fait de son co-tontinier mais résulte de la dégradation de son état de santé qui l’empêche de quitter la maison de retraite dans laquelle il est admis depuis plusieurs années.

par Quentin Guiguet-Schieléle 7 novembre 2018

La clause d’accroissement ou de tontine a le mérite de simplifier le régime de propriété lors de la survenance du décès des parties, mais elle a le tort de compliquer considérablement les choses avant la survenance de ce terme fatidique. Heureusement, la Cour de cassation autorise un emprunt partiel aux règles de l’indivision, dont l’arrêt rendu ce 3 octobre 2018 par la première chambre civile est une illustration.

Deux concubins avaient acquis en 1996, avec clause d’accroissement « dite de tontine » un bien immobilier dans lequel ils ont résidé pendant plusieurs années. Le temps passant, l’état de santé de la concubine s’est dégradé et ne permettait plus un maintien à son domicile. Elle a donc été admise en maison de retraite, puis placée sous tutelle en 2002. Les relations s’étant visiblement dégradées entre les parties, elle a assigné, en 2011, son ancien compagnon en partage du bien immobilier. À cette occasion, elle a sollicité le paiement d’une indemnité d’occupation, le défendeur ayant seul occupé l’habitation pendant presque dix ans. Sa demande fut accueillie en appel : la cour d’appel de Lyon condamna l’occupant au paiement d’une indemnité d’occupation depuis le 28 septembre 2006 (en raison de la prescription quinquennale des fruits, cette indemnité ne pouvait remonter jusqu’en 2002), jusqu’au partage du bien en cas de renonciation à la clause d’accroissement ou jusqu’au décès de l’une ou l’autre des parties. Pourvoi fut formé. Une telle indemnité était-elle due ? À la réflexion, deux obstacles s’y opposaient : le motif de l’occupation privative et la stipulation d’une clause de tontine.

Pour la Cour de cassation, l’indemnité d’occupation n’était pas due. L’arrêt fut censuré pour la première raison, la seconde n’étant même pas invoquée par le moyen.

Indemnité d’occupation et aptitude à la jouissance du bien

La Cour de cassation reproche aux juges du fond d’avoir condamné le défendeur au paiement d’une indemnité d’occupation alors même que l’éviction de la demanderesse n’était pas de son fait : « en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’impossibilité [de la demanderesse] d’occuper l’immeuble ne procédait pas du fait [du défendeur], la cour d’appel a violé » l’article 815-9 du code civil.

L’alinéa 2 de ce texte permet en effet à l’indivisaire évincé de la jouissance du bien indivis d’être indemnisé par les indivisaires qui sont à l’origine de cette éviction sauf si les indivisaires dérogent à cette règle par convention (Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-11.524, Bull. civ. I, n° 284 ; D. 2006. 1913 ; AJ fam. 2006. 326, obs. S. David ). La jouissance privative, qui rend l’indivisaire débiteur d’une indemnité d’occupation, « résulte de l’impossibilité de droit ou de fait pour les coïndivisaires d’user de la chose » (Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 07-19.465, Bull. civ. I, n° 160 ; Dalloz actualité, 29 juill. 2009, obs. V. Egéa ; AJ fam. 2009. 351, obs. L. Pécaut-Rivolier ; RTD civ. 2009. 700, obs. J. Hauser ; 31 mars 2016, n° 15-10.748, Bull. civ. I, n° 848 ; D. 2016. 782 ; AJ fam. 2016. 263, obs. J. Casey ). L’impossibilité de droit, assez rare, correspond à l’hypothèse où une décision de justice confère la jouissance exclusive non-gratuite du bien à l’un des indivisaires telle une ordonnance de non-conciliation dans une procédure de divorce (Civ. 1re, 25 juin 2002, n° 98-22.882, Bull. civ. I, n° 173 ; D. 2002. 2716 ; AJ fam. 2002. 381, obs. S. D. ; RTD civ. 2002. 787, obs. J. Hauser ; ibid. 790, obs. J. Hauser ). L’impossibilité de fait, plus fréquente, résulte du comportement d’un indivisaire incompatible avec la jouissance du bien, comme la détention des clés empêchant les autres indivisaires de pénétrer dans l’immeuble indivis (Civ. 1re, 30 juin 2004, n° 02-20.085, Bull. civ. I, n° 194 ; AJDI 2004. 915 ; AJ fam. 2004. 458, obs. F. Bicheron ; encore faut-il que l’accès au bien soit impossible, ce qui n’est pas le cas, par exemple, lorsque l’indivisaire prétendument évincé peut avoir accès aux clés de l’immeuble sur demande, Civ. 1re, 28 mars 2018 n° 17-14.104, Dalloz actualité, 18 avr. 2018,...

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