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Point de licenciement verbal nonobstant l’obtention loyale de courriels professionnels

Sont recevables en tant que preuve les courriels échangés entre la responsable des ressources humaines et le président de la société sur leur boîte mail professionnelle respective obtenus de manière loyale puisqu’aucun piratage des messageries n’est démontré. En revanche le contenu des messages qui portaient sur une promesse d’embauche pour le recrutement d’un salarié ne vaut pas licenciement verbal de l’actuel titulaire du poste.

Dans un arrêt rendu le 26 mars 2025, la Cour de cassation a eu l’occasion d’apprécier la conformité de l’obtention de moyens de preuve permettant au salarié d’invoquer un licenciement verbal, dépourvu ipso facto de cause réelle et sérieuse, que la cour d’appel aurait dû rejeter au motif que l’employeur n’avait pas manifesté au moyen de ces courriels de manière irrévocable la volonté de mettre fin au contrat de travail.

Qui eût pu imaginer qu’un licenciement puisse être verbal cependant que l’article L. 1232-6 du code du travail requiert l’envoi par l’employeur d’une lettre de licenciement ? La pratique n’est pas rare (Lyon, ch. soc. B, 14 mars 2025 n° 22/02287 ; Paris, pôle 6 - ch. 4, 19 mars 2025, n° 21/07614) et donne lieu à des arrêts de la Cour de cassation assortis quelquefois de considérations relatives à la conformité de l’obtention de moyens de preuve, tels que l’arrêt rendu le 26 mars 2025 par la chambre sociale.

En fait, un directeur général a été licencié pour faute grave le 28 février 2019 après avoir été convoqué à son entretien préalable le 7 février. Il a par suite saisi la juridiction prud’homale en contestation de cette sanction en versant au débat des courriels échangés entre le président et la responsable comptable et ressources humaines de la société qui l’emploie, pièces qui démontrent selon lui un licenciement verbal intervenu le 24 janvier 2019.

En cause d’appel, les juges du fond déboutent l’employeur de sa demande de rejet des courriels et considèrent le licenciement sans cause réelle et sérieuse, octroyant ainsi au salarié diverses indemnités de rupture. Ils estiment en premier lieu que les courriels ne constituent pas des échanges privés mais avaient la nature de correspondances professionnelles. En outre, l’employeur n’établit pas le piratage de sa messagerie professionnelle comme il le prétend tandis que le salarié rapporte la preuve de son accès aux boîtes professionnelles. Les juges du fond relèvent en second lieu qu’il avait formalisé, dans ces courriels, une promesse d’embauche sur le poste de directeur général dès le 24 janvier 2019, soit avant la convocation à l’entretien préalable, nonobstant que la décision de rompre le contrat n’ait pas été notifiée au principal intéressé.

À hauteur de cassation, l’employeur argue d’une part que la cour d’appel a violé l’article 9 du code de procédure civile, en ce que les courriels ont été déloyalement obtenus, et qu’elle a dénaturé ces pièces en ne retenant pas leur nature privée. Il fait valoir d’autre part que sa volonté de mettre fin au contrat de travail ne ressort nullement des courriels produits par le salarié.

Le premier moyen de cassation n’a pas convaincu la Cour régulatrice qui, au moyen pourtant d’un contrôle lourd, juge que la cour d’appel a exactement reçu les pièces litigieuses qui ne portent pas atteinte à l’intimité de la vie privée des correspondants. La chambre sociale casse cependant l’arrêt attaqué au motif que les juges du fond qui ont violé l’article L. 1232-6 du code du travail : les pièces ne dénotent pas la volonté irrévocable de l’employeur de mettre fin au contrat de travail. Ce dont il résulte que les courriels, quoique recevables, ne fondent pas le licenciement verbal.

Recevabilité des courriels professionnels

La chambre sociale considère primo les courriels recevables, leur obtention n’étant pas déloyale et ne portant pas atteinte à l’intimité de la vie privée.

L’irrecevabilité d’une preuve déloyale ou portant atteinte à un droit fondamental, principe de procédure civile, n’est pas consacrée dans la loi en dépit de son importance pratique considérable. La jurisprudence fonde alors l’irrecevabilité de la preuve déloyale sur l’article 9 du code de procédure civile et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (v. Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 03-12.653 P, D. 2005. 122 , note P. Bonfils ; ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; AJ pénal 2005. 30, obs. C. S. Enderlin ; RTD civ. 2005. 135, obs. J. Mestre et B. Fages ). Elle a même érigé un « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » (Cass., ass. plén. 7 janv. 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2011, obs. E. Chevrier ; D. 2011. 562, note F. Fourment ; ibid. 618, chron. V. Vigneau ; ibid. 2891, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Gelbard-Le Dauphin ; RDP 2011, n° 04, p. 97, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2011. 127, obs. B. Fages ; ibid. 383, obs. P. Théry ; RTD eur. 2012. 526, obs. F. Zampini ). Quant à l’irrecevabilité d’une preuve portant atteinte à l’intimité de la vie privée, la Cour régulatrice mobilise les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail (Soc. 26 nov. 2002, n° 00-42.401 P, D. 2003. 1858, et les obs. , note J.-M. Bruguière ; ibid. 394, obs. A. Fabre ; ibid. 1305, chron. J. Ravanas ; ibid. 1536, obs. A. Lepage ; Dr. soc. 2003. 225, obs. J. Savatier ; RTD civ. 2003. 58, obs. J. Hauser ).

Toutefois, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt important, que : « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 B, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 291 , note G. Lardeux ; ibid. 275,...

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