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Précisions sur les poursuites en matière de harcèlement moral et sexuel

Dans quatre moyens tous rejetés par la chambre criminelle, l’arrêt rapporté apporte des précisions sur les poursuites en matière de harcèlement moral et sexuel.

par Dorothée Goetzle 28 novembre 2017

En l’espèce, un individu était, le 19 juin 2008, licencié de son entreprise après que plusieurs salariées lui avaient imputé des faits de harcèlement. Sept anciennes salariées ayant eu cet individu comme supérieur hiérarchique évoquaient des faits de harcèlement dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Trois autres lui imputaient des faits de harcèlement moral. Dans ce contexte, une information judiciaire était ouverte des deux chefs de harcèlement sexuel et moral.

Le juge d’instruction ordonnait le 13 mai 2012 le renvoi de l’intéressé devant le tribunal correctionnel. Devant cette juridiction, le prévenu soulevait une exception de nullité fondée sur l’absence de base légale de la poursuite du chef de harcèlement sexuel. Il s’appuyait sur l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal, dans sa version antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, par décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 du Conseil constitutionnel. Le tribunal correctionnel accueillait favorablement cette exception de nullité et se concentrait donc uniquement sur la qualification de harcèlement moral pour relaxer le prévenu de ce chef. Sur appel des parties civiles et du procureur de la République, les seconds juges condamnaient le prévenu pour harcèlement moral à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, ce qui conduisait l’intéressé à former un pourvoi en cassation.

Dans le premier moyen, la Cour de cassation rappelle que, contrairement aux arguments du requérant, si une partie civile, constituée en première instance, n’est plus partie en appel, elle ne peut comparaître à l’audience ou s’y faire représenter et ne peut être entendue qu’en qualité de témoin. Ce choix s’inspire de deux arrêts rendus le 29 mars 2017 dans lesquels la chambre criminelle, réunie en assemblée plénière, avait déjà rappelé les conditions dans lesquelles une partie civile non appelante d’un jugement correctionnel pouvait être entendue par la juridiction d’appel (Crim. 29 mars 2017, n° 15-86.434, Dalloz actualité, 20 avr. 2017, obs. W. Azoulay ; ibid. 1557, chron. G. Guého, E. Pichon, B. Laurent, L. Ascensi et G. Barbier ; AJ pénal 2017. 288, obs. G. Pitti ; RSC 2017. 342, obs. F. Cordier ; 29 mars 2017, n° 16-82.484, D. 2017. 1557, chron. G. Guého et al. ; AJ pénal 2017. 288 ; RSC 2017. 342, obs. F. Cordier ). Il faut donc en conclure que la partie civile, constituée en première instance, qui n’est plus partie en appel, ne peut comparaître à l’audience ou s’y faire représenter par un avocat. Elle ne peut être entendue qu’en qualité de témoin sans l’assistance d’un conseil (Crim. 19 janv. 2005, n° 04-81.903, Bull. crim. n° 26 ; D. 2005. 664 ; 15 sept. 2010, n° 09-84.772, Dalloz jurisprudence ; 18 juin 2014, n° 13-86.256, Bull. crim. n° 154).

Le second moyen se concentre sur la question de la prescription. Le requérant rappelle qu’il a été déclaré coupable par la cour d’appel de faits de harcèlement moral commis entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2008. Il reproche aux magistrats de ne pas avoir précisé quand aurait eu lieu le dernier de ces agissements. Selon lui, ce silence a pour conséquence que la Cour de cassation n’est pas en mesure de s’assurer que les poursuites n’étaient pas atteintes par la prescription. La Cour de cassation déclare ce moyen irrecevable pour la double raison qu’il est nouveau et mélangé de fait.

Le troisième moyen est relatif à la condamnation du requérant à verser des dommages et intérêts. Ce moyen concerne spécifiquement les victimes soumises de manière répétée à des gestes licencieux et à des propos indécents et déplacés dans le but de leur arracher des faveurs de nature sexuelle. Pour justifier cette condamnation, les seconds juges considéraient que le prévenu a commis des faits qui, poursuivis à l’origine sous une qualification pénale depuis abrogée, n’en constituent pas moins une faute. Ces agissements fautifs ont directement causé aux victimes un dommage personnel. En d’autres termes, le comportement du prévenu est analysé sous l’angle d’une faute civile qui a entraîné, pour les victimes, un préjudice direct et personnel ouvrant droit à réparation. Or, pour le prévenu, la cour d’appel devait se limiter aux faits objet de la poursuite. À cet égard, il souligne qu’il a été « définitivement réputé innocent » des faits initialement poursuivis du chef de harcèlement sexuel en raison de l’extinction de l’action publique. En outre, il réitère son analyse déjà développée dans le second moyen en soulignant que la cour d’appel n’a pas précisé quand aurait eu lieu le dernier des agissements de harcèlement sexuel. Cette information était selon lui nécessaire pour que la Cour de cassation puisse pleinement s’assurer que l’action civile n’était pas atteinte par la prescription. La chambre criminelle écarte le moyen en se fondant sur l’article 12 de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012. Ce texte énonce qu’en raison de l’abrogation de l’article 222-33 du code pénal résultant de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, lorsque le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels constate l’extinction de l’action publique, la juridiction demeure compétente, sur la demande de la partie civile formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite.

Enfin, dans un quatrième moyen, le requérant reproche à la cour d’appel de l’avoir déclaré responsable d’un dommage causé à l’entreprise qui l’employait. Pour se dédouaner de cette responsabilité, il souligne qu’il n’avait aucune intention de nuire à son employeur. Or la Cour de cassation considère qu’il a « terni l’image de la compagnie auprès de ses autres salariés ». La chambre criminelle approuve donc la cour d’appel d’avoir déclaré recevable la constitution de partie civile de la société, d’avoir déclaré le prévenu responsable d’un dommage subi par cette dernière et de l’avoir condamné à lui verser des dommages et intérêts. Il faut en déduire que les agissements du prévenu ont directement causé à l’entreprise un dommage. Le raisonnement est le suivant : pour commettre ces faits, le prévenu a outrepassé les pouvoirs hiérarchiques que lui avait octroyés son employeur.