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Prescription de l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée

Le délai de prescription d’une action en requalification d’un CDD en CDI, fondée sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification, court à compter de la conclusion de ce contrat. 

par Clément Couëdelle 22 mai 2018

Notre droit du travail a fait du contrat à durée indéterminée (CDI) le modèle de droit commun, limitant par là-même le recours au travail précaire. Suivant cette logique, la conclusion d’un contrat à durée déterminée (CDD) a été rigoureusement encadrée, sous peine d’être requalifié en contrat à durée indéterminée (C. trav., art. L. 1245-1). Il en va notamment ainsi lorsque le CDD ne comporte pas certaines mentions obligatoires (C. trav., art. L. 1242-12) ou lorsqu’il a pour « objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise » (C. trav., art. L. 1242-1). Les enjeux sont conséquents puisque l’employeur s’expose au paiement de sommes diverses (rappel des salaires, indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse, indemnité compensatrice de préavis, indemnité spéciale de requalification…). Reste à connaître le délai dont dispose le salarié pour faire valoir ses droits.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la Cour de cassation clarifie le régime de la prescription des actions en requalification du CDD. La chambre sociale donne des éléments de compréhension quant au point de départ de la prescription, lorsque la demande de requalification est fondée sur l’absence d’une mention au contrat. En l’espèce, un salarié avait été engagé par CDD du 12 au 31 juillet 2004 sans que le contrat ne précise le motif de recours au CDD. Plusieurs autres CDD avaient par la suite été conclus avec la même société, le dernier prenant fin le 15 janvier 2014. Le 6 janvier 2014, le salarié demandait la requalification en CDI du contrat de travail conclu dix ans plus tôt. Estimant que l’action en requalification était prescrite, la cour d’appel rejette la demande du salarié qui se pourvoit alors en cassation.

La Cour de cassation valide la décision de la cour d’appel et précise que « toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». L’action en requalification d’un CDD est bien soumise à la prescription biennale issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Il n’y a donc pas lieu de mobiliser le délai de cinq ans visé à l’article 2224 du code civil. La solution n’avait rien d’évidente. Pour Jean Mouly, « l’action en requalification n’est pas une action portant sur l’exécution ni la rupture du contrat. Elle est, au contraire, une action dérivant d’une irrégularité tenant à la formation du contrat et, comme telle, devrait donc être soumise à la prescription quinquennale » (J. Mouly, La requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat, Dr. soc. 2017. 1079 ).

La Haute juridiction choisit pourtant d’appliquer les dispositions de l’article L. 1471-1 du code du travail, lequel englobe les actions tenant à l’exécution et à la rupture du contrat. Le raisonnement de la Cour de cassation peut se justifier si l’on admet que les demandes en requalification visent pour partie l’application du droit du licenciement, conséquence sous-jacente de la rupture du contrat. Si la Cour a suivi cette logique, il faudra nécessairement tenir compte de la nouvelle écriture de l’article L. 1471-1 (issu de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018), le délai de prescription s’agissant de la rupture du contrat de travail n’étant plus de deux ans (tel était le cas au moment de la saisine) mais de douze mois.

Dans un second temps, la chambre sociale indique que « le délai de prescription d’une action en requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur l’absence d’une mention au contrat susceptible d’entraîner sa requalification, court à compter de la conclusion de ce contrat ». Dès lors que la demande de requalification est fondée sur le défaut d’indication du motif du recours au CDD, le point de départ de la prescription est fixé à la date de conclusion de ce contrat et non au terme du dernier CDD signé, comme le faisait valoir le pourvoi.

C’est au moment où le salarié négocie et conclut son CDD qu’il peut, en théorie, en apprécier la validité du contenu. Si la solution retenue présente l’avantage d’être objective et pragmatique, il peut néanmoins s’avérer difficile, pour le salarié toujours sous contrat, d’engager une action contre son employeur actuel. Quoi qu’il en soit, la Haute juridiction fige le point de départ de la prescription et s’éloigne, dans le même temps, d’une conception « flottante » des délais d’action en requalification.

La solution semble toutefois être différente lorsque l’action en requalification concerne une succession irrégulière de CDD. Dans la lignée d’un arrêt rendu en matière de contrats de travail temporaire (Soc. 13 juin 2012, n° 10-26.387, Dalloz actualité, 10 juill. 2012, obs. B. Ines isset(node/153517) ? node/153517 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>153517), la Cour de cassation a récemment fait prévaloir la date de rupture de la relation contractuelle comme point de départ de la prescription. Lorsque le recours à plusieurs CDD permet de pourvoir un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise, le délai de prescription ne semble courir qu’à compter du terme du dernier contrat à durée déterminée (Soc. 8 nov. 2017, nº 16-17.499, RJS 1/2018, n° 11). La faible publicité de cet arrêt laisse néanmoins subsister un doute quant à la portée de la décision.