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Procès du « repenti » corse : « Je vous invite à ne pas adhérer au discours victimaire de Claude Chossat »

C’est au terme de quatre heures de réquisitoire que l’avocat général Pierre Cortès a demandé une peine de quinze ans de réclusion criminelle à l’encontre de Claude Chossat, pour sa complicité dans l’assassinat de Richard Casanova. Contre le fournisseur d’armes, David Taddei, cinq à six ans d’emprisonnement. Verdict ce vendredi dans la soirée.

par Julien Mucchiellile 8 novembre 2019

Tapi dans sa cage de verre, alors que la cour, l’accusation et les parties civiles exhortent l’accusé médiatique Claude Chossat à présenter les preuves irréfutables de la sincérité effective de son repentir, David Taddei bulle, lançant ça et là des regards noirs, jusqu’à ce que le président Jean-Luc Tournier, qui en avait fini avec l’accusé principal, pose sur lui son regard bienveillant et dise : « David Taddei, levez-vous, qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

S’en suit un bref interrogatoire, au terme duquel l’accusé Taddei explique : « Je n’ai jamais vendu d’armes à M. Chossat, pour la simple et bonne raison que je le haïssais à cette époque, j’ai fait sept ans de prison à cause de lui, si je l’avais croisé sur la route à cette époque, je suis pas sûr que je ne l’aurais pas écrasé », ce à quoi Claude Chossat a répondu :

— Moi, David, ce qu’il faut que tu comprennes, c’est que j’ai fait des choix et que je les assume.

— C’est à cause de toi que je suis là, répond Taddei, je ne te le pardonnerai pas.

— Je comprends que tu nies, mais j’ai fait des choix.

— Ce n’est pas bien de régler ses comptes en parlant à la justice.

— Dans la vie à un moment, il vaut mieux parler à la justice que de tirer des coups de feu en Corse, a répondu Claude Chossat, avec ce ton sentencieux qui le caractérise, et l’échange en est resté là.

Jeudi après-midi, l’avocat général Pierre Cortès a réglé le sort de l’accusé Taddei en un quart d’heure, proposant à la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, qui juge l’assassinat de Richard Casanova, tué par balle le 23 avril 2008 à Porto-Vecchio, de condamner le fournisseur d’armes, un lot d’une valeur de 25 000 € comprenant notamment un fusil M-16, un fusil SIG, des Glock 9 mm et un fusil calibre 12, à une peine de « cinq à six années d’emprisonnement ».

Le cas de l’accusé Chossat a requis de longs développements, tant il paraissait important, aux yeux de l’avocat général, de dissiper le moindre doute, de rendre intelligible pour les jurés les méandres nébuleux du milieu corse, dont, selon ses mots, Chossat n’était qu’un « valet médiocre », de chasser les mensonges, lever l’ambivalence qui règne sur la compréhension de ces dossiers.

D’abord : caractère et personnage de Chossat, son jeu trouble et sa stratégie de défense. L’accusateur prête à l’accusé « toutes les qualités de l’escroc qu’il est, au service de l’assassin qu’on voudrait qu’il soit. Je vous invite à ne pas adhérer au discours victimaire de Claude Chossat, à la parole sûrement mensongère de Claude Chossat. Il s’étonne d’être mis en accusation au lieu d’être félicité, non seulement pour avoir rompu avec la marginalité, mais en prenant avec courage le risque de parler à la justice contre la loi d’airain de l’omerta ».

« Claude Chossat a réussi, c’est une prouesse, à hystériser les opinions autour de sa sainte figure de repenti, menacé par ceux qu’il dénonce. Mais ce n’est pas en ouvrant un dossier sur la place publique que l’on peut avancer dans les affaires. Paradoxalement, les médias, devant lesquels Claude Chossat lui-même est allé se porter, ont été reconnaissant, en ont fait leur icône, symbole antimafia, figé dans la posture de l’homme seul contre tous. Ces policiers, ces magistrats, quel est l’état d’esprit qui les habite ? C’est le syndrome de Stockholm, c’est la sympathie pour celui qui parle. Nous avons voulu en savoir plus, et nous sommes revenus bredouilles. »

« Rien dans le texte de 2014 [décret portant application de la loi protégeant les voyous repentis, ndlr] ni dans celui de 2004 [loi Perben II instituant ce statut, ndlr] n’interdit de faire rétroagir cette protection de repenti, bien entendu. Mais on lui a refusé ce statut ! Vous êtes dans l’usurpation : cette cour d’assises a eu l’opportunité de connaître le vrai premier repenti de l’histoire judiciaire française et, par conséquent, peut faire la différence entre votre posture et un véritable repenti. »

Il énumère les affaires : les cercles de jeu parisiens ? La justice est depuis longtemps informée de la mainmise du milieu corse sur ces endroits, fermés depuis, qui ont donné lieu à des procédures – jugées depuis des années maintenant. La veille, Claude Chossat avait lancé : « je vais agrandir la cible que j’ai dans le dos, l’affaire de la “cigale blanche” (importation de stupéfiants), c’est moi. Que quelqu’un comme vous [Pierre Cortès] ne soit pas au courant que l’affaire de la cigale blanche, c’est moi, je suis outré. Aujourd’hui, même si je meurs, ça n’a plus d’importance », a-t-il lancé, avec dépit.

Si Chossat a donné des informations, Pierre Cortès ne le conteste pas, il a été contraint de le faire par les circonstances qu’il a rappelées, et qui commencent par l’assassinat d’un voyou, c’est l’affaire de l’assassinat de Jean-Claude Tasso. « Il se promène dans Aix en voiture, sa femme à côté de lui, et là, un pilote de T-Max se porte à sa hauteur, le passager du scooter ouvre le feu avec un 9 mm semi-automatique. » Claude Chossat est en garde à vue, son ADN a été retrouvé sur un étui. « C’est parce qu’il est dans une situation désespérée qu’il doit mettre en œuvre, de manière énergique, des moyens importants. » « Ils m’ont mis la main au collet, ils ne vont plus me lâcher », lit-on dans l’ouvrage de Claude Chossat. Nous sommes dans une stratégie défensive. « Il faut composer ce personnage exclusivement épris de sincérité et de franchise, et c’est l’escroc qui va prendre le pas. » Mais, pendant la garde à vue, dit l’avocat général, la sincérité et la franchise ne sont manifestement pas son premier mouvement. Or « celui qui dit la vérité, il doit la dire tout de suite ! »

« Il y aurait comme un parfum de foutage de gueule que cela ne m’étonnerait pas »

Pourquoi ne pas parler plus tôt ? « Je ne veux pas embêter des gens honnêtes, des travailleurs », répète-t-il. Chossat donne des informations, change de version, modifie ses déclarations. « Vous bougez le schéma, vous changez le mode opératoire, vous faites bouger les lignes, et vous vous étonnez qu’on essaye d’en faire quelque chose ? Vous prétendez faire confiance à la police et à la justice, et vous tablez sur le fait qu’ils ne donneront aucune suite ? » L’avocat général est énervé. « Il y aurait comme un parfum de foutage de gueule que cela ne m’étonnerait pas. »

L’un des nœuds de l’affaire est Franck, décrit par Chossat comme un ancien légionnaire athlétique à l’accent marseillais et aux yeux bleus, présent aux côtés de Francis Mariani, que personne n’a jamais vu et qui n’a jamais été retrouvé. Pierre Cortès rappelle les étapes. « Le 2 novembre 2011, on apprend que Franck a un nom arménien, qu’il fait commerce de textile à Marseille, qu’il serait un proche de Christian Leoni, pourquoi ne pas l’avoir dit tout de suite ? Vous en parlez le 2 novembre 2011, de Christian Leoni, qui pourrait identifier Franck, mais Leoni a été assassiné cinq jours avant, c’est une coïncidence ? On a cherché Franck, on n’a pas pu entendre Pierre-Marie Santucci, Charles Fraticelli, Guazelli, c’était trop tard. » Des vivants, il en reste quelques-uns. Tony Patacchini aurait, selon Chossat, vu Franck : jamais vu, jamais entendu parler. Il a traité Patacchini de menteur. Les deux dernières compagnes de Francis Mariani ne le connaissent pas non plus. Jacques Mariani non plus. « On va s’intéresser à ceux qui auraient pu connaître, entr’apercevoir Franck l’insaisissable. »

La justice a établi un portrait-robot, est allée quérir le renseignement pénitentiaire, a cherché le passé militaire. Avec autant d’éléments et de vérifications systématiques, comment est-il possible d’être passé à côté de Franck, si ce Franck existait ? Puis, un certain Franck T…, qui correspond au profil, est découvert. Chossat dit : non, ce n’est pas lui. « C’est le talent de Chossat de prendre des choses vraies et de l’associer à des choses qui ne sont pas vraies, ou qui sont vraies et qui n’ont rien à voir, et de faire un assemblage. »

Puis, par un courrier anonyme, la photo d’un homme parvient aux juges d’instruction. Le mis en cause reconnaît Franck. Mais Nicole Casanova, la sœur de la victime, reconnaît le même homme dans un film de James Bond. Hasard ? Chossat dit que c’est un piège qu’on lui a tendu pour discréditer sa parole. À quoi lui servirait Franck, s’égosille-t-il ? À rien. « Franck n’atténue pas sa responsabilité, dit l’avocat général, c’est quelqu’un qu’on met en scène parce qu’il vient faire nombre. »

Claude Chossat, comme à son habitude, est absolument immobile, un peu voûté, le dos rond sur sa chaise. Lorsqu’il aborde les faits, Pierre Cortès se fait plus sobre. « Quatre certitudes, dit-il : c’est un guet-apens parfait, il y a un tireur unique, le calibre de l’arme est un 223, les tirs sont médiocres, désastreux, dignes de s’en gausser. »

Est-ce que Chossat peut être considéré comme le tireur« ? Il a laissé son ADN à l’endroit où il ne fallait pas. « J’ai trouvé dans ce dossier un certain nombre d’éléments qui donnent à penser que ce tireur unique serait Francis Mariani. » « Le premier argument est une question sans réponse : quel serait le mobile propre de Claude Chossat pour tuer un Richard Casanova qu’il ne connaît pas ? » Il développe les mobiles de Francis Mariani. « Est-ce que l’on peut imaginer que Francis Mariani ait laissé faire à son poisson-pilote, lui qui ne délègue que des tâches subalternes ? »

Sur la question de la taille du tireur, car les deux ont trois centimètres d’écart. « Quand on fait quelques centimètres de moins, on est moins à l’aise pour tirer. Je ne suis pas en mesure de dire que c’est vous qui avez tiré, alors je ne le dis pas, mais pour autant, peut-on aller jusqu’à dire que Chossat n’a pas engagé sa responsabilité dans l’assassinat de Richard Casanova ? Sûrement pas. Il y a des éléments de complicité qui ont été rassemblés contre vous. »

Chossat ne pouvait ignorer l’intention homicide de son patron. « C’était le boss, c’était le parrain que tout le monde respecte. Un grand tueur », ce sont des expressions de Chossat, « un homme sanguinaire, froid, capable d’abattre », voilà comment il dépeint Mariani. « Vous savez qui il est, et vous savez, avant même que se produise l’assassinat de Casanova, qu’on a essayé de l’atteindre, et qu’il est dans la paranoïa, et vous savez qu’il est un homme à se venger, à se protéger par la suppression de l’ennemi. Francis Mariani ne pense qu’à ça en se rasant le matin. »

« Vous lui avez procuré un lot d’armes, alors pourtant qu’il en dispose dans des caches un peu partout, mais il veut des armes vierges, qui n’ont pas d’antécédent, et des armes neuves. Si on veut ce type d’armes, c‘est qu’on a l’intention de s’en servir, vous suivez mon raisonnement. Ce raisonnement-là n’est pas capillotracté. » On ne se balade pas pour se défendre avec des armes longues, ça ne s’est jamais vu. « Il est évident que Francis est armé pour riposter contre cette tentative d’assassinat », dit Tony Patacchini. C’est ce qui fait dire à M. Trannoy, directeur d’enquête : « Je pense que Claude Chossat a donné des informations utiles, mais je suis tout à fait certain qu’il ne pouvait pas ignorer qu’on était dans un projet d’assassinat. » Chossat ne peut que réaliser l’existence d’un projet criminel et remplit les conditions de l’article 121-7 du code pénal.

Pierre Cortès, qui souvent représente l’accusation dans cette cour d’assises, pour ces dossiers corses, conclut son réquisitoire : « Vous avez décidé d’aller dans le sens d’une vie honnête, vous ne pouvez pas y aller si vous n’acquittez pas votre dette à la justice. Parce que vous ne serez un homme nouveau que quand vous sortirez de prison. »