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Les propositions du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Le 21 mars 2018, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et hommes, Marlène Schiappa, ont présenté en conseil des ministres le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

par Pauline Dufourqle 28 mars 2018

Le nouveau projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes vient d’être présenté ce mercredi 21 mars en conseil des ministres. Ce projet s’articule autour de quatre propositions phares : l’allongement des délais de prescription des crimes de viols sur mineurs, le renforcement de la répression des viols et agressions sexuelles sur les mineurs de moins de quinze ans, la création d’un délit d’outrage sexiste et sexuel et enfin l’insertion d’un nouvel article destiné à renforcer la lutte contre le cyberharcèlement exercé de façon concertée et collective.

L’allongement des délais de prescription des crimes de viols sur mineurs

Le présent projet de loi prévoit tout d’abord un allongement des délais de prescription à trente ans pour les crimes sexuels à l’encontre des mineurs. Cette volonté d’extension trouve son origine dans la volonté de restaurer une cohérence globale du régime des prescriptions, d’identifier comme une priorité de politique pénale la répression des crimes sexuels et violents à l’encontre des mineurs mais également de prendre en compte la spécificité des crimes sur les mineurs, au regard notamment de l’évolution des connaissances, tant en ce qui concerne le développement de l’enfant que les méthodes d’investigation en matière pénale.

Selon le gouvernement, la loi du 27 février 2017 a estompé la spécificité des crimes sexuels à l’encontre des mineurs, en rehaussant le délai de prescription en matière criminelle à vingt ans, exception faite du report du point de départ de la prescription, qui relève désormais du droit commun. Dès lors, une telle réforme permettrait de « [maintenir les] catégories juridiques existantes et de [repositionner les] crimes sur mineurs à la juste place dans la hiérarchie du droit des prescriptions ».

Cette volonté d’extension se voit également justifiée en raison de la spécificité des crimes sexuels qui apparaît mieux appréhendée d’un point de vue sociologique et scientifique. C’est ainsi que l’étude d’impact rédigée par le gouvernement précise que « la minorité de la victime au moment des faits est de nature à entraîner une difficulté à révéler les faits, à s’exprimer ou à désigner l’auteur de l’agression, notamment en cas d’emprise ou de conflit de loyauté en raison des liens entre l’auteur et la victime ». Cette étude rappelle ainsi les incidences du phénomène dit « d’amnésie traumatique » pouvant durer plusieurs décennies. En ce qui concerne les évolutions scientifiques, le gouvernement précise que « la preuve génétique constitue aujourd’hui un facteur important d’élucidation d’affaires anciennes et présente un intérêt tout particulier en matière criminelle et sexuelle ».

Si une telle proposition ne semble a priori pas s’opposer à nos principes constitutionnels et conventionnels, elle soulève néanmoins plusieurs interrogations. En termes d’opportunité, il est à noter que les infractions commises sur les mineurs bénéficient déjà d’un particularisme par rapport aux infractions commises sur les majeurs consistant en un report du point de départ de la prescription, lequel est fixé à compter de la majorité du plaignant. Par ailleurs, il apparaît nécessaire de mettre en balance les effets d’une telle extension avec la raison d’être de la prescription en matière pénale ; la prescription vient ainsi pallier les risques inhérents à un dépérissement des preuves et notamment de la preuve par témoignages, elle permet également de sanctionner l’inertie des parties. Dès lors, au-delà du caractère symbolique d’une telle proposition, il convient de s’interroger sur les mérites de cette dernière, comme le rappelle précisément le gouvernement : « le nombre d’affaires qui auraient fait l’objet d’un classement sans suite résultant de la prescription de l’action publique et qui seront désormais poursuivies sera relativement modéré compte tenu des difficultés probatoires liées, de façon générale, à la poursuite de faits anciens ».

La répression des viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans

Le projet de loi vient également renforcer la répression des abus sexuels commis sur les mineurs de moins de quinze, en inscrivant dans le code pénal un nouvel alinéa portant sur les éléments constitutifs du viol et des agressions sexuelles ainsi que de l’aggravation des peines encourues.

Le texte propose en son article 2 l’insertion d’un alinéa à l’article 222-22-1 du code pénal, rédigé en ces termes : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus d’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

En préférant une telle formulation, le gouvernement écarte l’une des options formulées lors de déclarations publiques consistant en la création d’une présomption de contrainte en cas d’atteinte sexuelle commise par un majeur. Une telle présomption apparaissait en effet non conforme à nos standards constitutionnels et conventionnels. À cet égard, la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’admet qu’à titre exceptionnel l’existence de présomption de culpabilité en matière répressive. Dans une telle hypothèse, l’instauration d’une présomption ne doit pas être irréfragable et doit assurer le respect des droits de la défense. De telles exigences se voient en outre renforcées lorsque la présomption est instaurée en matière criminelle (Cons. const. 16 juin 1999, n° 99-411 DC, AJDA 1999. 736 ; ibid. 694, note J.-E. Schoettl ; D. 1999. 589 , note Y. Mayaud ; ibid. 2000. 113, obs. G. Roujou de Boubée ; ibid. 197, obs. S. Sciortino-Bayart ; 10 juin 2009, n° 2009-580 DC, AJDA 2009. 1132 ; D. 2009. 1770, point de vue J.-M. Bruguière ; ibid. 2045, point de vue L. Marino ; ibid. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 1966, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny-Goy ; Dr. soc. 2010. 267, chron. J.-E. Ray ; RFDA 2009. 1269, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 97, obs. H. Périnet-Marquet ; ibid. 293, obs. D. de Bellescize ; RSC 2009. 609, obs. J. Francillon ; ibid. 2010. 209, obs. B. de Lamy ; ibid. 415, étude A. Cappello ; RTD civ. 2009. 754, obs. T. Revet ; ibid. 756, obs. T. Revet ; RTD com. 2009. 730, étude F. Pollaud-Dulian ; 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097 , note D. Ginocchi ; D. 2011. 1162, chron. P. Bonfils ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJCT 2011. 182 , étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 789, étude M.-A. Granger ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy ; 16 sept. 2011, n° 2011-164 QPC, Dalloz actualité, 21 sept. 2011, obs. A. Astaix , note L. Castex ; ibid. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2011. 594, obs. S. Lavric ; RSC 2011. 647, obs. J. Francillon ). Au surplus, la création d’une telle présomption semble dépasser les conditions de « limites raisonnables » fixées par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision Salabiaku (CEDH, Salabiaku c. France, 7 octobre 1988).

Le projet de loi dans sa dernière rédaction vise à faciliter la démonstration de la condition de contrainte lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans. Comme le souligne le Conseil d’État, une telle précision permet de prendre en considération la vulnérabilité des victimes très jeunes et les difficultés inhérentes à la capacité de discernement du mineur s’agissant notamment de la possibilité de consentir de façon libre et consciente à un acte sexuel.

De plus, le projet de loi prévoit une aggravation des peines encourues en insérant un nouvel alinéa au terme de l’article 227-26 du code pénal. Cette proposition vise à renforcer les pénalités applicables en matière d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans à hauteur de dix ans d’emprisonnement de 150 000 € d’amende lorsque le majeur commet un acte de pénétration sexuelle sur la personne du mineur de quinze ans.

Le projet de loi prévoit enfin que, lorsqu’un accusé majeur sera poursuivi devant la cour d’assises, le président pose systématiquement la question subsidiaire de la requalification d’un viol en atteinte sexuelle lorsque les faits ont été commis sur un mineur de 15 ans.

La création d’une nouvelle incrimination « l’outrage sexiste »

Le gouvernement prévoit la création d’une nouvelle incrimination destinée à réprimer le harcèlement dit « de rue » en instaurant une nouvelle infraction « d’outrage sexiste ». Cette infraction consiste à imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

Ces faits constitueront une contravention de la quatrième classe ou de la cinquième classe en cas de circonstances aggravantes.

L’extension de la définition de harcèlement en vue de réprimer les « raids numériques »

Le présent projet de loi prévoit également d’élargir la définition du harcèlement pour permettre la répression des « raids numériques ». Cette notion de raids numériques renvoie à la « publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible » (rapport du 16 nov. 2017 intitulé En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes, du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes).

La définition de cette infraction est directement inspirée de celle du délit de harcèlement sexuel, mais sans l’exigence de répétition des faits, qui interdit actuellement la répression des actes commis de façon isolée.

De même, le gouvernement indique dans son étude d’impact que « la difficulté du droit actuel est donc celle de la dilution de la responsabilité pénale des “coauteurs” d’un raid : chaque participant n’adressant à la victime qu’un message, il semble difficile d’imputer à une personne spécifique la responsabilité d’un harcèlement basé sur un principe de répétition des actes ».

Aussi, le présent projet de loi à vocation à préciser le délit de harcèlement sexuel ou moral en indiquant que ces infractions seront également constituées lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée.

Il est à noter que le texte prévoit expressément l’exigence d’une action « concertée » si bien que le fait que plusieurs personnes insultent « par mimétisme » une autre personne ne pourra caractériser une infraction de harcèlement car cette action certes unique ne sera pas concertée.

L’instauration d’un arsenal de nouvelles mesures

Ce projet de loi qui sera prochainement discuté au parlement se voit enfin renforcé par un arsenal de nouvelles mesures non législatives (communiqué de presse du secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes du 23 mars 2018). C’est ainsi que le gouvernement prévoit le développement de la possibilité de porter plainte dans les différents lieux de prise en charge des victimes à l’instar des hôpitaux, la création d’une plate-forme de signalement en ligne pour les victimes de harcèlement, de discriminations et de violences, et la création d’une « brigade numérique », le développement du stage de prévention de la récidive pour les auteurs de violences, le recrutement de 10 000 policiers de la sécurité du quotidien, dont une des missions sera la verbalisation de l’outrage sexiste prévu dans le projet de loi, ou encore la garantie de 5 000 places d’hébergement en 2018 pour les femmes victimes de violences et d’un accompagnement adapté.