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Le protocole, le juge de l’exécution et la communication par voie électronique

L’arrêté du 7 avril 2009 n’exclut pas de son champ d’application les procédures de saisie immobilière. Peu importe qu’une convention locale sur la communication électronique signée entre le barreau et le tribunal de grande instance n’inclue pas dans son périmètre ces procédures.

par Corinne Bléryle 13 mars 2018

Le 1er mars 2018, la deuxième chambre civile a rendu un nouvel arrêt en matière de communication par voie électronique (sur la CPVE, v. C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris ; C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s.) et de protocole (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, préc., nos 300.00 s.). Comme dans l’arrêt du 19 octobre 2017 (n° 16-24.234, Dalloz actualité, 7 nov. 2017 ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 60, note N. Hoffschir), la haute juridiction refuse de reconnaître une valeur à un protocole de procédure. L’autre apport de l’arrêt est que la saisie immobilière entre dans le champ d’application de l’arrêté du 7 avril 2009 relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux de grande instance. Cela semblait aller sans dire, mais c’est désormais dit.

Une banque exerce des poursuites à fin de saisie immobilière contre une société et deux époux. Par un jugement d’orientation du 26 mars 2015, un juge de l’exécution ordonne la vente forcée de l’immeuble des époux et fixe la date de la vente. Les débiteurs interjettent appel. En raison de ce recours, la banque sollicite le report de la date de l’audience de vente forcée auprès du greffe du juge de l’exécution.

C’est par voie électronique que l’avocat a adressé la demande de report, ainsi que les pièces, de la banque. Le juge de l’exécution, par jugement du 25 juin 2015, déclare caduc le commandement de saisie immobilière.

La cour d’appel confirme le jugement du 25 juin 2015, infirme celui du 26 mars 2015 et déclare caduque la procédure de saisie immobilière :

• d’une part, « l’arrêt retient que le conseil de la banque a adressé sa demande de report de l’audience de vente forcée et ses pièces par la voie du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), alors que la convention sur la communication électronique signée entre le barreau de Lorient et le tribunal de grande instance de Lorient n’incluait pas dans son périmètre les saisies immobilières, de sorte que le message, reçu au greffe, n’a pas été transmis au juge de l’exécution, qui en a déduit que la banque n’avait pas déposé de conclusions de report » ;
• d’autre part, la cour d’appel juge « que l’écrit reçu au greffe par la voie du RPVA, par lequel le conseil de la banque a sollicité le report de la vente forcée, ne peut valoir conclusions à défaut d’avoir été signifié aux défendeurs, pour lesquels aucun avocat n’était régulièrement constitué » (réponse justifiée par l’art. R. 311-6, al. 2, C. pr. exéc. : « la communication des conclusions et des pièces entre avocats est faite dans les conditions prévues par l’article 815 du code de procédure civile. La communication des conclusions est faite par signification au débiteur qui n’a pas constitué avocat »).

La banque se pourvoit et la Cour de cassation casse l’arrêt en toutes dispositions :

• la cour d’appel a violé les articles R. 311-6 du code des procédures civiles d’exécution [l’alinéa 1er dispose qu’« à moins qu’il en soit disposé autrement, toute contestation ou demande incidente est formée par le dépôt au greffe de conclusions signées d’un avocat »], 748-6 du code de procédure civile et 1 de l’arrêté du 7 avril 2009 relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux de grande instance : en effet, « les envois, remises et notifications des actes de procédure peuvent être effectués par voie électronique lorsque les procédés techniques utilisés garantissent, dans des conditions fixées par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, la fiabilité, de l’identification des parties à la communication électronique des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettent d’établir de manière certaine la date d’envoi et celle de la réception par le destinataire ; […] la communication par voie électronique entre avocats ou entre un avocat et la juridiction dans les procédures devant le tribunal de grande instance est spécialement régie par l’arrêté du 7 avril 2009 » ; or il « n’exclut pas de son champ d’application les procédures de saisie immobilière » ;
• la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile faute de répondre aux conclusions qui faisaient valoir que c’était par erreur qu’il était mentionné dans le jugement du juge de l’exécution que les débiteurs n’avaient pas constitué avocat en première instance ;
• la cassation sur ces deux fondements entraine la cassation, par voie de conséquence (c. pr. civ., art. 624) de l’arrêt du 26 mars 2015.

C’est à la réponse apportée à la première branche qu’est évidemment due la publication de l’arrêt.

Rappelons une nouvelle fois qu’un protocole est une sorte de convention collective de procédure civile, conclue entre la juridiction et ses partenaires, voire entre partenaires, et qui tend à encadrer la mise en état des affaires, ou au moins un aspect de celle-ci – comme la communication par voie électronique –, tant en procédure écrite qu’orale (v. nos notes sous l’arrêt du 19 oct. 2017, préc.). De tels protocoles peuvent-ils contenir des règles de droit dur, extra legem, voire contra legem ?

La Cour de cassation l’a refusé. Sa position est claire depuis l’arrêt du 19 octobre 2017 : les protocoles de procédure ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile. Autrement dit, les protocoles n’engagent que ceux qui les respectent ! La cour d’appel de Rennes, comme d’autres avant elles (v. réf. dans les notes préc.), avait fait application d’un protocole de procédure, mis en place avec le barreau de Nantes : pour déclarer irrecevable un appel, la juridiction du second degré avait déclaré irrecevable un appel adressé au greffe par voie électronique, appel qui avait été refusé, pour non-conformité aux exigences de la convention relative à la communication électronique au protocole mis en place avec le barreau de Nantes. Fort heureusement, la deuxième chambre civile avait rappelé à l’orthodoxie : la communication par voie électronique est régie par le code de procédure civile et les arrêtés techniques et eux seuls.

C’est cette jurisprudence qui est mise en œuvre dans l’arrêt du 1er mars 2018. Un protocole n’a pas plus de valeur pour limiter le champ d’application de la communication par voie électronique, qu’il n’en a pour imposer des sanctions non prévues par le code de procédure civile, telles des « irrecevabilités-machine » ou des « irrecevabilités-greffe ». La convention signée entre le tribunal de grande instance et le barreau de Lorient excluait les procédures de saisies immobilières ? Peu importe : dès lors que le champ d’application de l’arrêté technique applicable, à savoir l’arrêté du 7 avril 2009, est général, il autorise la remise des actes par voie électronique au juge de l’exécution. Une convention locale ne peut donc exclure certaines procédures, telles les procédures de saisie immobilière.

Mais était-il si évident que la communication par voie électronique pouvait être pratiquée devant le juge de l’exécution ? Si ce n’était pas le cas, la convention locale n’aurait finalement pas été contra legem, juste inutile… L’hésitation peut venir de certains arrêts qui ont été rendus récemment par la deuxième chambre civile. Ainsi, le 6 juillet 2017 (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kébir isset(node/186054) ? node/186054 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186054 ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, nos obs.), la deuxième chambre civile a considéré que la requête en récusation, qui introduit une procédure autonome relevant du premier président de la cour d’appel, adressée à ce dernier par le RPVA, sans que les modalités techniques permettant le recours à la transmission électronique aient été définies par un arrêté du garde des Sceaux pour une telle procédure, est irrecevable : la Cour de cassation estime donc que la procédure de récusation et/ou de renvoi pour cause de suspicion légitime n’entre pas dans le champ d’application des arrêtés existants, à savoir celui du 5 mai 2010, lorsque la représentation est facultative et celui du 30 mars 2011, lorsque la représentation est obligatoire : ils visent la cour d’appel et non le premier président – juridiction au sein de la juridiction. La deuxième chambre civile a fait application de cette jurisprudence dans un arrêt du 7 décembre 2017 (Civ. 2e, 7 déc. 2017, n° 16-19.336, Dalloz actualité, 14 déc. 2017, nos obs. isset(node/188143) ? node/188143 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188143) à propos de la remise, au premier président de la cour d’appel d’une requête aux fins d’assigner à jour fixe (et ce, alors que l’article 959 du code de procédure civile, lui, impose le recours à la voie électronique pour les requêtes visées à l’article 958 du même code).

Les procédures devant le juge de l’exécution – spécialement celles de saisies immobilières – ne pouvaient -elles pas être considérées comme autonomes et donc, non soumises à l’arrêté technique « TGI » ? La Cour de cassation donne une réponse négative, sans que cela soit très surprenant. Il est permis de voir une première manifestation de cette jurisprudence dans un arrêt inédit du 15 octobre 2015 (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355) : cet arrêt précisait que, « dès lors que les textes permettent de procéder par voie électronique, et que l’intéressé est en possession d’un avis électronique de réception, le greffe ne peut refuser un acte de procédure remis par cette voie : le premier juge (un juge aux affaires familiales) avait prononcé la caducité de l’assignation délivrée par le demandeur au motif que “le placement d’une assignation par voie électronique n’est pour l’heure pas admis devant ce tribunal”. Notons qu’en l’espèce, l’exclusion de la communication par voie électronique devant le juge aux affaires familiales devait résulter d’un protocole ou d’un “règlement” du tribunal de grande instance ; la Cour de cassation a donc, justement, refusé de lui donner une force obligatoire qui aurait été contra legem » (C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère… », préc., n° 15).

Le juge de l’exécution, comme le juge aux affaires familiales, sont donc « englobés » dans le tribunal de grande instance (en ce sens, v. aussi Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris, n° 62 : « la communication électronique dans les procédures devant le tribunal de grande instance est spécialement régie par l’arrêté du 7 avril 2009 [JO 11 avr.]). Bien que cet arrêté ne le précise pas, le tribunal de grande instance apparaît devoir être compris de façon large (“structurelle”), comme ne concernant pas seulement l’activité des chambres civiles du tribunal, mais aussi l’activité civile des juges spécialisés du tribunal : fonctions présidentielles (référés, requêtes), juge aux affaires familiales (Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355, préc.), juge de l’exécution, juge des enfants en assistance éducative, et juge des libertés et de la détention en matière civile (rétention administrative des étrangers, hospitalisation sous contrainte, visites domiciliaires ne relevant pas des procédures pénales, etc.), commission d’indemnisation des victimes d’infraction, etc. Rappelons en revanche que certaines juridictions d’attribution, bien qu’étroitement liées au tribunal de grande instance, constituent des structures autonomes, conçues comme telles dans le code de l’organisation judiciaire et, dès lors, exclues du champ de l’arrêté du 7 avril 2009 : tribunal d’instance, juridictions de sécurité sociale, etc. ».

Cela nous semble logique, d’autant que les « tuyaux » (RPVA, RPVJ) existent devant le tribunal de grande instance, qui relient avocats et juridiction. L’exclusion des procédures « autonomes » en appel nous paraît plus difficile à comprendre : là aussi, d’ailleurs, les « tuyaux » sont opérationnels, d’où les erreurs de droit non empêchées par la technique. Décidément, la refonte des arrêtés techniques – souhaitée par la Cour de cassation (v. rapport annuel) et préconisée par le rapport Molfessis (Dalloz actualité, 7 févr. 2018, obs. C. Bléryaxes de la Justice, présentés à Reims le 9 mars 2018 – serait appréciable et, nul doute, appréciée des avocats qui avancent en terrain miné…