Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Provocation à la haine en ligne : nécessaire identification du directeur de publication

A justifié sa décision la cour d’appel qui a relaxé le prévenu dès lors qu’il n’est pas démontré qu’il a personnellement participé à la diffusion en France, sur un site internet édité à l’étranger, des propos incitant à haine destinés au public français. 

par Sabrina Lavricle 15 juillet 2019

Après la mise en ligne, les 18 et 19 juillet 2016, sur le site internet riposte laïque fourni par une association de droit suisse, de deux textes respectivement intitulés « Pour éviter le génocide des Français, il faut expulser les musulmans » et « Attentat à la hache dans un train allemand : musulmans dehors », le procureur de la République a fait citer M. X. devant le tribunal correctionnel pour provocation à la discrimination, la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et non mise à disposition d’information identifiant l’éditeur d’un service de communication au public en ligne. Les premiers juges, après avoir rejeté une exception d’incompétence tirée de l’absence de critères de rattachement des propos au territoire français, renvoyèrent le prévenu des fins de la poursuite. La cour d’appel de Paris confirma la relaxe et rejeta les demandes des deux associations constituées parties civiles (la LICRA et la LDH).

Par son arrêt, la chambre criminelle rejette le pourvoi formé par ces dernières, lesquelles reprochaient à la cour d’appel de ne pas avoir déduit d’un faisceau d’indices la gestion de fait du site par le prévenu. Pour cela, la Haute Cour relève des motifs des juges du fond que : l’association de droit français Riposte laïque, que le prévenu avait présidée, avait transféré, en 2012, la publication dudit site à l’association Riposte laïque suisse, le président de cette dernière ayant d’ailleurs confirmé la date des publications et le nom de l’auteur, mais refusé de fournir plus d’informations ; que l’adresse électronique de contact du site était bien une adresse du prévenu et que celui-ci était titulaire du compte PayPal utilisé par le site, mais que plusieurs autres personnes disposaient des mots de passe et des codes d’accès nécessaires pour y publier des textes ; qu’au moment des faits, il n’était pas établi avec certitude que le prévenu était le directeur de publication ou le responsable, en droit ou en fait, du site, ou le dirigeant de droit ou de fait de l’association suisse éditrice du site depuis l’étranger, sa participation à la gestion du site ou à la mise en ligne ou à la rédaction des propos incriminés n’étant pas davantage démontrée. La chambre criminelle estime dans ces conditions que l’arrêt d’appel n’encourt pas la censure dès lors qu’« il n’est pas démontré que le prévenu a personnellement participé à la diffusion en France, sur un site internet édité à l’étranger, des propos litigieux, dont il n’est plus contesté qu’ils étaient destinés au public français ».

Cette solution appelle deux remarques. Tout d’abord, s’agissant d’un contenu illicite diffusé à partir d’un site étranger mais accessible depuis la France, on rappellera que la loi sur la presse ne contient aucune disposition spéciale sur la compétence territoriale et qu’en conséquence ce sont les règles du droit commun qui s’appliquent. Jusqu’à peu et dès lors qu’en matière de presse c’est la publication qui fait le délit, les tribunaux français s’estimaient compétents dès lors que le contenu était accessible depuis la France, l’infraction étant alors réputée commise en France sur le fondement de l’article 113-2, alinéa 2, du code pénal (V. par ex., Crim. 3 avr. 2013, no 11-87.996, Gaz. Pal. 21-23 juill. 2013, p. 25, obs. E. Dreyer). Mais depuis 2016, la chambre criminelle exige un critère supplémentaire de rattachement au territoire de la République, qui est ici mis en œuvre : il faut prouver que le contenu litigieux était destiné au public français (Crim. 12 juill. 2016, no 15-86.645, Dalloz actualité, 2 sept. 2016, obs. S. Lavric , note E. Dreyer ; ibid. 2424, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, L. Miniato et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 533, obs. D. Brach-Thiel ; Dalloz IP/IT 2016. 618, obs. B. Auroy ; RSC 2016. 535, obs. J. Francillon ; Dr. pénal 2016. Comm. 156, obs. P. Conte ; ibid. 2017. Chron. 6, no 2, obs. O. Mouysset ; Gaz. Pal. 28 oct. 2016, no 38, p. 35, obs. F. Fourment ; JCP 2016. 1225, no 2, obs. G. Beaussonie ; Légipresse oct. 2016, no 342, p. 532, note S. Detraz). On précisera en outre que, depuis la loi du 3 juin 2016, l’article 113-2-1 du code pénal prévoit que « tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République ».

Ensuite, dès lors que le juge français est compétent et la loi française applicable, c’est l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle qui permet de désigner le responsable, comme le rappelle la chambre criminelle, en qualifiant d’erroné mais surabondant le motif de la cour d’appel qui avait écarté l’application de ce texte en considérant qu’il ne concernait que les services de communication au public par voie électronique fournis depuis la France. L’article 93-3 de la loi de 1982 prévoit, sur le modèle du dispositif mis en place à l’article 42 de la loi de 1881 pour la presse écrite, un système de responsabilité dit en cascade dans les termes suivants : « au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et commise par un moyen de communication au public par voie électronique, le directeur de la publication ou, dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 93-2 [bénéfice d’une immunité parlementaire], le codirecteur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. À défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal […] » (V. Rép. pén., vo Presse [Procédure], par P. Guerder, nos 334 s.).