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Quel champ d’application pour l’article 748-7 du code de procédure civile ?

L’article 748-7, qui dispose que, lorsqu’un acte doit être accompli avant l’expiration d’un délai et ne peut être transmis par voie électronique le dernier jour du délai pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit, le délai est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant, s’applique aussi lorsque la communication par voie électronique est facultative.

par Corinne Bléryle 4 juin 2018

Depuis l’automne 2016, la Cour de cassation a rendu de nombreux et importants arrêts en matière de communication par voie électronique (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne, S. Guinchard [dir.], 9e éd., Dalloz Action, 2016/2017, nos 161.221 s. ; Rép. pr. civ., Communication électronique, par E. de Leiris ; C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 31 s. ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s.), en particulier sur la cause étrangère. L’arrêt ici commenté est particulièrement intéressant en ce qu’il est le premier à mettre en œuvre l’article 748-7 du code de procédure civile – si l’on excepte un arrêt inédit et peu heureux du 13 novembre 2014 (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-25.035, NP, Gaz. Pal. 8-10 mars 2015, p. 19, note Bléry ; adde C. Bléry et J.-P. Teboul, « Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique », préc., n° 12), plutôt que l’article 930-1 du même code. En outre, ce n’est pas la notion de cause étrangère, comme dans les arrêts précédents, qui est en cause, mais le champ d’application de l’article 748-7.

Une salariée interjette appel du jugement d’un conseil de prud’hommes ayant partiellement accueilli les demandes qu’elle formait contre son employeur. Cet appel est formé par voie électronique, le lendemain de l’expiration du délai d’appel. La cour d’appel le déclare donc irrecevable comme tardif.

Elle reconnaît que, par application des articles 748-1 et suivants du code de procédure civile, « prévoyant notamment la possibilité d’effectuer les envois, remises et notifications des actes de procédure par voie électronique et de l’arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel », il était effectivement permis de former un appel par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) dans une procédure sans représentation obligatoire. Elle n’admet cependant pas la justification du retard exposée par l’avocate, à savoir « qu’elle a subi une panne du RPVA et entend voir dire recevable l’appel formé le lendemain ». La cour d’appel estime en effet que les dispositions de l’article 748-7 « s’inscrivent dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire alors qu’en procédure sans représentation obligatoire, la transmission de la déclaration d’appel par voie électronique s’avère être une formalité non obligatoire, qu’ainsi ces dispositions ne sauraient avoir vocation à s’appliquer en cas de dysfonctionnement du système RPVA, lequel ne constitue pas en telle hypothèse un cas de force majeure ».

La salariée se pourvoit et la deuxième chambre civile casse au visa de l’article 748-7, ensemble l’article 749, du code de procédure civile : « en statuant ainsi, par des motifs inopérants au regard du domaine d’application de l’article 748-7 susvisé et des conditions posées par ce texte, dont [la salariée] se prévalait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

L’article 748-7 est inséré dans le titre XXI du livre Ier du code de procédure civile. Or, selon l’article 749, disposition finale de ce livre Ier, visé par la Cour de cassation, « les dispositions du présent livre s’appliquent devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale, sous réserve des règles spéciales à chaque matière et des dispositions particulières à chaque juridiction ». Aucune règle particulière n’écarte l’article 748-7 devant les cours d’appel, en procédure sans représentation obligatoire. La cause étrangère autorisait la prorogation du délai jusqu’au prochain jour ouvrable pour une remise de l’appel par voie électronique. L’appel remis par cette voie le lendemain de l’expiration du délai était bien recevable.

Rappelons une nouvelle fois (v. déjà Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864, Dalloz actualité, 22 nov. 2017 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. Martial Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ) que la notion de cause étrangère en matière de communication par voie électronique a été créée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009. Ce décret l’a inséré, d’une part, à l’article 748-7 du code de procédure civile, qui a complété le régime général de la communication par voie électronique issu du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, d’autre part, à l’article 930-1, pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel. Les deux envisagent un dysfonctionnement de la communication par voie électronique et un remède. Pour l’article 930-1, ce remède est le retour au papier : l’acte est remis sur un tel support ou adressé par LRAR (depuis le 1er sept. ; cet ajout provient du décr. n° 2017-891, 6 mai 2017). L’article 796-1, II, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, offrira ce même remède à compter du 1er septembre 2019 devant les tribunaux de grande instance, lorsque la communication par voie électronique y deviendra aussi obligatoire.

L’article 748-7 offre un autre remède qui est donc la prorogation du délai au jour ouvrable suivant. Le retour au papier est nécessaire lorsque la communication par voie électronique est imposée : « la seule prorogation du délai d’accomplissement d’un acte ne suffirait pas à préserver les droits de la partie. En effet, en cas de dysfonctionnement persistant du système de communication électronique, la seule prorogation ne permettrait pas de surmonter cet obstacle » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, préc., n° 506). A contrario, le remède de l’article 748-7 est suffisant lorsque la communication par voie électronique est facultative. S’il est suffisant, c’est qu’il est applicable, contrairement aux dires de la cour d’appel. « Ainsi, dans la procédure sans représentation obligatoire, l’avocat qui estime se heurter à une cause étrangère dans la transmission électronique de son acte pourra choisir, selon le cas, de réitérer cette transmission dans le délai supplémentaire accordé ou d’accomplir la diligence considérée sur support papier, puisqu’en cette procédure, la communication électronique demeure toujours facultative » (loc. cit.).

L’avocate a ici choisi la première branche de l’alternative et la Cour de cassation a justement rappelé que c’était son droit. Si le RPVA avait encore été hors service le premier jour ouvré suivant l’expiration du délai, l’avocate aurait dû se résigner à remettre ou adresser l’acte sur support papier.

Notons au passage que l’existence même d’une cause étrangère n’a pas été discutée. La « panne du RPVA » évoquée présente sans doute suffisamment le caractère d’extériorité par rapport à l’avocat, caractère impliqué par la notion, à défaut de l’imprévisibilité et de l’irrésistibilité. La Cour de cassation distingue en effet opportunément les deux notions de force majeure et de cause étrangère (v. déjà Civ. 2e, 16 nov. 2017, préc. ; pour des exemples de causes étrangères, v. les notes sous cet arrêt et les réf.). Cette analyse, effectuée à propos de l’article 930-1, joue à l’évidence pour la cause étrangère visée à l’article 748-7 et s’appliquera à celle du futur article 796-1 du code de procédure civile, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017.

Avoir attendu le dernier jour d’un délai, et sans doute même que le greffe soit fermé, pour interjeter appel par voie électronique permet à la Cour de cassation de rendre un bel arrêt…