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Réforme constitutionnelle : présentation d’un texte au devenir déjà incertain

Vendredi, l’Opinion et Contexte ont dévoilé l’avant-projet de loi constitutionnelle transmis au Conseil d’État en début de mois.

par Pierre Januelle 17 avril 2018

Le texte précise plusieurs points des annonces d’Édouard Philippe (v. Dalloz actualité, 6 avr. 2018, obs. E. Maupin isset(node/190074) ? node/190074 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190074) ce qui risque de renforcer, un peu plus, les oppositions. Centré sur le renforcement des pouvoirs du gouvernement dans la procédure parlementaire, le texte est peu ambitieux sur les autres sujets (Conseil supérieur de la magistrature [CSM], Conseil constitutionnel, Cour de justice de la République [CJR]). Mais, en raison des spécificités de l’étude des lois constitutionnelles, il n’est pas certain que ce projet aboutisse.

Un avant-projet centré sur la procédure parlementaire

Le gouvernement souhaite une étude systématique de la recevabilité des amendements pour vérifier qu’ils ne sont pas des cavaliers législatifs, qu’ils relèvent bien du domaine de la loi et qu’ils ont une portée normative. Par ailleurs, la notion de cavalier serait étendue : un amendement devra avoir un lien direct avec le texte (et non un lien même indirect). En cas de désaccord gouvernement-assemblée sur la recevabilité d’un amendement, le gouvernement souhaite accélérer la procédure d’appel devant le Conseil constitutionnel, afin de la rendre plus opérationnelle.

Le gouvernement veut modifier la procédure de « dernier mot » qui permet à l’Assemblée d’adopter un texte après l’échec d’une commission mixte paritaire (CMP). Dans ce cas, il n’y aurait plus de « nouvelle lecture » à l’Assemblée, le texte retournant directement au Sénat. En lecture définitive, l’Assemblée reprendrait son dernier texte et ne pourrait se prononcer que sur les seuls amendements adoptés par le Sénat ou soutenus par le gouvernement. Les députés n’auront donc plus la possibilité de réécrire librement le texte en nouvelle lecture et le rôle des sénateurs dans l’élaboration du texte sera fortement réduit.

Coup de canif contre l’ordre du jour partagé (acquis de la réforme de 2008), le gouvernement souhaite pouvoir imposer les textes qu’il juge prioritaire aux semaines Assemblée et de contrôle. Ces textes pourront être inscrits, sauf oppositions conjointes des conférences des présidents des deux assemblées. Par ailleurs, les semaines de contrôle pourront aussi porter sur la modification d’une loi ayant fait l’objet d’une évaluation.

La procédure budgétaire de l’automne serait raccourcie de vingt jours (70 à 50 jours) et le gouvernement souhaite permettre une étude conjointe des projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, la procédure d’étude en commission serait consacrée par la Constitution.

Peu de choses sont prévues en matière de renforcement des pouvoirs de contrôle et d’évaluation des parlementaires, si ce n’est l’audition des ministres sur l’exécution des lois de finances (ce qui relève de la pratique).

Un texte peu ambitieux sur les autres sujets

Sur les autres domaines, l’avant-projet de loi reprend certaines réformes abandonnées sous le mandat de François Hollande. Ainsi, le texte prévoit que les anciens présidents de la République ne seront plus membres du Conseil constitutionnel (en excluant Valéry Giscard d’Estaing de cette réforme). Il revoit également les conditions de saisines du Conseil par les parlementaires, en lien avec la suppression d’un tiers du nombre de parlementaires : seuls 40 députés ou 40 sénateurs seraient nécessaires.

L’avant-projet effectue une modification a minima du CSM en prévoyant son avis conforme pour les nominations des magistrats du parquet et qu’il puisse statuer comme conseil de discipline pour le parquet (v. Dalloz actualité, 10 avr. 2018, obs. T. Coustet isset(node/190151) ? node/190151 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190151).

Pour remplacer la CJR, le gouvernement propose que les poursuites contre les ministres pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions se fassent devant la cour d’appel de Paris. L’avant-projet vient toutefois préciser que leur responsabilité pénale ne pourra « être mise en cause à raison de leur inaction que lorsque celle-ci résulte d’une décision qu’ils ont prise ». Le texte reprend l’idée de 2013 d’un filtrage par une commission composée de trois magistrats de la Cour de cassation, deux membres du Conseil d’État et deux membres de la Cour des comptes. Par contre, la réforme la responsabilité civile du président de la République n’a pas été reprise.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) serait transformé en « Chambre de la participation citoyenne », avec deux fois moins de membres. Il serait chargé d’organiser des consultations, éventuellement après pétition citoyenne et d’en proposer un bilan. Il serait également saisi pour avis des projets de loi à caractère économique, social et environnemental.

La loi pourrait prévoir que deux collectivités d’un même échelon puissent avoir des compétences différentes, ce qui ferait sauter ici le verrou du principe d’égalité opposé par le Conseil constitutionnel. Le droit d’expérimentation serait également élargi et un droit de « dérogation » créé, dès lors que le texte d’une loi ou d’un décret prévoirait la possibilité d’y déroger.

Un article 72-5 consacré à la Corse serait ajouté à la Constitution. Elle disposerait d’un droit d’adaptation proche de celui des autres collectivités : celle-ci serait possible à condition que la loi ou le règlement le permette. Le droit d’adaptation des collectivités d’outre-mer serait facilité, puisqu’elles pourraient adapter leurs normes après décret en conseil des ministres.

Le gouvernement veut également interdire le cumul des membres du gouvernement avec une fonction exécutive locale. Enfin, par un ajout redondant, l’avant-projet de loi prévoit que relèveront du domaine de la loi les principes fondamentaux de la lutte contre les changements climatiques, en plus de ceux « de la préservation de l’environnement » déjà inscrits à l’article 34 de la Constitution.

Le parcours complexe des projets de loi constitutionnelle

Le rajout surprise de dispositions sur l’étude des textes post-CMP et l’ordre du jour risque de crisper les députés, alors que les sénateurs LR et PS ont déjà fait part de leurs réticences, voir de leur hostilité à cette réforme. De plus, l’avant-projet de loi ne reprend presque rien des propositions faites par l’Assemblée en décembre et le Sénat en janvier (v. Dalloz actualité, 29 janv. 2018, obs. J.-M. Pastor isset(node/188858) ? node/188858 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188858).

D’autant qu’aucune mesure forte, comparable à ce qu’étaient en 2008 l’introduction de la QPC ou l’ordre du jour partagé, ne vient contrebalancer l’extension des pouvoirs du gouvernement. Rien sur le renforcement du contrôle parlementaire ou des libertés fondamentales garanties par la Constitution. L’article 89 de la Constitution prévoyant qu’avant même une adoption par le congrès, Assemblée et Sénat doivent voter un texte conforme, il est loin d’être certain que ce projet aboutisse.

Toutefois, les propositions auxquelles le gouvernement tient le plus (réduction du nombre de parlementaires, cumul dans le temps, dose de proportionnelle) relèvent des lois organiques et ordinaires. Mais rien n’empêcherait les parlementaires d’introduire dans le projet de loi constitutionnelle des verrous à ces réformes. Les lois constitutionnelles ne sont en effet pas soumises aux règles ordinaires : il n’y a pas de procédure accélérée, pas de commission mixte paritaire, pas de règles de recevabilité financière, de cavalier ou d’entonnoir. L’introduction de cavaliers (plancher d’un nombre de parlementaires, mode de scrutin) est donc possible.

Si la réforme constitutionnelle s’enlise, le gouvernement pourrait toujours faire passer son projet de loi organique. La possibilité de blocage du Sénat serait alors limitée aux articles qui le concernent spécifiquement (nombre de sénateurs). Comme le permet l’article 11 de la Constitution, le président de la République pourrait aussi faire le choix d’un référendum sur les projets de loi organique et ordinaire.