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Remboursement des frais d’expertise CHSCT à l’employeur : application de la loi dans le temps

Les dispositions légales selon lesquelles l’expert doit rembourser les sommes perçues à l’employeur qui obtient l’annulation définitive d’une décision du CHSCT de recourir à une expertise s’appliquent aux frais de l’expertise mise en œuvre en vertu d’une délibération contestée judiciairement postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 31 de la loi du 8 août 2016.

par Luc de Montvalonle 27 octobre 2019

Avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016, le code du travail prévoyait laconiquement que les frais d’une expertise demandée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail étaient à la charge de l’employeur (C. trav., art. L. 4614-13 anc.). Le CHSCT, dépourvu de patrimoine, ne pouvait en effet assumer une telle dépense.

Pour la Cour de cassation, ces dispositions imposaient à l’employeur de rémunérer l’expert, y compris dans l’hypothèse où la décision de recourir à l’expertise avait été ultérieurement annulée par un juge (Soc. 15 mai 2013, n° 11-24.218, Dalloz actualité, 4 juin 2013, obs. W. Fraisse ).

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a déclaré que ces dispositions, telles qu’interprétées par les juridictions sociales, étaient contraires au droit de propriété garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : d’une part, l’expert pouvait accomplir sa mission dès la sollicitation du CHSCT, sans que le recours de l’employeur ait un effet suspensif ni que le juge saisi soit tenu de statuer dans un délai déterminé ; d’autre part, l’employeur était tenu de payer les honoraires correspondant à la mission effectuée par l’expert alors même qu’il avait obtenu l’annulation de la décision du CHSCT (Cons. const. 27 nov. 2015, n° 2015-500 QPC, D. 2015. 2449 ; ibid. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2252, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Constitutions 2016. 80, chron. L. Pécaut-Rivolier ).

Alors que leur abrogation avait été différée au 1er janvier 2017, les dispositions en cause ont été modifiées par la loi du 8 août 2016 (Loi n° 2016-1088, art. 31). Dans sa version issue de cette loi, l’article L. 4614-13 du code du travail (abrogé par l’ord. n° 2017-1386 du 22 sept. 2017 avec la fusion des instances représentatives du personnelles) maintient la règle selon laquelle les frais de l’expertise sont à la charge de l’employeur, tout en précisant qu’en cas d’annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT, « les sommes perçues par l’expert sont remboursées par ce dernier à l’employeur ». Afin d’éviter que l’expert n’ait à supporter le risque juridique résultant d’une annulation postérieure à l’accomplissement de sa mission, le délai d’action de l’employeur est encadré, celui-ci devant agir dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du CHSCT. Cette saisine suspend la mise en œuvre de la délibération du CHSCT et le juge statue en référé, en premier et dernier ressort, dans un délai de dix jours. Dans une décision rendue le 25 septembre 2019, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur les modalités d’application dans le temps de ces dispositions légales.

En l’espèce, le recours à une expertise avait été décidé par délibération du CHSCT de la commune de Thor, le 16 juin 2016. Le 8 novembre 2016, le maire de Thor, président du CHSCT, avait saisi le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, d’une demande en annulation de cette délibération. Le 16 novembre 2017, la cour d’appel avait accueilli la demande de l’employeur, sans statuer sur la demande, formulée par la société en charge de l’expertise, de condamnation de la commune au paiement de la somme de 39 000 € correspondant aux frais d’expertise.

Dans un arrêt rectificatif rendu le 8 mars 2018, la cour d’appel de Nîmes a constaté la créance d’honoraires de la société et a condamné le maire de la commune à payer cette somme au titre des honoraires d’expertise, au motif que les dispositions de la loi du 8 août 2016, précédemment présentées, n’étaient applicables qu’aux délibérations rendues par le CHSCT postérieurement à la date d’entrée en vigueur de cette loi et que la délibération en litige était antérieure à cette date. Le maire a formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

Si la loi nouvelle n’a pas d’effet rétroactif et ne dispose que pour l’avenir (C. civ., art. 2), il est parfois difficile de déterminer le moment exact à partir de laquelle elle s’applique. La Cour de cassation a eu à déterminer si un employeur devait supporter le coût d’une expertise dont le recours avait été décidé par une délibération du CHSCT antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, lorsqu’il avait contesté cette délibération et obtenu son annulation postérieurement à cette même date. Pour les juges de la chambre sociale, qui n’ont pas suivi le raisonnement des juges du fond, les dispositions permettant à l’employeur d’obtenir le remboursement des sommes perçues par l’expert « s’appliquent aux frais de l’expertise mise en œuvre en vertu d’une délibération contestée judiciairement, postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 31 de la loi du 8 août 2016 » ; or, en l’espèce, la délibération avait été contestée le 8 novembre 2016. L’employeur pouvait donc se prévaloir de ces dispositions et n’avait pas à rémunérer l’expert pour les missions qu’il avait réalisées.

La décision rendue par la cour d’appel se justifiait par le fait que le principe de remboursement à l’employeur des sommes perçues par l’expert est tempéré par un délai d’action très court laissé à l’employeur pour contester la délibération du CSHCT, ainsi que par l’effet suspensif de la contestation. En pratique, ces dispositions doivent permettre d’éviter que l’expert ne réalise sa mission si l’employeur entend contester le bien-fondé de l’expertise. Les dispositions de l’article L. 4614-13, prises dans leur ensemble, permettent d’éviter, d’une part, que l’employeur ait à supporter le coût d’une expertise demandée à tort par le CHSCT, d’autre part, que l’expertise ne soit pas réalisée tant qu’existe un risque d’annulation par le juge, afin que ce risque ne soit pas supporté par l’expert. En l’espèce, la délibération avait été contestée cinq mois après son adoption, délai pendant lequel l’expert avait eu le temps de réaliser l’expertise. La décision de la Cour de cassation lui impose de rembourser les sommes perçues, malgré le travail réalisé, de bonne foi, en application des dispositions du code du travail.

Les juges du droit font prévaloir une logique différente, dans le prolongement de celle mise en avant par le Conseil constitutionnel en 2017, en considérant que l’employeur qui a contesté la délibération postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 n’a pas à supporter le coût de l’expertise en cas d’annulation. À la date de la délibération du CHSCT, l’employeur ne pouvait pas s’opposer à la réalisation de l’expertise, car la saisine du juge n’avait aucun effet suspensif. En revanche, lorsque le juge a été saisi, les dispositions permettant à l’employeur d’obtenir les sommes perçues étaient applicables. La Cour de cassation a considéré que ce dernier pouvait s’en prévaloir, peu important que la délibération contestée ait été adoptée avant leur entrée en vigueur.

Ces dispositions ont été abrogées au 1er janvier 2018 du fait de la fusion des institutions représentatives du personnel. Des règles similaires s’appliquent cependant aux délibérations du comité social et économique décidant du recours à une expertise, dans les cas dans lesquels l’employeur doit supporter le coût de celle-ci (C. trav., art. L. 2315-86).