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Requête en nullité et autorité de la chose jugée : quelle articulation ?

Ne peuvent pas être proposés, dans la même procédure portant sur les mêmes faits, des moyens de nullité qui ont déjà été rejetés, sauf à faire valoir des actes ou pièces de la procédure qui n’ont pu être précédemment soumis à la chambre de l’instruction.

par Dorothée Goetzle 12 mars 2019

En l’espèce, les mêmes faits ayant conduit, en 2009, à la liquidation judiciaire de plusieurs sociétés contrôlées par les mêmes individus donnaient lieu, dès le 1er juillet 2009, à une enquête diligentée sur instructions du parquet et au dépôt, le 12 février 2010, d’une plainte avec constitution de partie civile du comité d’entreprise et du représentant des créanciers d’une de ces sociétés. En juin 2011, le procureur de la République prenait connaissance du retour de l’enquête.

Alors que l’information consécutive à la plainte avec constitution de partie civile n’avait pas encore été ouverte, le parquet citait les deux individus qui contrôlaient les sociétés visées devant le tribunal correctionnel des chefs d’abus de biens sociaux, association de malfaiteurs, recel en bande organisée, blanchiment aggravé, banqueroute, faux, travail dissimulé et vol en réunion. Les prévenus excipaient de plusieurs causes de nullité.

Les unes étaient relatives aux actes effectués sur les instructions du procureur de la République postérieurement à la mise en mouvement de l’action publique devant le juge d’instruction, ce qui incluait leurs convocations devant le tribunal correctionnel. Les autres concernaient les procès-verbaux d’auditions de garde à vue. En effet, ils indiquaient ne pas avoir été avertis de leur droit au silence et ne pas avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Enfin, ils se prévalaient également d’exceptions de nullités visant les procès-verbaux de perquisition et de saisie. Par jugement du 8 décembre 2011, dont il n’a pas été relevé appel, le tribunal correctionnel annulait les convocations en justice des prévenus, sans examiner les autres exceptions de nullité. Le 8 février 2012, le procureur de la République délivrait un réquisitoire introductif contre personnes non dénommées sur la plainte avec constitution de partie civile.

Le magistrat instructeur saisissait la chambre de l’instruction d’exceptions de nullité identiques à celles soumises au tribunal correctionnel. Par arrêt du 18 juin 2013, la chambre de l’instruction écartait le moyen de nullité des actes effectués sur instruction du procureur de la République après dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, annulait les déclarations faites en garde à vue, écartait les exceptions de nullité des actes de perquisition et de saisie contestés et ordonnait la transmission du dossier au juge d’instruction compétent pour connaître des infractions en matière économique et financière.

Le 7 octobre 2013, une information distincte était ouverte au cabinet d’un juge d’instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) sur des faits connexes. Les deux individus concernés étaient mis en examen des chefs précités et saisissaient la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de toutes les pièces de la procédure antérieure et de leurs mises en examen subséquentes. La chambre de l’instruction rejetait leurs demandes d’annulation. En effet, après avoir relevé que les requérants étaient bien recevables à solliciter à nouveau l’annulation de certains actes, elle constatait que les moyens soulevés étaient identiques à ceux qui avaient déjà été soumis par le juge d’instruction et dont la décision de la chambre de l’instruction était devenue définitive. En outre, ces demandes de nullités correspondaient aux moyens soulevés devant le tribunal correctionnel, de sorte qu’en application de l’article 174 du code de procédure pénale, l’autorité de la chose jugée s’opposait à ce que la validité de la procédure fasse l’objet d’un nouvel examen. La chambre de l’instruction s’appuyait sur ce texte pour déduire que l’autorité de la chose jugée s’oppose à ce qu’une partie se prévale d’un moyen de nullité déjà rejeté à l’occasion d’un précédent examen de la régularité de la procédure, et ce quand bien même le requérant n’était pas encore mis en examen.

Cet intéressant argument juridique avancé par la chambre de l’instruction n’est pas nouveau. En effet, ce n’est pas la première fois que l’article 174 du code de procédure pénale est invoqué pour affirmer que les parties ne sont plus recevables à invoquer des moyens de nullité compris dans l’examen d’office préalablement opéré (Crim. 16 févr. 2011, n° 10-82.865, Dalloz actualité, 8 avr. 2011, obs. C. Girault ).

Dans leur pourvoi en cassation, les requérants allèguent, quant à eux, une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. À leurs yeux, un demandeur à la nullité est toujours recevable à proposer des moyens tirés de l’irrégularité d’actes accomplis dans une information à laquelle il n’est pas partie et qui ont été versés à la procédure lorsqu’il invoque une atteinte à l’un de ses droits qui aurait été commise dans la procédure distincte ou que les pièces versées sont susceptibles d’avoir été illégalement recueillies. La Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que les requérants ne sauraient proposer, dans la même procédure portant sur les mêmes faits, des moyens de nullité ayant déjà été rejetés par la chambre de l’instruction, « sauf à faire valoir des actes ou pièces de la procédure qui n’avaient pu lui être précédemment soumis ».

Cette solution est importante car, dans un arrêt du 4 juin 2014, la Cour de cassation avait considéré qu’ il résultait de la combinaison des articles 173, 385 et 469 du code de procédure pénale, « que la personne mise en examen dans une information faisant suite à une décision d’incompétence, en raison de la nature criminelle des faits poursuivis, rendue par la juridiction correctionnelle, laquelle avait été saisie autrement que par une ordonnance de renvoi du juge d’instruction, est recevable à soulever, au soutien d’une requête présentée en application de l’article 173 du code de procédure pénale, un moyen de nullité que cette juridiction correctionnelle avait auparavant déclaré irrecevable en application de l’article 385 du même code » (Crim. 4 juin 2014, n° 14-81.097, Dalloz actualité, 30 juin 2014, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2014. 489, obs. J.-B. Perrier ). Si les textes sont muets sur le point de droit tranché in casu par la chambre criminelle, cette solution apparaît cependant logique par rapport à l’esprit des textes. De plus, d’un point de vue pragmatique, cette solution a un avantage indéniable : celui d’éviter l’instrumentation des moyens de nullité à des fins dilatoires.