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Requête en nullité pendante et ORTC : l’appel est irrecevable

Si l’appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel est recevable lorsque la contestation d’une ordonnance du magistrat instructeur est pendante devant la chambre de l’instruction, il ne l’est en revanche plus lorsqu’il n’a pas encore été statué sur une requête nullité : à différence d’objet, différence de régime.

par Warren Azoulayle 17 juillet 2019

Lors de l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale de 1959, le législateur posait un principe de continuation de l’instruction permettant au magistrat instructeur de poursuivre son information, ce nonobstant qu’un recours soit pendant. Originellement envisagé dans l’éventualité où la chambre de l’instruction serait saisie de l’appel d’une ordonnance autre que de règlement, le principe connaissait une première extension en 1993 par loi portant réforme de la procédure pénale (L. n° 93-1013, 24 août 1993, art. 38), élargissement parachevé deux ans plus tard par la possibilité offerte au juge de continuer l’instruction « y compris, le cas échéant, jusqu’au règlement de celle-ci » (L. n° 95-125, 8 févr. 1995, art. 57).

L’espèce offrait à la Cour de cassation l’occasion de rappeler la position qui est la sienne quant à l’effet d’une requête pendante sur le fait qu’un juge rende une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (ORTC). Pour un bref rappel des faits, largement connus, il ressortait de conversations téléphoniques, réalisées au moyen de lignes ouvertes sous noms d’emprunt, qu’un client contactait un avocat et qu’au cours de celles-ci, l’avocat recevait d’un haut magistrat des informations confidentielles, notamment des détails concernant un pourvoi pendant devant la chambre criminelle relatif à une procédure dans laquelle le client était partie. Selon les échanges, le haut magistrat pouvait opérer des démarches favorables pour le client contre un avantage indu, tel qu’un poste convoité dans une principauté. Une information judiciaire était ouverte, des mises en examen étaient prononcées contre les deux premiers intéressés, l’un pour corruption et trafic d’influence, l’autre pour ces mêmes chefs, et violation du secret professionnel. Le 25 octobre 2016, un avis de fin d’information était délivré. Des requêtes en nullité étaient déposées par eux devant la chambre de l’instruction, dont une concernant le réquisitoire définitif du parquet. Sans attendre l’issue de ces requêtes, qui étaient finalement rejetées par un arrêt du 8 octobre 2018, le juge d’instruction rendait une ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi le 26 mars 2018. L’appel interjeté, pour ce motif, contre l’ordonnance de règlement, sera déclaré irrecevable le 25 mars 2019 par les juges du second degré au motif que ne sont pas visées par l’article 186-3 du code de procédure pénale les requêtes en annulation. De plus, s’il est exact que la jurisprudence de la chambre criminelle considère comme recevable l’appel d’une ORTC, c’est à la condition qu’un appel relatif au rejet d’une demande d’acte par le magistrat instructeur soit pendant devant la chambre de l’instruction (Crim. 7 févr. 2017, n° 16-86.835, Dalloz actualité, 8 mars 2017, obs. C. Fonteix ; AJ pénal 2017. 241, obs. J. Lasserre Capdeville ), les requêtes en nullité étant exclue de l’exception au principe. Un pourvoi était donc formé devant la Cour de cassation.

Selon les demandeurs, le fait d’interdire l’appel d’une ordonnance de renvoi, rendue nonobstant le fait qu’une requête en nullité soit pendante, serait contraire au droit à un recours effectif, au principe d’égalité et aux droits de la défense. Par ailleurs, cela priverait la chambre de l’instruction de pouvoir tirer toutes les conséquences qui s’imposent quant à la validité de l’ORTC rendue sur un réquisitoire définitif en l’espèce contesté. Les juges du droit rejetaient leurs prétentions et adoptaient le raisonnement des juges du fond en ce que le principe d’égalité n’impose pas que la jurisprudence de la chambre criminelle, concernant la recevabilité de l’appel d’une ORTC alors qu’un appel contre une ordonnance rejetant une demande d’acte est pendant devant la chambre de l’instruction, soit identique pour ce qui concerne les requêtes en nullité en cours de traitement devant une cour d’appel. Ces demandes ayant un objet différent, elles obéissent à des règles dissemblables. Par ailleurs, les restrictions au droit d’appel d’une ORTC ne portent pas atteinte au droit à un recours effectif, pas plus qu’aux droits de la défense, puisqu’aucune personne ne peut être jugée sans qu’il ait été statué sur sa requête en nullité. Ainsi, l’article 174, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit que, dans l’hypothèse selon laquelle des actes et des pièces du dossier seraient annulés, en totalité ou partiellement, il ne peut être tiré d’eux aucun renseignement contre les parties, de sorte que la condamnation ne saurait trouver appui sur ces derniers.

Le Conseil constitutionnel s’était également prononcé quant à ces dispositions sur renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité de la part de la chambre criminelle (Crim. 28 févr. 2018, n° 17-83.577, Dalloz jurisprudence). Il considérait que les parties disposant de la possibilité d’informer le président de la chambre de l’instruction de la clôture imminente de l’information, ce dernier disposant lui-même de la possibilité de suspendre l’information, l’article 187 du code de procédure pénale était conforme à la Constitution, a fortiori eu égard au fait que l’article 186-3, alinéa 3, du même code octroi la possibilité d’interjeter appel d’une ORTC lorsqu’un précédent appel contestant un refus d’acte du juge est pendant devant la chambre de l’instruction (Cons. const. 18 mai 2018, n° 2018-705 QPC, consid. 8 à 10, D. 2018. 1076, et les obs. ; Constitutions 2018. 331, Décision ; RSC 2018. 932, obs. F. Cordier ). Enfin, les juges de la constitutionnalité venaient rappeler la ratio legis de l’article 187 du code de procédure pénale, lequel a pour objet « d’éviter les recours dilatoires et [de mettre] ainsi en œuvre l’objectif de bonne administration de la justice » (Cons. const. 18 mai 2018, n° 2018-705 QPC, préc., consid. 11). Il est néanmoins possible de relever la fragilité du dispositif selon lequel le président dispose de la faculté, non susceptible de recours (Crim. 14 mai 2002, n° 02-80.721, Dalloz jurisprudence), de suspendre l’information judiciaire, en ce qu’aucune disposition de lege lata n’impose au juge d’instruction de communiquer la date de clôture. Dans cette mesure, a charge pour les parties, auxquelles il revient d’informer le président, d’invoquer la promptitude d’une clôture à venir, sans pouvoir la démontrer. En outre, par la reprise à son compte de la formulation des sages, la juridiction suprême refusait de transmettre au Conseil des questions prioritaires de constitutionnalité sur les mêmes fondements (Crim. 2 oct. 2018, nos 18-80.052 et 18-84.385, RSC 2018. 932, obs. F. Cordier ).

Le droit devra donc plier devant la pratique judiciaire et sa bonne administration.