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C’est un bronze quelque peu plombé qui a été exhibé le temps d’une audience devant la chambre 14 du pôle 5 de la cour d’appel de Paris. Le retour du fils prodigue, numéroté 6/6, signé Zadkine, Ossip de son prénom (1890-1967).
par Pierre-Antoine Souchardle 21 novembre 2018
Plombé, car le nombre de tirage autorisé par l’artiste était limité à cinq. Doublement plombé puisque la fonderie Susse, qui en avait l’exclusivité, n’a jamais réalisé un exemplaire numéroté 5/5.
Sur le banc des prévenus, un commissaire-priseur, Marc-Arthur Kohn, installé dans le Triangle d’or de la capitale, selon son site internet. Un marchand, Pascal Robaglia, déjà condamné pour avoir écoulé des faux tableaux réalisés par le faussaire Guy Ribes. Un absent, Raymond Woronko, le premier acheteur du bronze, retenu au Gabon dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Sur celui des parties civiles, l’acheteur floué, la Ville de Paris, légataire universel de l’artiste, et les fonderies du Cherche Midi, l’exploitant de la marque et enseigne Susse.
En première instance, M. Kohn a été condamné le 26 mai 2016 pour contrefaçon d’une œuvre de l’esprit et vente de produit sous une marque contrefaite à huit mois avec sursis et 5 000 € d’amende. Poursuivis des mêmes chefs, Pascal Robaglia et Raymond Woronko ont respectivement écopé de huit mois et 10 000 € d’amende. Tous trois devaient payer 170 000 € à la Ville de Paris en réparation du préjudice subi et 6 000 € à l’acheteur déconfit.
Lundi, à la barre, le commissaire-priseur, a assuré avoir acquis en 2001 ce bronze, alors numéroté 5/5 auprès d’un intermédiaire qui lui-même l’avait acheté à un marchand hollandais en 1989. Me Kohn va le mettre aux enchères le 13 décembre 2001 à Drouot-Montaigne. C’est le lot n° 31. Il ne figure cependant pas au catalogue de vente.
Lundi, Me Kohn, pressé par la cour, a reconnu un certain manque de diligences sur ses vérifications quant à l’origine de l’œuvre. Outre les phrases toutes faites : « le bronze paraissait bien », « je suis né dans le métier », le commissaire-priseur assure avoir consulté le catalogue raisonné de l’artiste. Celui-ci fait état de cinq tirages. Il dit avoir appelé plusieurs fois le musée Zadkine. « Un monsieur m’a dit "ça correspond" », explique-t-il, ton docte, à la barre. L’enquête judiciaire n’a pas retrouvé trace des appels encore moins de ce monsieur.
Jamais le commissaire-priseur n’a pris la peine d’appeler la fonderie Susse, qui a fabriqué tous les bronzes de Zadkine. Si l’artiste avait autorisé cinq tirages du Retour du fils prodigue, seuls quatre ont été réalisés. Il aurait donc appris que ce 5/5 était un faux. Pour un homme dont le site affirme qu’il « coordonne un scrupuleux travail de recherches sur les œuvres présentées », cela fait désordre.
Quoi qu’il en soit, ce bronze numéroté 5/5 est emporté par Raymond Woronko pour 770 000 F, soit 117 385 €. Sur le bordereau d’adjudication, pas de numéro de tirage. La faute du clerc au procès-verbal, se défend Me Kohn. Auquel l’acheteur demande un certificat d’authenticité.
Mais voilà, la compagne de M. Woronko n’aime pas cette sculpture. Trop sinistre. En mars, M. Woronko prend langue avec Sotheby’s. Qui émet des doutes sur son authenticité puisqu’elle est numérotée… 6/6. La magie de l’art.
Quoi qu’il en soit, il restitue la pièce à Me Kohn, qui la remet en vente en juin. « Le bronze a été exposé pendant plusieurs jours et personne n’est venu se plaindre ». Mais personne n’est venu l’acheter. Le commissaire-priseur finira toutefois par délivrer un certificat d’authenticité à Raymond Woronko sur les bases de ce que lui a dit au téléphone « le monsieur du musée ».
L’affaire va se corser deux ans plus tard. Le Zadkine, enfin, le faux, se trouve dans les bureaux du commissaire-priseur. Me Kohn appelle un de ses clients pour lui présenter des petits bronzes de Giacometti, affirme l’amateur d’art à la barre. Trop chers. Il aperçoit le Retour du fils prodigue. L’œuvre appartient toujours à Raymond Woronko. « Je lui ai dit : ça peut m’intéresser », poursuit le collectionneur qui attend de connaître le prix. Et lui précise qu’il cherche une console de l’artiste Louis Cane.
Quelques jours après, ce dernier reçoit un appel de Pascal Robaglia, marchand de tableaux qui a justement une console Cane à vendre. Il lui propose de passer chez lui. Le jour dit, outre la console, il y a le bronze de Zadkine qu’aurait acheté le marchand au commissaire-priseur. « Je me suis laissé emporter », confesse le collectionneur qui, le 22 mai 2004, l’achète pour 137 500 €.
Une fois chez lui, il regarde la pièce sous tous les angles. Constate qu’elle est numérotée 6/6, qu’elle montre des différences avec l’œuvre originale. Bref, le collectionneur voit ce que le commissaire-priseur n’a pas vu.
Il se rend alors avec son Zadkine à la fonderie Susse où se confirment ses doutes : c’est un faux. Il s’agit d’un surmoulage d’une œuvre avec signature imitée et contrefaçon de la marque de la fonderie. Le collectionneur finira par récupérer ses fonds.
L’œuvre va être saisie. Et l’enquête judiciaire démarrer.
Lundi, le ministère public a requis contre MM. Kohn et Robaglia la confirmation de leur peine d’emprisonnement. Mais, contre le premier, il a demandé une amende de 45 000 €, soit le tiers de la valeur du bien, et deux ans d’interdiction d’exercer dans le commerce des œuvres d’art.
Contre le second, une amende de 25 000 € et la même interdiction. Quant à Raymond Woronko, le ministère a sollicité une condamnation plus lourde, quatre mois avec sursis et 15 000 € d’amende.
Décision le 15 janvier. D’ici là, nul doute que le marché de l’art retient son souffle.
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