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Revirement de jurisprudence : le mandant doit indiquer la faute grave commise par l’agent commercial dès le courrier de fin du contrat

Attention, revirement ! La Cour de cassation jugeait, jusqu’à présent, que l’agent commercial pouvait être privé de son indemnité de fin de contrat lorsque sa faute grave, commise pendant le contrat, a été dénoncée par le mandant après l’envoi du courrier de résiliation. Cette solution vient d’être abandonnée. Le mandant est donc tenu d’exposer la faute grave de l’agent commercial dès l’envoi du courrier de rupture, à défaut l’agent conserve son droit à l’indemnité de fin de contrat. La faute grave, même tardivement dénoncée, peut toutefois conduire à une réduction de l’indemnité de fin de contrat.

Des agents commerciaux sous les feux de l’actualité

Il y a quelques semaines, nous annoncions que l’arrêt Rigall Arteria serait probablement l’un des arrêts de l’année en matière d’agence commerciale (CJUE 13 oct. 2022, aff. C-64/21, Rigall Arteria, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. Y. Heyraud ; D. 2022. 1854 ). L’arrêt Acopal, aujourd’hui commenté, pourrait toutefois être un sérieux challengeur.

Le principal apport de l’arrêt se loge dans le revirement opéré et ses conséquences pratiques sur lesquels ce commentaire est principalement axé. L’arrêt Acopal apporte toutefois une autre précision relativement aux modalités de calcul de l’indemnité de fin de contrat auquel un agent commercial peut, en principe, prétendre.

Retour sur une divergence : Cour de cassation vs Cour de justice

Jurisprudence initiale de la Cour de cassation

Depuis une vingtaine d’années, la Cour de cassation considère qu’un agent commercial doit être privé de son indemnité de fin de contrat (C. com., art. L. 134-12) même lorsque sa faute grave, commise pendant l’exécution du contrat, a été découverte postérieurement par le mandant.

La situation type rencontrée en pratique est chronologiquement la suivante : le mandant résilie le contrat, sans mention de la faute grave ; l’agent sollicite, comme la loi le lui impose (C. com., art. L. 134-12), sa volonté de percevoir l’indemnité d’ordre public ; le mandant oppose alors la faute grave de l’agent commercial.

La Cour de cassation était constante : cette invocation « tardive » de la faute grave, par exemple lors du contentieux, permettait l’exclusion de l’indemnité de fin de contrat (Com. 15 mai 2007, n° 06-12.282, FDI [Sté] c. Neuf Cegetel [Sté], D. 2007. 1592, obs. E. Chevrier ; RTD com. 2008. 172, obs. B. Bouloc ; JCP E 2007. 2395, note V. Perruchot-Triboulet ; CCC 2007. Comm. 202, note M. Malaurie-Vignal ; RTD com. 2008. 172, obs. B. Bouloc et infra les arrêts cités).

Critiques adressées

L’orientation de la Cour de cassation n’emportait pas l’adhésion. La critique était d’ordre textuel. L’articulation est bien connue : l’indemnité de fin de contrat est, en principe, due à tout agent commercial (C. com., art. L. 134-12). Les cas d’exclusion sont limitativement énumérés et relèvent de l’exception (C. com., art. L. 134-13).

Ainsi, l’indemnité de fin de contrat n’est pas due lorsque « la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l’agent commercial » (C. com., art. L. 134-13, nous soulignons). L’indemnité est ici écartée parce que l’agent a commis une faute grave. Une imputabilité est exigée. La directive européenne 86/653 du 18 décembre 1986, dont l’article précité n’est que la reprise, le confirme. L’indemnité est écartée « lorsque le [mandant] a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l’agent commercial » (art. 18, a), nous soulignons).

Or, si le mandant s’abstient de mentionner cette faute lorsqu’il décide de mettre fin au contrat, on en déduit que la cause de fin du contrat se loge ailleurs. En d’autres termes, il faut considérer que la rupture s’explique autrement que par la faute de l’agent. Partant, cet agent est en droit de solliciter l’indemnité de fin de contrat, qui demeure de principe.

Jurisprudence contraire de la Cour de justice

Au-delà de ces critiques, la jurisprudence de la Cour de cassation était, surtout, en contradiction avec le remarqué arrêt Volvo de la Cour de justice. Selon cette dernière, l’indemnité de l’agent devait être maintenue lorsque la faute grave était postérieurement relevée ou dénoncée par le mandant (CJCE 28 oct. 2010, aff. C-203/09, Volvo, spéc. § 43, Dalloz actualité, 8 nov. 2010, obs. E. Chevrier ; D. 2010. 2575, obs. E. Chevrier ; CCC 2011. Comm. 65, obs. N. Mathey ; RLDA 2010/55, n° 5, obs. M. Bourdeau ; RDC 2011. 955, note A. Tenenbaum). La seule limite réservée par la Cour de justice se logeait dans l’équité, laquelle pouvait influencer, à la baisse, le montant de l’indemnité (sur ce point, v. infra Conséquences pratiques…).

Résistance de la Cour de cassation

La Cour de cassation maintenait toutefois sa position : la faute grave de l’agent, même révélée postérieurement à la rupture du contrat, prive l’agent de son indemnité de fin de contrat (parmi plusieurs références, v. Com. 24 nov. 2015, n° 14-17.747, CCC 2016. Comm. 35, obs N. Mathey ; RTD civ. 2016. 115, obs. H. Barbier ; 19 juin 2019, n° 18-11.727, D. 2020. 789, obs. N. Ferrier ; CCC 2019. Comm. 138, obs. N. Mathey).

Le revirement de la Cour de cassation

Alignement de la Cour de cassation

Après une douzaine d’années de résistance, l’arrêt Acopal marque l’abandon, pur et simple, de la position traditionnellement défendue. La Cour ne s’en cache pas : elle rappelle son ancienne position (arrêt, § 10), puis celle de la Cour de justice (§ 11), pour conclure : « il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé...

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