Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Seconde inconstitutionnalité pour le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes

Le Conseil constitutionnel considère que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes est donc, pour la seconde fois, déclaré inconstitutionnel.

par Dorothée Goetzle 19 décembre 2017

La loi du 3 juin 2016 est le symbole d’un nouveau paradigme législatif. Avec ce texte, le législateur espérait en effet lutter plus efficacement contre le terrorisme en érigeant la législation pénale en un outil d’anticipation. Le but était le suivant : aboutir à une répression antérieure à la perpétration d’une action terroriste (J. Alix, Réprimer la participation au terrorisme, RSC 2014. 849 ). Dans cette optique, le législateur a créé le délit très controversé de consultation habituelle de site internet terroriste. La particularité de cette infraction est qu’elle se fonde sur un élément matériel qui n’est pas susceptible en lui-même de porter atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Son objet est de permettre une répression très anticipée du processus de radicalisation. Précisément, cette infraction vise à prévenir la commission d’actes de terrorisme en réprimant un comportement susceptible d’entraîner une radicalisation et, éventuellement ensuite, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude, un passage à l’acte terroriste. La première version de cette infraction, contenue dans la loi du 3 juin 2016, a eu une durée de vie très courte puisque le 10 février 2017, le Conseil constitutionnel l’a déclarée contraire à la Constitution (Cons. const., 10 févr. 2017, n° 2016-611 QPC, Dalloz actualité, 14 févr. 2017, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2017. 237, obs. J. Alix ; Dalloz IP/IT 2017. 289, obs. M. Quéméner ; Constitutions 2017. 91, chron. A. Cappello ; ibid. 187, chron. ). Le législateur a ensuite fait renaître de ses cendres ce délit en le remaniant à peine pour l’insérer dans la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique (principales mesures de la loi sécurité publique, v. Dalloz actualité, 7 mars 2017, obs. D. Goetz isset(node/183720) ? node/183720 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183720 ; retour du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, v. Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. C. Fleuriot isset(node/183419) ? node/183419 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183419).

Par rapport à la version initiale, la loi du 28 février 2017 a apporté deux modifications au texte. Premièrement, le législateur y a indiqué que l’infraction ne pouvait être caractérisée que si « cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ». Deuxièmement, il a explicité ce que recoupaient les « motifs légitimes » de nature à exonérer l’auteur de toute responsabilité. 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2017 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Les requérants soutenaient notamment que ce texte méconnaissait la liberté de communication au motif que l’atteinte portée à cette liberté n’était ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur, ni adaptée et proportionnée. Dans leur décision du 15 décembre 2017, les Sages considèrent que la réécriture du texte n’est toujours pas conforme à la Constitution.

Ils notent en ce sens que ni la consultation habituelle de sites terroristes ni la manifestation de l’idéologie véhiculée sur ces sites ne sont susceptibles « d’établir à elles seules l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes ». Ce faisant, ce délit punit le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que l’intention terroriste soit retenue comme élément constitutif de l’infraction. En outre, l’exception de motif légitime introduite par la nouvelle mouture du texte ne parvient pas davantage à convaincre les Sages. En effet, l’exception de motif légitime revient à inverser la charge de la preuve en ce sens que « cette technique législative apparemment favorable au délinquant vise moins à justifier son comportement équivoque qu’à justifier la banalisation de la répression de la phase préparatoire de l’infraction » (M. Reix, Le motif légitime en droit pénal, contribution à la théorie générale de la justification, RSC 2013. 1000 ). En outre, puisque le législateur n’a pas retenu l’intention terroriste comme élément constitutif de l’infraction, il est particulièrement difficile pour le justiciable d’anticiper ce qui peut correspondre à un motif légitime. En effet, comment déterminer ce qu’est un motif légitime de consultation puisque l’intention « coupable » de celui qui consulte habituellement un site terroriste n’est elle-même pas déterminée par le texte ? En ce sens, le Conseil constitutionnel relève le défaut de cohérence du législateur qui a retenu des exemples de motifs légitimes peu susceptibles de s’appliquer aux faits réprimés par l’infraction contestée. Il est vrai qu’on peine à imaginer qu’un individu qui adhère à l’idéologie véhiculée par des sites terroristes les consulte habituellement pour, par exemple, les dénoncer aux autorités ou constituer des preuves en justice.

Ensuite, le Conseil constitutionnel relève, en réitérant presque mot pour mot les motifs de sa décision QPC du 10 février 2017, que la législation comprend un ensemble d’infractions et de dispositions de procédure pénale ayant déjà spécifiquement pour objet de prévenir la commission d’actes de terrorisme. Il souligne, comme cela avait également déjà été le cas dans la décision du 10 février 2017, que l’autorité administrative dispose déjà de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d’actes de terrorisme. À cet effet, les Sages ne manquent pas de citer les nouvelles dispositions contenues dans la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Cette précision, si elle est effectivement bienvenue, n’est pourtant pas sans réveiller plusieurs craintes par rapport à la conformité à la Constitution de ces nouvelles dispositions (O. Cahn et J. Leblois-Happe, Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : perseverare diabolicum, AJ pénal 2017. 468 ; TA Versailles 22 nov. 2017, n° 1708063, Dalloz actualité, 1er déc. 2017, obs. J.-M. Pastor isset(node/187972) ? node/187972 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187972).

Le Conseil constitutionnel en déduit qu’au regard de l’exigence de nécessité de l’atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l’article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie et pour réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l’interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s’accompagne d’un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d’exécution. En conséquence, le Conseil constitutionnel estime que « les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l’usage d’internet pour rechercher des informations ». Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes est donc, pour la seconde fois, déclaré contraire à la Constitution.

Inévitablement, tant d’un point de vue pratique que théorique, cette seconde inconstitutionnalité fait naître un certain malaise. D’abord, elle crée nécessairement une instabilité juridique puisqu’elle abroge, pour la seconde fois, des dispositions qui ont déjà produit des effets. Ensuite, cette situation, qui était prévisible, est particulièrement dérangeante en matière de lutte contre le terrorisme, domaine dans lequel l’équilibre entre la préservation de la sécurité et le respect des droits des personnes poursuivies est déjà particulièrement délicat à trouver. Enfin, par cette inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel indique au législateur qu’il doit s’entourer de davantage de précisions textuelles s’il souhaite, en dehors de la preuve d’une intention terroriste, prévenir la radicalisation. Il est clair que les Sages refusent d’admettre l’existence d’un lien causal entre l’intérêt pour le mouvement djihadiste et le passage à l’acte terroriste.