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La trop bonne affaire de la commune et le droit au respect des biens

La Convention européenne des droits de l’homme impose d’indemniser un propriétaire ayant fait usage du droit de délaissement lorsque la commune a revendu son bien à un prix plus de quarante fois supérieur au prix d’achat.

par Marie-Christine de Monteclerle 6 mai 2019

Si l’absence de droit à rétrocession d’un propriétaire ayant fait usage de son droit de délaissement lorsque le bien n’a pas reçu l’affectation prévue n’est pas en soi inconventionnelle, la Cour de cassation vérifie in concreto l’absence d’atteinte au droit au respect des biens.

Propriétaires d’un terrain à Saint-Tropez, situé dans un emplacement réservé par le plan d’occupation des sols à la création d’espaces verts, MM. T. et S. ont mis la commune en demeure de l’acquérir. Le transfert de propriété a été ordonné par le juge de l’expropriation en septembre 1982. Cependant, aucun espace vert ne fut créé et, en 2008, après modification des règles d’urbanisme, le terrain, devenu constructible fut revendu à une personne privée. Mme D., ayant droit de MM. T. et S., a assigné la commune en paiement de dommages et intérêts. La cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant rejeté sa demande, elle s’est pourvue en cassation.
La troisième chambre civile rappelle qu’aux termes de sa propre jurisprudence, le droit de délaissement ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession du bien sur le fondement de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation (Civ. 3e, 26 mars 2014, n° 13-13.670, Barratier, AJDA 2014. 716 ; D. 2014. 825 ; AJDI 2015. 100, étude S. Gilbert ), ce que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution (Cons. const. 21 juin 2013, n° 2013-325 QPC, AJDA 2013. 1304 ; D. 2013. 1548 ; AJDI 2015. 100, étude S. Gilbert ).

Une atteinte excessive au droit au respect des biens

Toutefois, Mme D. invoquait l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme. La haute juridiction judiciaire estime que la parcelle en cause « constitue un bien protégé » au sens de ce texte. Elle considère que le refus de toute indemnisation dans un cas comme celui de Mme D. constitue une ingérence dans l’exercice de ce droit. Cette ingérence « est justifiée par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l’intérêt général, d’un bien dont son propriétaire a exigé qu’elle l’acquière ». Cependant, « il convient de s’assurer, concrètement, qu’une telle ingérence ménage un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi ».

En l’espèce, la Cour constate « qu’un auteur de Mme D. avait, sur le fondement du droit de délaissement et moyennant un prix de 800 000 francs (121 959,21 €), cédé à la commune son bien, qui faisait alors l’objet d’une réserve destinée à l’implantation d’espaces verts, et que la commune, sans maintenir l’affectation du bien à la mission d’intérêt général ayant justifié sa mise en réserve, a modifié les règles d’urbanisme avant de revendre le terrain, qu’elle a rendu constructible, à une personne privée, moyennant un prix de 5 320 000 € ». Elle en conclut que, « en dépit du délai de plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure contestée porte une atteinte excessive au droit au respect des biens de Mme D. au regard du but légitime poursuivi ». L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence est cassé et l’affaire renvoyée à la cour d’appel de Lyon.